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Delbec passa à proximité, Giovanna rangea son canif avant de continuer son manège.

— Paraît que t’es une terreur, Marianne ? Que tu te la joues parce que t’as descendu un flic ?

Ne pas lui rentrer dans le lard. Ne même pas bouger un cil.

— Qui t’a raconté ces conneries, Giovanna ?

— T’as pas intérêt à nous faire chier, c’est un bon conseil que je te donne là…

— Je n’en avais pas l’intention. Je voulais juste profiter de ce lumineux ciel de printemps !

— Tant mieux. Si t’es bien sage, t’auras peut-être le droit de me parler !

— Oh ! Ce serait un tel honneur de faire partie de ta cour !

— Tu te fous de ma gueule ?

— T’as deviné ? T’es finalement pas si débile, Giovanna…

— Attends qu’on remonte, je vais te faire ta fête !

— Tu vas rien faire du tout ! riposta Marianne. J’veux pas d’emmerdes ! On vient à peine de m’enlever les menottes, j’ai pas envie qu’on me les remette… T’inquiète, je chercherai pas à te faire de l’ombre. Régner sur le peuple, c’est pas mon truc ! J’veux juste qu’on me foute la paix, OK ? Mais si t’insistes, si tu veux vraiment une baston, ça finira mal pour toutes les deux. Toi, parce que tu seras morte et moi, parce que j’irai au cachot avant d’être baluchonnée dans une taule encore plus pourrie que celle-là. Pigé ?

— Vous entendez ça, les filles ? rétorqua Giovanna, visiblement ébranlée.

— Ouais, elle se prend pour qui, l’autre !

Celle qui venait de parler était une beurette qui mastiquait bruyamment un chewing-gum. Marianne eut subitement envie d’un steak charolais, bien saignant. Sans vraiment comprendre pourquoi.

— Tu m’impressionnes pas une seconde ! reprit Giovanna avec aplomb. Mais j’ai bien entendu, tu veux pas d’embrouilles. Alors reste à ta place et il n’y en aura pas.

— Génial ! Bonne promenade, mesdames.

Le groupe s’éloigna, Marianne soupira. Cette première rencontre n’augurait rien de bon. Elle aurait dû se montrer plus docile, courber un peu l’échine. Elle n’avait réussi qu’à reculer l’échéance. Elle l’avait lu dans le regard de Giovanna. Il faudrait se battre. Encore.

Justine s’approcha.

— T’as un problème ?

— Giovanna est venue me jouer son numéro de caïd !

— Faut l’éviter, Marianne.

— Arrête de flipper, je tomberai pas dans le panneau ! Je veux pas me battre… Pourquoi elle est dedans ?

— C’est la femme d’un mafieux. Elle s’occupait des filles…

— Une mère maquerelle ? De mieux en mieux !

— Elle est bourrée de fric.

— C’est bien pour ça que c’est elle le chef !

— Oui. Et puis elle est forte et très teigneuse.

— Pas autant que moi !

— Méfie-toi d’elle… Pas de connerie, Marianne.

Marianne gardait discrètement un œil sur Giovanna et ses sbires, en train de racketter une pauvre détenue complètement terrorisée. Elle remarqua alors une femme seule, près du grillage. Qui finissait une série de pompes. Sur un bras, en plus.

— C’est qui, elle ? Son visage me parle…

— La blonde ? C’est VM.

— VM… ! Putain ! Je savais pas qu’elle était là !

— Elle est arrivée il y a trois semaines…

— Pourquoi elle n’est pas en centrale ? Elle a pris perpète, non ?

— Et toi ? T’as pas pris perpète peut-être !

— Elle a cassé la tronche à une gardienne ?

— Non. Tentative d’évasion. Elle n’est que de passage ici. Pour quelques semaines, quelques mois tout au plus. Elle attend sa place dans une autre centrale… Elle est seule en cellule mais on n’a pas pris de mesures d’isolement pour la promenade…

— Ah… Et elle est comment ?

— Très calme. Très polie. Rien à redire. On dirait une… une sorte de machine. D’ailleurs Giovanna ne s’en approche pas ! Personne ne s’en approche, de toute façon. Quand elle te regarde, ça fait froid dans le dos.

Marianne partit à rire. Pour cacher qu’elle se sentait un peu vexée. Pourquoi j’ai pas réussi à effrayer Giovanna, moi ? Je l’ai tenue à distance, guère plus…

— Faudra que j’aille voir ça, dit-elle. J’aimerais bien entendre le son de sa voix… Pourquoi elle n’a pas eu droit aux menottes, comme moi ?

— Je crois que tu es la seule détenue dans ce pays à avoir eu droit aux menottes !

— C’est pas juste ! plaisanta Marianne d’une voix de gamine effrontée.

— VM n’a blessé personne. Personne depuis qu’elle est incarcérée, je veux dire… Ce n’est pas ton cas, Marianne.

— Tu sais… Toi, je ne te toucherai jamais, Justine.

— Je le sais, murmura-t-elle.

Véronique Maubrais. Membre d’un groupe terroriste actif dans les années 80, une demi-douzaine de meurtres à son actif. Hommes d’affaires, hommes politiques abattus froidement en pleine rue. Elle avait bien cinquante ans mais les vingt dernières années en prison ne semblaient pas avoir eu de prise sur elle.

— Tu sais qui on va me coller en cellule ? demanda soudain Marianne.

— Seulement qu’elle s’appelle Emmanuelle Aubergé…

— Quel prénom à la con !

— Commence pas à la détester, tu la connais même pas !

Une dispute éclata dans le fond de la cour, Justine abandonna Marianne pour aller y jeter un œil. Emmanuelle Aubergé. Marianne avait la nausée. Comment supporter à nouveau la promiscuité ? Sanchez lui avait vraiment fait un cadeau empoisonné. Mais elle avait toujours la possibilité de revenir en arrière. Il suffirait d’envoyer Emmanuelle chez le dentiste.

Elle se leva, feignant d’ignorer les visages braqués vers elle. Elle marcha en direction de Maubrais qui se roulait une cigarette. Elle leva les yeux. Vrai que son regard était frigorifiant.

— Salut, je m’appelle Marianne.

— Je sais. Tout le monde a entendu parler de toi, Marianne ! Qu’est-ce que tu veux ?

— Rien… C’est la première fois que je sors avec les autres…

— Combien de temps en isolement ?

— Presque un an…

— Contente que ce soit fini ?

— Je sais pas trop, en fait. Ça a du bon mais…

— Ouais, je connais le problème ! Assieds-toi.

Marianne s’installa en tailleur en face d’elle. Ne pas montrer qu’elle était impressionnée. Fascinée, même. Juste là pour discuter un petit quart d’heure. Pour rompre la solitude. Sauf que VM ne prononça plus un mot. Mais elle offrit sa présence, quelques sourires mystérieux. Et une cigarette. Pour signifier simplement que la compagnie de la jeune femme lui était agréable.

*

20 h 30

Marianne, toujours seule en cellule.

Ils ont décidé de la mettre ailleurs, l’Emmanuelle ! J’ai bien fait de dire que j’allais lui casser la tronche !

Elle avait fini le repas du soir depuis longtemps et attendait les trains de nuit. Ce soir, il pleuvait.

Elle adorait entendre l’averse pendant ses insomnies. Comme une présence rassurante.

Étendue sur son matelas, elle se délectait de sa solitude obtenue à coups de menaces. Ils me craignent. J’ai encore du pouvoir. L’image du chef en train de jouir en elle lui traversa l’esprit, elle la chassa d’un mouvement de tête. C’est du commerce, rien d’autre. Il a plus besoin de moi, que moi de lui.

Facile de se mentir quand le manque s’éloigne. Quand personne n’est là pour contredire.

Elle ferma les yeux. Le premier arrivait, un Corail-couchettes. Pas le même bruit que le TGV. Rien à voir. Il freinait lourdement à l’approche d’un virage serré, juste avant la prison. Laisse les images venir, te submerger… Tirage au sort dans la sphère des pensées…