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— Dernière nuit ? s’étrangla Marianne.

— Oui, chérie. Demain est un grand jour, ta co-locataire prend ses quartiers ! Et il paraît que c’est une bête monstrueuse… ! Bonne nuit, ma belle.

Il se hâta de claquer la porte avant de recevoir une chaise volante sur le crâne.

Sanchez alluma un cigare, ouvrit la fenêtre du bureau et se retourna. Daniel venait d’entrer.

— Alors ? s’enquit-il. Comment elle le prend ?

— Mal, bien sûr. Elle dit qu’elle va la tuer.

— Il faut bien que je mette en cage le monstre qu’on nous livre demain. Autant enfermer les monstres ensemble. Je ne peux pas la laisser seule étant donné qu’elle a déjà fait une TS… Je dois l’isoler, mais pas complètement… Quel merdier !

— Et si elle la tue ? demanda Daniel d’une voix calme.

— Elles peuvent bien s’étriper ! Personne ne les pleurera ! s’emporta le directeur.

— C’est sûr… Bon, nous verrons bien. On pourra toujours compter les points ! Mais à mon avis, la nouvelle n’a aucune chance !

— On va tout de même pas prendre les paris ! s’esclaffa Sanchez. Ce serait vraiment immoral !

Ils se mirent à rire tous les deux et le directeur regarda Daniel dans le fond des yeux.

— Tu m’as jamais dit… commença-t-il sur le ton de la confidence.

— Quoi ?

— Si t’y reviens aussi souvent, c’est que ça doit valoir la peine, mais… C’est un bon coup, la petite Marianne… ?

Mardi 24 mai — 10 h 30

Delbec ne semblait pas très rassurée. Se balader dans les couloirs avec Marianne libre de ses mouvements, c’était un peu comme affronter un fauve sans tabouret ni fouet.

Même si le fauve en question avançait sagement pour le moment. Avec ces bêtes-là, faut toujours se méfier.

— Pourquoi je ne suis pas descendue en promenade avec les autres ? demanda Marianne.

Delbec sursauta rien qu’au son de sa voix.

— Je… J’ai pas encore l’habitude, je vous ai… oubliée.

— Ça ne va pas, surveillante… ? Je vous fais peur, pas vrai ?

— Peur ? Non, pourquoi ? Qu’allez-vous donc vous imaginer !

— J’ai pas mes menottes, ça vous fait flipper ! Mais ne vous inquiétez pas, je n’ai pas l’intention de vous frapper…

— Vous n’avez pas à me parler ainsi ! Et vous ne me faites absolument pas peur.

— Tant mieux ! Mais vous mentez ! continua la jeune femme d’un ton railleur. J’ai une sale réputation, pas vrai ? Pourtant, vous savez, tant qu’on ne me cherche pas… Allez, détendez-vous, je plaisantais, surveillante !

Monique émit un grognement étrange pour toute réponse.

— J’ai hâte de voir mes nouvelles petites copines ! reprit Marianne qui avait besoin de parler.

— Là, c’est vous qui mentez ! asséna Delbec en essayant de rire.

— Possible… Ça fait si longtemps que je n’ai vu que des uniformes…

— Ça va bien se passer, vous verrez…

Bizarre qu’elle essaie de la réconforter. Avait-elle donc tant la trouille que ça ?

— Vous êtes mariée, surveillante ?

— Ma vie privée ne regarde pas les détenues.

— Exact… Mais je voulais juste savoir !

— Oui, je suis mariée. Depuis plus de quinze ans !

Elles descendaient le grand escalier, désormais côte à côte.

— Vous avez des enfants ?

— Oui, trois. Ils sont merveilleux !

— Je n’en doute pas… Alors, il faudra penser à eux.

Monique s’immobilisa pour la questionner du regard, la main crispée sur la rampe métallique. Marianne s’approcha un peu.

— Si un jour ça tourne mal, pensez à eux. Ne jouez pas les héroïnes…

— Vous me menacez ?

— Pas du tout, surveillante. C’est juste un conseil… On y va ?

Marianne s’arrêta à l’entrée de la cour, sur le petit escalier en béton. Elle avait un peu le vertige. Tout ce monde, ce bruit. Et tous ces regards instantanément pointés vers elle. Tels les multiples viseurs d’une seule et même arme. Le regard d’une centaine de femmes, d’inconnues pourtant si proches. Elle était l’attraction du jour, aucun doute. Assise sur la dernière marche, elle alluma une cigarette. Heureusement qu’elle en avait, histoire de se donner une contenance en ce moment quelque peu délicat. Aucune détenue ne s’approcha d’elle durant le premier quart d’heure. À part les auxis, personne ne l’avait jamais vue. Mise à l’isolement le jour de son arrivée, comme un chien galeux risquant de contaminer les autres. Malgré cela, aucune de ces femmes n’ignorait son nom ou ses crimes. Elle était finalement l’inconnue la plus célèbre de cette taule.

Marianne avait envie de se dégourdir les jambes, mais n’osait se mêler à cette foule qu’elle percevait pourtant plus curieuse qu’hostile. Une timidité qui ne devait absolument pas transparaître. À aucun moment. Aussi affichait-elle un visage assuré, presque détaché. Ne fixer personne en particulier, juste survoler le décor.

Elle laissa ses pensées la distraire. Demain, ils viendraient. Eux, les trois flics du parloir. Elle avait d’abord pensé leur poser un lapin. Mais une petite voix intérieure lui conseillait le contraire. Je leur demanderai plus de détails. Je veux savoir exactement ce qu’ils ont derrière la tête. Deviner les contours du piège qu’ils me tendent pour éviter de tomber dedans. Pour ne jamais regretter d’avoir dit non… Car elle dirait non, de toute façon. Longtemps qu’elle avait cessé de croire au Père Noël. Il n’y a pas de cadeau pour moi, en ce monde. Tout a un prix. Tout… Et là, le prix doit être terrible. Plus terrible encore que ce que je vis aujourd’hui. Mais j’irai quand même les voir demain pour étancher ma curiosité. Pour donner du grain à moudre à mon cerveau. Et récupérer quelques cigarettes, aussi.

Soudain, elle se sentit épiée et tourna la tête, brutalement dérangée dans son monologue intime. Trois filles la dévisageaient férocement. Marianne comprit instantanément. L’une d’elles était la chef. La chef des détenues. Celle qui gouverne ce petit peuple de brebis égarées. Le loup dans la bergerie pour certaines, le gourou pour d’autres. Comme chez les hommes, il y avait toujours les caïds. Là, elle l’avait en face.

Une femme blanche de type latin, environ trente-cinq ans qui n’avait pas grandi dans le satin. Plus grande que Marianne, baraquée. Un peu la carrure d’un mec. Un regard dur, empli de souffrance. De haine. Mais pour le moment, de défiance ; jaugeant Marianne telle une rivale. De la tête aux pieds. Elle évaluait ses chances de l’envoyer au tapis, craignant visiblement de perdre son trône. Marianne connaissait les règles. Elle se leva pour le premier round.

— T’es Marianne de Gréville, c’est bien ça ?

— Tout juste. Et toi, t’es qui ?

Les deux autres se mirent à glousser.

— Tu sais pas comment je m’appelle ?

— J’ai passé un bout de temps sans voir personne… alors non, je n’ai pas l’honneur de te connaître.

— Je m’appelle Giovanna.

— C’est charmant ! ironisa Marianne.

— File-moi une cigarette.

Marianne serra les mâchoires. Ne rien donner. Pas le moindre signe de faiblesse.

— Non, répondit-elle simplement.

Giovanna ouvrit la paume de sa main, dévoilant ainsi une petite lame.

— J’ai dit, file-moi une clope.

— Et moi j’ai dit non. T’es sourde ?