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— Ah, enseigne Vorkosigan !

— Oui ?

— Vous avez eu un appel vidéo tout à l’heure. J’ai enregistré le numéro pour vous.

— Un appel ? (Miles s’arrêta.) D’où provenait-il ?

— De Vorbarr Sultana.

Un frisson glacé lui parcourut l’échine. Une urgence chez lui ?

— Merci.

Rebroussant chemin, il fonça droit vers la cabine à console vidéo que les officiers se partageaient à l’étage.

Il s’assit, tout mouillé, dans le fauteuil et tapota les touches pour obtenir le message. Le numéro n’était pas un de ceux qu’il connaissait. Il l’entra, ainsi que son code bancaire, et attendit. La sonnerie retentit plusieurs fois, puis l’écran s’anima avec un sifflement. Le beau visage de son cousin Ivan se matérialisa et lui sourit.

— Ah, Miles ! Te voilà.

— Ivan ! Où es-tu ? Qu’est-ce qui se passe ?

— Oh, je suis à la maison. Et cela ne signifie pas celle de ma mère. Je pensais que tu aimerais voir mon nouvel appartement.

Miles, troublé, eut la vague impression d’avoir obtenu sans trop savoir comment une ligne dans un univers parallèle ou un plan astral de rechange. Vorbarr Sultana, oui. Lui-même avait vécu dans la capitale, dans une précédente incarnation. Il y avait de ça des éternités.

Ivan souleva son capteur vidéo et le fit pivoter dans tous les sens, à en donner le vertige.

— Il est entièrement meublé. J’ai repris le bail d’un capitaine des Ops transféré sur Komarr. Une occasion superbe. J’ai emménagé seulement hier. Peux-tu voir le balcon ?

Oui, Miles pouvait voir le balcon, inondé par la clarté solaire couleur de miel d’une fin d’après-midi. Les toits de Vorbarr Sultana se découpaient en arrière-plan comme une ville de conte de fées enveloppée de brume estivale. Des fleurs écarlates fourmillaient par-dessus la balustrade, si vives dans la lumière horizontale qu’elles lui blessaient les yeux. Miles était à deux doigts de fondre en larmes. Il dit d’une voix étranglée :

— Belles fleurs.

— Oui, c’est un cadeau de ma petite amie.

— Ta petite amie ? (Ah oui ! Au temps jadis, les êtres humains se présentaient sous la forme d’une espèce mâle et d’une espèce femelle. L’une avait une odeur plus agréable que l’autre. Beaucoup plus agréable.) Laquelle ?

— Tatya.

Miles s’efforça de se rappeler.

— Je la connais ?

— Non, c’est une nouvelle.

Ivan cessa de tourner sa caméra vidéo et réapparut sur l’écran.

— Dis-moi, quel temps avez-vous, là-bas ? (Ivan l’examina avec une plus grande attention.) Tu es mouillé ? Qu’est-ce que tu as fabriqué ?

— De… la plomberie légale, répondit Miles après une pause.

— Quoi ! s’exclama Ivan en plissant le front.

— Laisse courir. (Miles éternua.) Ecoute, je suis content de voir un visage familier et tout ça… (il ne mentait pas ; il éprouvait une joie étrange, douloureuse)… mais je suis au beau milieu de ma journée de travail.

— J’ai quitté le bureau il y a deux heures. J’emmène Tatya dîner au restaurant. Tu m’as attrapé au vol. Alors, raconte-moi vite, c’est comment, la vie dans l’infanterie ?

— Oh, formidable ! La base Lazkowski, c’est le rêve, tu sais. (Miles ne précisa pas quel genre de rêve.) Elle n’a rien de l’entrepôt pour les petits seigneurs vors en surnombre comme le quartier général impérial.

— J’exécute mon boulot ! rétorqua Ivan, légèrement vexé. Ça te plairait, j’en suis sûr. Nous traitons les renseignements. Stupéfiant, le nombre de données auxquelles le service accède en une journée ! On a l’impression d’avoir la maîtrise du monde. Ça te botterait.

— Le plus marrant, c’est que je pensais que la base Lazkowski te botterait aussi, Ivan. Suppose qu’ils aient interverti nos ordres de mission ?

Ivan se tapota le nez et rit sous cape.

— Qui sait ?

Son air amusé céda la place à une expression de réelle inquiétude.

— Tu… tu ne cours pas de risques, là-bas, hein ? Tu n’as pas très bonne mine.

— J’ai eu une matinée peu ordinaire. Si tu décampais, je pourrais filer sous la douche.

— Oh ! d’accord. Bon ! prends soin de toi.

— Profite bien de ton dîner.

— Entendu. Salut.

Des voix d’un autre univers. Vorbarr Sultana n’était qu’à deux heures de vol suborbital, tout compte fait. En théorie. Miles fut vaguement réconforté par ce rappel que la planète entière ne s’était pas rétrécie aux horizons couleur de plomb de l’île Kyril, même si la portion qu’il occupait en donnait l’impression.

Miles eut du mal à se concentrer sur la météo le reste de la journée. Par chance, son supérieur n’y prêta guère attention. Depuis l’embourbement du scat-cat, Ahn avait tendance à garder un silence nerveux et inquiet en présence de Miles, sauf sur demande insistante d’un renseignement précis. Quand sa journée de service s’acheva, Miles fonça directos à l’infirmerie.

Le major travaillait encore, ou du moins était-il assis devant la console de son bureau quand Miles passa la tête dans l’embrasure de la porte.

— Bonsoir, major.

Le médecin leva les yeux.

— Oui, enseigne ? Qu’y a-t-il ?

En dépit du ton peu encourageant de la question, Miles estima l’invitation suffisante pour se glisser dans la pièce.

— J’aimerais savoir ce que vous avez trouvé à propos de ce garçon que nous avons sorti du ponceau ce matin.

Le major haussa les épaules.

— Pas grand-chose. Son identité était établie. Il est mort par noyade. Tous les signes physiques et métaboliques – le stress, l’hypothermie, les hématomes – cadrent avec le fait qu’il était coincé là depuis moins d’une demi-heure avant la mort. J’ai conclu à un décès accidentel.

— Oui, mais pourquoi ?

— Pourquoi ? (Le major haussa les sourcils.) Il s’est fourré dans le pétrin tout seul. Posez-lui donc la question.

— Vous n’avez pas envie de découvrir pourquoi ?

— Dans quel but ?

— Eh bien… pour savoir. Pour être sûr que vous avez raison.

Le major le dévisagea d’un air ironique.

— Je ne mets pas en doute vos conclusions médicales, major, ajouta précipitamment Miles. Mais c’était tellement étrange. Cela ne vous intrigue pas ?

— Plus maintenant. Je me suis assuré qu’il ne s’agissait ni d’un suicide ni d’un crime, alors, quels que soient les détails, c’est une mort par stupidité, n’est-ce pas ?

Miles se demanda si telle aurait été l’ultime épitaphe du médecin à son sujet, au cas où il se serait noyé avec son scat-cat.

— En effet, major.

Après quoi, debout devant l’infirmerie dans le vent humide, Miles hésita. Le cadavre, en somme, n’était pas sa propriété personnelle. Ce n’était pas un trésor qui revient à son inventeur. Il avait remis l’affaire entre les mains des autorités concernées. Ce n’était plus son problème. N’empêche…

Il y avait encore plusieurs heures de clarté. Miles avait du mal à dormir, de toute façon, avec ces journées interminables. Il retourna dans sa chambre, enfila un survêtement et des tennis, puis partit faire du jogging.

Du côté des terrains d’exercice vides, la route était déserte. Le soleil obliquait lentement vers l’horizon. Miles se remit au pas de marche, puis ralentit encore. L’armature de ses jambes l’écorchait. Un de ces quatre, il prendrait le temps de faire remplacer les os fragiles de ses jambes par des os synthétiques. Et maintenant qu’il y pensait, la chirurgie réparatrice pouvait être un moyen quasi légitime de s’arracher à l’île Kyril, si la situation devenait par trop insoutenable avant la fin de ses six mois, sauf que ce serait de la triche.