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— Comme tu voudras, dit-il en se relevant.

— Eh ! Tu vas pas me laisser attachée au mur !

— Si je te libère, tu vas me sauter dessus.

— Non, j’te jure !

— T’es complètement défoncée, je préfère te laisser là.

— Eh ! Reviens, me laisse pas comme ça !

La grille se referma, Marianne tapa du poing contre le mur. Mais ce ne fut pas le béton qui se craquela. Elle se mit à pleurer sans retenue, comme elle ne se l’était pas autorisé depuis longtemps.

— J’veux pas rester là, j’veux pas mourir ici…

*

Nuit blanche dans un trou noir. Le jour s’était levé mais Marianne le devinait plus qu’elle ne le voyait. Ses paupières étaient brûlantes, son corps exténué. Son cerveau au bord de l’épuisement. Des pas la tirèrent brutalement de sa solitude douloureuse. Des pas discrets, légers. Justine apparut derrière la grille. Marianne sentit alors une odeur familière et pourtant inhabituelle.

— Salut Marianne… Dans quel état tu t’es mise ! T’as pleuré ?

— On dirait que ça sent le café…

— J’ai croisé Daniel qui rentrait chez lui. Il m’a dit de te descendre un petit café.

— Un vrai café ?

— Oui, un vrai de vrai ! répondit Justine en la libérant des menottes.

Marianne prit la tasse entre ses deux mains et respira avec délice, les yeux fermés.

— Y a du sucre ?

— Trois, comme tu aimes !

Un vrai petit-déjeuner, avec du pain frais et du beurre, un café fort et mielleux ! Chaque goutte était une révélation divine. Une cigarette pour faire passer tout ça, le pied absolu.

— Le chef m’a raconté ce qui s’est passé hier soir…

— C’est elle qui est venue me chercher ! se défendit Marianne. J’étais tranquille et…

— Je sais tout ça, coupa la surveillante. C’est toujours la même histoire, de toute façon. Pourquoi tu réponds encore à ses provocations ? Si tu l’ignores, elle finira par se lasser.

Marianne haussa les épaules tout en récupérant sur son doigt la dernière goutte du précieux breuvage.

— Allez viens, je t’emmène à la douche.

Marianne enleva son pull en grimaçant de douleur. Les restes des chocs de la veille. Elle souleva son tee-shirt, chercha les deux hématomes. Un sur les côtes, un au milieu du ventre. Une vraie saloperie, cette matraque électrique ! Le directeur l’avait offerte au chef peu après l’arrivée de Marianne dans sa prison. Tout spécialement pour elle… Illégal, sans aucun doute. Mais à qui se plaindre ?

Elle attrapa sa trousse de toilette et suivit Justine jusqu’à l’unique douche du mitard. Dix minutes chrono pour se laver d’une nuit d’immondices. La cabine était propre, une propreté qui faisait du bien au corps et à l’esprit. Le gel douche au parfum bon marché, le shampooing au décapant, rien ne pouvait la contrarier. Elle serait restée là pendant des heures.

— Marianne ! Ça fait un quart d’heure ! Faut sortir… J’ai pas que toi à emmener à la douche !

Elle ferma le robinet à regret, se sécha rapidement. Puis elle s’arrêta devant le lavabo pour peigner ses cheveux courts, aussi noirs que ses yeux. Elle se regarda quelques instants dans le miroir. Mieux valait éviter. Elle rejoignit Justine dans le couloir.

— Tu me fais sortir ?

— Commence pas, Marianne, s’il te plaît. Tu connais le règlement aussi bien que moi.

Au mitard, c’était une heure l’après-midi, pas plus. Aucun espoir de faire céder Justine. La grille, déjà. La cellule immonde qui bâillait comme un crustacé géant et répugnant.

— Tu restes un peu ? espéra Marianne.

— Cinq minutes, pas plus, concéda la gardienne.

C’était déjà beaucoup. La seule compagnie que Marianne trouvait agréable. Les deux femmes s’assirent côte à côte, contre le mur.

— Qu’est-ce que ça pue, ici ! constata Justine.

— Tu l’as dit ! Tu peux pas me transférer dans une autre cellule ?

— Non, c’est le directeur qui a ordonné qu’on t’enferme là… Pour te dégoûter du cachot, des fois que ça te calmerait !

— Ben voyons… Il me connaît mal, cet abruti !

Elle s’arrêta de parler, tendit l’oreille.

— Tu l’entends ? murmura-t-elle.

— Quoi ?

— Le train, bien sûr !

Justine se concentra à son tour et crut percevoir un bruit lointain.

— Toujours accro du rail, hein ?

— Toujours… Si un jour je sors, la première chose que je fais, c’est prendre le train…

Si un jour je sors.

— Si tu te tiens à carreau, tu finiras par sortir, assura la surveillante.

— Tu parles ! J’aurai soixante piges et plus un cheveu sur le crâne… Ça sera en… 2045… Putain ! On dirait un truc de science-fiction ! 2045…

— Tu peux être dehors avant soixante ans. Sauf si tu continues à ajouter des médailles à ton palmarès !

— Ah ouais ? À cinquante, tu veux dire ? Qu’est-ce que ça change ?

— Dix ans de moins, je trouve que ça change tout.

Un long silence les enferma encore un peu plus.

— Un autre train… murmura Marianne. Un train de marchandises.

— Comment tu les reconnais ? s’étonna Justine en souriant.

— C’est pas la même chanson qu’un TGV ! Rien à voir…

— Pourquoi es-tu aussi amoureuse des trains ?

— J’ai toujours aimé ça… Entendre passer un train, c’est agréable. Surtout depuis que je suis dedans… Quand j’étais môme, les fois où je m’éloignais un peu de mes grands-parents, c’était par le train… Quand je partais en colo ou chez ma tante. Quand j’ai fugué la première fois, j’ai pris le train, aussi… Que des bons souvenirs ! Et toi ? T’as pas un bon souvenir en train ?

— Ben tu sais, j’ai pris le RER tous les jours quand j’habitais en banlieue parisienne. Alors, c’est un peu synonyme de routine pour moi… Et puis, on n’a pas forcément que des bons souvenirs en train…

— À quoi tu penses ? questionna Marianne en prenant son paquet de cigarettes.

— J’ai pas vraiment envie de te raconter…

Justine lui piqua une clope, détourna la tête.

— Si, tu en as envie, mais ça reste coincé…

Justine souriait tristement. Encore une fois, la petite avait raison. Sous ses airs de brute insensible, elle cachait le don de compréhension, celui de percevoir ce qui tentait de rester caché. Et bien d’autres talents encore… Dommage qu’elle ait tout gâché. Dommage que la vie l’ait gâchée.

— C’était il y a longtemps. J’étais encore étudiante à la fac. Je prenais le RER tous les soirs pour rentrer chez mes parents. Assez tard, parfois…

— À l’heure où les trains de banlieue ne sont plus très sûrs, pas vrai ?

— Ouais… Le compartiment était presque désert, mais j’avais l’habitude. Je lisais un bouquin, je m’en souviens encore… Et puis trois mecs sont montés. J’ai tout de suite compris qu’ils allaient nous faire chier… Bruyants, vulgaires. Des petites frappes, tu vois…

— Je vois !

— Deux se sont assis en face de moi, le troisième à côté. J’ai fait mine de les ignorer, les yeux rivés sur mon roman… Seulement, je voyais plus les mots… Je tournais même plus les pages… Ils ont commencé à échanger des propos sur moi…

Justine fit une pause, replia ses jambes jusqu’à poser le menton sur ses genoux.

— Je parie qu’ils ont dit que t’étais bonne ou des conneries comme ça…

— Ouais, ce genre de choses… Et puis… il y en a un qui a écrasé sa clope sur ma godasse… Là, j’ai senti que j’étais vraiment en danger.