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— Nouvelle erreur, surveillante ! Ce n’est pas moi qui pue, c’est la cellule… depuis…

Elle consulta son vieux réveil.

— Depuis exactement deux minutes et trente secondes !

— Ça fait longtemps que t’as pas rendu visite au mitard, non ? Au moins deux semaines…

— Ouais, pile-poil deux semaines. Vous maîtrisez mieux les mathématiques que la grammaire !

— On dirait que ça te manque, de Gréville ! Mais je peux arranger ça, si tu y tiens…

— C’est Gréville.

— Tu devrais plutôt aller te laver, rétorqua Solange en arborant son sourire de garce. Mais peut-être que le savon ne peut pas enlever le sang qu’il y a sur tes mains !

Touché. À force de lancer des missiles, on arrive forcément à atteindre la cible. Marianne s’approcha encore, Micheline tourna la tête de l’autre côté. Ne pas être témoin. Les deux femmes n’étaient plus qu’à quelques centimètres. Marianne murmura d’une voix à peine audible :

— Continue à me faire chier et bientôt, c’est l’odeur de ton sang que je sentirai sur mes mains…

— J’en ai brisé des plus dures que toi !

— Y a pas plus dure que moi. Même tes putains de barreaux sont pas plus durs que moi…

Elles parlaient toujours à voix basse. Solange battait en retraite, l’air de rien. Mais elle avait les canines affûtées. Et du venin plein la bouche.

— Ce soir, je prendrai un bain chaud, j’irai au resto avec mon mec… Et après, nous…

— T’as trouvé un mec, toi ? Comment t’as fait ? Tu l’as appâté avec ton bulletin de salaire, celui que t’offre chaque mois le contribuable pour que tu joues au petit facho avec les détenues ?

— Faut bien que quelqu’un se dévoue pour garder la vermine en cage ! Crois-moi, le contribuable est prêt à payer pour ça…

Marianne éclata soudain de rire.

— Vous avez raison, surveillante ! C’est beau, l’abnégation ! Vous auriez dû être bonne sœur !

La Marquise avait presque vidé son chargeur. Plus qu’une balle.

— Désolée, mais je n’aurai pas le temps de te sortir dans la cour, ce matin…

La vengeance absolue. Le règlement imposait une heure de promenade. Mais avec Justine, Marianne avait souvent droit à une heure le matin, en plus de sa balade de l’après-midi. Avec la Marquise, ce n’était jamais arrivé. Les clefs martyrisèrent la serrure et les oreilles de Marianne qui répondit par un grand coup de pied dans la porte blindée… Blindée. Plus que moi.

Elle se laissa tomber sur son lit et le regard reprit son chemin de ronde. Plafond, murs, sol, sommier du dessus… Plafond à nouveau. Puis ses mains, qu’elle examina longtemps.

Pourquoi je les ai tués ?

*

11 h 09. Le train s’éloignait déjà. Pourquoi passait-il toujours si vite ? Marianne gardait les yeux fermés. Comme pour emprisonner ce chant de liberté dans sa tête. Qu’il continue encore et encore. Des images revenaient, floues et précises à la fois…

… Ils arpentent le quai à la recherche du bon numéro.

— C’est quoi, déjà ? demande Thomas.

— Voiture 13, places 14 et 15… Pas compliqué ! Le tiercé dans l’ordre !

Ils grimpent dans le compartiment, Marianne s’assoit près de la fenêtre ; sur le quai, un couple enlacé ne parvient pas à se dissoudre malgré le compte à rebours qui a commencé. Ils s’embrassent, s’embrasent, se serrent, se fondent presque l’un dans l’autre. Marianne les observe, subjuguée.

— Qu’est-ce qu’il y a, ma puce ?

Elle sursaute. Sourit. Prend sa main et murmure :

— Regarde-les…

Il aperçoit les deux amants, qui ne semblent former qu’un.

— Y en a un qui va rater le train ! dit-il en riant.

— Ils ne devraient pas se séparer… Tant pis pour le train…

Thomas allume une cigarette, ouvre son coca. Soudain, la femme du quai empoigne son sac, recule d’un pas. Marianne n’arrive pas à y croire. La bulle d’amour vient de se déchirer. Elle ressent la fissure à l’intérieur de son propre corps. Elle saisit le bras de Thomas, avec force.

— Elle est montée dans le train !

— Ben, évidemment ! Elle était là pour quoi faire, à ton avis ?!

Justement, la voilà qui s’avance dans le couloir, s’arrête à quelques mètres d’eux. Elle pleure. Marianne aussi.

— Qu’est-ce qui t’arrive, ma puce ?

— Rien… C’est des larmes de joie. J’suis tellement heureuse de partir loin avec toi…

— Moi aussi… Tu verras, tout ira bien maintenant. Tu vas pouvoir les oublier, ces deux cons !

Une secousse annonce le départ, Marianne dévisage l’homme du quai. Lui aussi, pleure. Elle a envie de hurler à la femme de descendre, de le rejoindre. Pas le droit de se faire si mal. Rien ne peut en valoir la peine. Rien…

L’homme du quai est loin, désormais. Marianne demande :

— Tu… tu crois qu’on s’aimera comme ça un jour ?

… Marianne rouvrit les yeux. Le train était loin, depuis longtemps. Aujourd’hui, elle avait la réponse à sa question.

Non, jamais ils ne s’étaient aimés comme ça. On n’a pas eu le temps, peut-être. Le temps n’y aurait peut-être rien changé. Comment savoir ?

À chaque fois, la blessure se rouvrait dans son ventre. Douleur intacte, indemne, malgré le choc des années de taule.

Est-ce qu’un jour, on m’aimera comme ça ?

Samedi 9 avril

La Marquise avait tenu parole. Monique Delbec, la doyenne des surveillantes, attendait au seuil de la cellule.

— Mademoiselle de Gréville, dépêchez-vous je vous prie !

Une voix rêche, à vous balafrer les tympans. Un ton toujours autoritaire mais jamais déplacé.

Marianne préparait son baluchon, habituée à ces départs précipités où il ne fallait pas oublier l’essentiel autorisé : les cigarettes, un ou deux romans, le pull en laine troué, la trousse de toilette avec, à l’intérieur, bien planqué, le nécessaire à planer. Et son réveil, bien sûr, histoire de ne jamais perdre le fil du temps. Madame Delbec, aussi rigide qu’un barreau de fenêtre, faisait tournoyer avec impatience la paire de menottes, comme s’il s’agissait d’un lasso. Marianne posa son petit bagage dans le couloir. Daniel sortit de l’ombre comme un prédateur de sa tanière. Il ne ratait jamais ce rendez-vous, sauf quand il était de repos.

Il ouvrit le sac, fit mine d’en vérifier le contenu. Sachant où se dissimulait la came, il examina l’intérieur de la trousse de toilette.

— C’est bon, rien à signaler, conclut-il en se relevant.

Delbec et Marianne retournèrent alors dans la cellule pour la fouille réglementaire. Daniel, resté dehors, sifflota pour passer le temps, ce qui avait le don d’énerver Marianne.

— Allez mademoiselle, déshabillez-vous…

Ça, c’était l’humiliation suprême et quasi quotidienne. Se foutre à poil devant une matonne, se pencher en avant et tousser. Encore, avec Delbec, ça n’allait pas plus loin. Il était évident que ça ne lui plaisait pas, à elle non plus. Contrairement à la Marquise. Avec elle, c’était une autre histoire…

Les deux femmes ressortirent rapidement de la cellule.

— C’est bon pour la fouille, annonça la gardienne en menottant sa prisonnière avec une étonnante dextérité.

Marianne se mit en marche, la tête haute, précédée de Madame Delbec qui se dandinait comme une volaille à point pour Thanksgiving. Daniel terminait la procession.