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Il jeta un coup d’œil aux alentours, essayant d’imaginer ce cadre en pleine nuit et sous une pluie battante. S’il avait été le simple soldat avançant péniblement sur cette route vers minuit, qu’aurait-il vu ? Qu’est-ce qui avait bien pu attirer l’attention de cet homme vers le fossé ? Et, pour commencer, que fabriquait-il par ici au beau milieu de la nuit ? Cette route ne menait nulle part, sinon à un parcours d’obstacles et à un champ de tir.

Voilà le fossé… non, c’était le suivant, un peu plus loin. Quatre ponceaux perçaient la levée de la chaussée sur ces cinq cents mètres en ligne droite. Miles se pencha sur le garde-fou pour regarder le filet d’eau de drainage qui s’écoulait maintenant avec lenteur. Le spectacle n’avait rien d’affriolant. Pourquoi, pourquoi, pourquoi… ?

Miles suivit le remblai en remontant vers le haut de la chaussée, examinant la surface de la route, le garde-fou, les fougères brunes détrempées au-delà. Arrivé au tournant, il revint sur ses pas, scrutant le côté opposé. Il se retrouva au premier fossé, au bout de la partie rectiligne de la route du côté de la base, sans rien découvrir qui ait du charme ou de l’intérêt.

Miles se percha sur le garde-fou et réfléchit. Le moment était venu de faire appel à un brin de logique. Quelle impulsion avait amené le soldat à se coincer dans le conduit, en dépit du danger évident ? La rage ? Que poursuivait-il ? La peur ? Qu’est-ce qui le poursuivait ? Une erreur ? Miles s’y connaissait, en erreurs. Si le soldat s’était trompé de ponceau…

Miles se laissa glisser au fond du premier fossé. Ou bien le soldat avait exploré méthodiquement tous les ponceaux – et, dans ce cas, avait-il commencé du côté de la base ou du côté des champs de manœuvre ? –, ou bien il s’était trompé de cible, à cause de l’obscurité et de la pluie, et avait pénétré dans celui qui n’était pas le bon. Miles était résolu à les explorer tous à quatre pattes s’il le fallait, mais il préférait tomber juste du premier coup. Même si personne n’était là pour l’observer. Ce ponceau avait un diamètre légèrement plus large que le deuxième, le meurtrier. Miles prit sa lampe à sa ceinture, plongea à l’intérieur du conduit et entreprit de l’inspecter centimètre par centimètre.

À mi-chemin, il poussa un « Ah ! » de satisfaction, à la vue d’un paquet enveloppé de plastique et fixé par du ruban adhésif, qui saillait sur la partie supérieure de l’arc du ponceau. Vraiment intéressant. Miles se faufila dehors et s’assit à l’entrée du ponceau, afin de rester hors de vue de la route.

Posant le paquet sur ses genoux, il l’examina avec un plaisir anticipé, comme s’il s’agissait d’un cadeau d’anniversaire. Drogue, contrebande, documents secrets, argent malhonnête ? Miles espérait trouver des documents confidentiels, bien qu’il fût difficile d’imaginer quiconque classant top secret quoi que ce fût sur l’île Kyril, à l’exception peut-être des notes concernant les officiers. De la drogue ne serait pas mal, mais un réseau d’espionnage serait épatant. Il serait un héros de la Sécurité. Son esprit s’emballa, imaginant déjà la prochaine étape de son enquête. Remontant la piste du mort, grâce à de subtils indices, jusqu’à un chef, qui savait à quel rang élevé ? Arrestations spectaculaires, félicitations décernées par Simon Illyan en personne… Le paquet était bossué, mais craquait légèrement – des feuillets en plastique ?

Le cœur battant, il l’ouvrit avec précaution. La déception l’assomma. Un souffle étranglé, moitié rire, moitié gémissement, s’échappa de ses lèvres.

De la pâtisserie ! Deux douzaines de lisettes, des choux miniatures glacés et fourrés de fruits confits fabriqués traditionnellement pour la célébration du solstice d’été. Des gâteaux rassis, vieux d’un mois et demi. Quelle cause pour mourir…

L’imagination de Miles, alimentée par sa connaissance de la vie de garnison, esquissa le reste assez facilement. Le soldat avait reçu ce paquet de quelque petite amie/mère/sœur, et avait cherché à le protéger de la gloutonnerie de ses compagnons qui auraient dévoré le tout en quelques secondes. Peut-être que le garçon, en proie au mal du pays, s’était rationné à un gâteau à la fois, savourant plaisir et souffrance mêlés à chaque bouchée. Ou peut-être les gardait-il pour une occasion particulière.

Puis étaient venus les deux jours de pluie continue et il avait commencé à avoir peur que son trésor caché ne sombre par le fond. Il était accouru pour sauver ses vivres, avait manqué le premier fossé dans le noir, était allé droit au deuxième avec une détermination acharnée tandis que les eaux montaient, avait compris son erreur trop tard…

Triste. Un peu révoltant. Mais pas utile. Miles soupira et remballa les lisettes, puis s’éloigna à grands pas, le paquet sous le bras, en direction de la base pour le remettre au major.

Quand Miles eut coincé le médecin et lui eut expliqué sa trouvaille, le seul commentaire de ce dernier fut :

— Oui. Mort par stupidité, c’est bien ça.

Et, machinalement, il mordit dans une lisette et renifla.

Le temps de corvée de maintenance se termina pour Miles le lendemain sans que les égouts lui eussent livré pâture plus intéressante que le noyé. Ce qui était probablement aussi bien. Le jour suivant, le caporal affecté au bureau d’Ahn rentra de son congé. Miles découvrit que le caporal, qui travaillait au bureau de la météo depuis près de deux ans, était une mine inépuisable et lui dispensait sans compter la documentation qu’il s’était cassé la tête à apprendre au cours des deux semaines écoulées. Il n’avait pas le nez d’Ahn, toutefois.

Ahn quitta bel et bien sobre le camp Permafrost, gravissant sans aide la rampe de la navette. Miles l’accompagna sur l’aire de décollage où il lui fit ses adieux, ne démêlant pas s’il était content ou navré de voir partir le spécialiste météo. Ahn avait l’air heureux, lui, et son visage d’ordinaire lugubre était presque radieux.

— Où irez-vous quand vous aurez rendu vos uniformes ? lui demanda Miles.

— À l’équateur.

— Dans quelle partie ?

— N’importe laquelle, pourvu que ce soit l’équateur, répliqua Ahn avec ferveur.

Miles espéra qu’il choisirait au moins un endroit avec une bonne masse de terre au-dessous.

Ahn marqua un temps d’arrêt sur la rampe et dévisagea Miles.

— Faites gaffe à Metzov, dit-il enfin.

Avertissement fort tardif, sans parler de son manque de précision irritant. Miles haussa les sourcils et lança à Ahn un regard exaspéré.

— Je doute de figurer à l’avenir sur son carnet mondain.

Ahn reporta son poids d’un pied sur l’autre, mal à l’aise.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire.

— Que voulez-vous dire ?

— Eh bien… je ne sais pas. Une fois, j’ai vu…

— Quoi ?

Ahn secoua la tête.

— Rien. C’est de l’histoire ancienne. Pas mal de choses dingues se sont produites au plus fort de la révolte de Komarr. Evitez de vous mettre sur son chemin.

— J’ai déjà eu affaire à ce vieux pète-sec.

— Oh ! il n’est pas exactement un pète-sec. Mais il a un côté… il peut être extrêmement dangereux. Ne le menacez jamais pour de bon, hein ?

— Moi, menacer Metzov ? (La perplexité plissa le visage de Miles. Ahn avait peut-être bu plus qu’il n’y paraissait, finalement.) Allons, ce ne doit pas être un si mauvais cheval. On ne l’aurait pas chargé des stagiaires, sinon.

— Il ne commande pas les bleus. Leur propre hiérarchie vient avec eux – les instructeurs font leur rapport à leur propre commandant. Metzov n’est chargé que du matériel permanent de la base. Vous êtes agressif, Vorkosigan. Veillez seulement… à ne jamais l’agresser, lui, ou vous vous en repentirez. Je n’en dirai pas plus.