— T’es comme les autres, tu me crois pas ! Je lui ai juste pété quelques dents… Et la mâchoire aussi… Bon, c’est vrai que je lui ai filé un coup dans l’estomac… Mais je pensais pas lui avoir explosé les tripes ! C’est pas ma faute, j’sens pas ma force… comme Lenny… Y sent pas sa force, lui non plus… T’as pas lu Des Souris et des hommes ? T’as tort, ce livre est génial ! Je l’ai presque fini… Et pis s’tu veux pas me croire, c’est tant pis pour toi… J’en ai marre qu’on me croie pas !
Elle serra son poing et entendit un drôle de craquement. Comme si elle émiettait un biscuit sec.
— À qui tu parles, de Gréville ?
Elle se redressa d’un bond, la cellule vacilla. En écarquillant les yeux, elle distingua une ombre derrière la grille, au milieu d’une brume étrange. Quelqu’un faisait-il un feu de camp dans le couloir ? Mais nul besoin de clarté pour savoir qui lui rendait visite. La voix avait suffi. Suave, gorgée de haine. La Marquise venait jouir du spectacle.
— Alors, tu parles toute seule ? Décidément, t’es de plus en plus cinglée, ma pauvre !
Marianne resta figée. Surtout, ne pas s’énerver pendant le voyage où chaque émotion est démultipliée… La Marquise alluma la lumière, Marianne ferma les paupières sous les agressions du spot. L’interrupteur était dehors, inaccessible pour le détenu. Impossible d’arrêter le supplice.
— Qu’est-ce que tu as ? T’oses même pas m’affronter du regard ?
Ne pas répondre. Surtout, ne pas répondre à la provocation…
— Alors ? T’as perdu ta langue ou quoi ? s’amusa Solange. T’as les pétoches ?!
Marianne sentit ses jambes se raidir, se força à ouvrir les yeux et les dirigea comme deux sabres laser en direction de l’ennemi. La drogue les rendait plus pénétrants que jamais. Plus noirs que jamais. Puis elle se leva lentement, tenant sur ses jambes presque par miracle.
Solange lâcha la grille alors que Marianne s’en approchait.
— Alors, de Gréville, les cafards te tiennent compagnie, j’espère !
— Oui, surveillante, ils sont très gentils avec moi…
— Normal, vous êtes de la même race !
Marianne passa son bras entre deux barreaux, ouvrit son poing. L’insecte écrasé tomba aux pieds de Solange qui fit un pas en arrière avec un cri de dégoût. Marianne souriait férocement, fixant toujours la jeune gardienne comme si elle allait la tuer à distance.
— Viens dans ma cellule, Marquise, qu’on s’explique une bonne fois pour toutes…
Solange contemplait la blatte dont les antennes bougeaient encore. Puis ses yeux tombèrent sur ceux de la criminelle.
— Alors, tu viens pas ? T’as les pétoches ou quoi ? Ouvre cette grille et amène-toi. Viens te battre… Je t’attends ! Je vais t’arracher la peau et m’en faire une descente de lit…
— Tu vas rien faire du tout, pauvre folle ! Tu vas juste moisir ici toute ta vie jusqu’à ce que tu crèves… Et moi je serai là pour te regarder partir. Les pieds devant, bien entendu…
— Bien entendu… Mais je vais te dire un truc, je partirai pas sans t’avoir tuée. Que je fasse au moins quelque chose de bien dans ma vie… Débarrasser le monde de ta pourriture.
Solange avait pris soin d’emmener sa matraque. Marianne oublia de reculer. L’arme s’abattit sèchement sur ses phalanges, elle se décrocha du métal en hurlant. Elle tomba à la renverse, pressa ses mains l’une contre l’autre. Mais elle était encore à portée, Solange voulut lui asséner un coup sur l’épaule. Dommage qu’elle ne fût pas assez rapide. Marianne captura son poignet et l’attira brutalement vers elle. La gardienne embrassa les barreaux avec violence. Ses doigts finirent par lâcher la matraque. Marianne resserra encore la pression, tout en se remettant debout.
Ça y est, elle est à moi.
Solange tentait de dégager son bras, prisonnier d’un étau d’acier.
— Faut pas s’approcher trop près des cages quand on regarde les fauves, murmura Marianne.
— Laisse-moi ou je hurle !
Face à face, juste une grille pour les séparer. De son autre main, Marianne attrapa la nuque de Solange avant de lui écraser le visage sur le métal.
— Tu croyais pouvoir jouer combien de temps avec moi ? On t’a pas raconté ce que j’ai fait à l’autre matonne ? Dans quel état je l’ai mise ? Elle était un peu comme toi… Mais elle fera plus jamais de mal à personne… Comme toi, bientôt…
Solange hurla de plus belle, tenta de griffer Marianne au visage. Son front heurta de nouveau la grille, son cerveau fit un dangereux aller-retour. Marianne aurait pu la tuer rapidement, mais elle avait envie de savourer ce moment précieux. La drogue lui donnait des ailes. Elle changea de tactique, lui saisit la gorge. Serrer doucement, enfoncer les doigts dans la chair tendre et sans défense. Lire la peur dans les yeux. Deux ombres surgirent dans le couloir. Daniel et Delbec. Le chef essaya de libérer sa collègue, mais Marianne refusait obstinément d’abandonner son jouet agonisant. Elle serrait de plus en plus, la surveillante suffoquait lentement.
— Marianne ! Lâche-la tout de suite !
Autant parler à une sourde. Alors Daniel dégaina sa matraque électrique. Sanction immédiate. Une première décharge dans les côtes projeta Marianne sur le sol ; le corps de chiffon de Solange s’effondra lamentablement.
— Tu vas te calmer, oui ou merde ! hurla Daniel en pénétrant dans la cellule.
Marianne se releva, reçut une nouvelle décharge qui lui arracha un râle déchirant. Cette fois, elle capitula, tétanisée par terre.
— Monique, les menottes, vite !
Il attacha Marianne à un anneau scellé au mur et battit en retraite, avant qu’elle ne retrouve ses esprits. Solange avait rouvert les yeux, sonnée plus qu’autre chose.
— Cette folle a voulu me tuer ! gémit-elle d’une voix brisée.
— Ça va, rien de cassé ? demanda le chef en s’agenouillant devant elle.
Une bosse commençait à émerger sur son front, sa gorge portait une trace rouge, comme un collier.
— Elle a voulu me tuer ! Vous avez vu, hein ?
Daniel jeta un œil à Marianne, prostrée contre le mur. Elle taisait sa souffrance, comme d’habitude. Alors que Solange continuait à pleurnicher telle une gamine qui vient de s’écorcher le genou.
— Ferme-la ! ordonna-t-il soudain.
Solange en resta bouche bée.
— T’étais pas de garde au mitard, ce soir… Alors tu peux me dire pourquoi tu traînais ici ?
— Mais… Mais je voulais juste…
— Juste l’empêcher de dormir ? La provoquer ?… Faudrait que t’arrêtes tes conneries, Pariotti !
— Mais vous avez vu ce qu’elle m’a fait ?
— Tu l’as cherché ! conclut-il. Monique, vous l’emmenez à l’infirmerie.
Delbec aida Solange à se remettre debout et le couple en uniforme s’évapora dans la pénombre. Marianne pressait sa main libre contre son ventre, là où il avait frappé. Mais aucune plainte ne sortait de sa bouche, cousue de douleur. Daniel s’approcha avec prudence.
— Ça va aller ?
— Fous-moi la paix, putain !
— Raconte-moi ce qui s’est passé…
— Tu sais très bien ce qui s’est passé… Tant que tu tiendras pas cette chienne en laisse, elle viendra me pourrir la vie…
Daniel alluma une cigarette avant de s’asseoir près d’elle.
— T’en as pas une pour moi ?
Il lui tendit la sienne.
— Faut que t’apprennes à te maîtriser, Marianne.
— Dégage…
— Me parle pas comme ça.
— Va-t’en… J’ai besoin d’être seule.