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Ahn ferma la bouche d’un air décidé et gravit la rampe.

Je m’en repens déjà, eut envie de lui crier Miles. Bah ! sa semaine de punition était maintenant terminée. Peut-être que Metzov avait eu l’intention de l’humilier en lui infligeant ces corvées mais, à la vérité, Miles les avait jugées très intéressantes. Par contre, embourber son scat-cat, voilà qui avait été humiliant. Et ça, il en était l’unique responsable. Miles adressa un dernier geste d’adieu à Ahn au moment où il disparut dans la navette, haussa les épaules et repartit en direction du bâtiment maintenant familier réservé à l’administration.

Lorsque le caporal partit déjeuner, Miles lutta deux bonnes minutes contre la tentation, puis tapota les états de service de Metzov sur la console de communication. La simple liste des dates, affectations et promotions du commandant de la base n’était pas éclairante, mais un minimum de connaissances historiques permettait de combler les trous.

Metzov était entré dans l’armée environ trente-cinq ans auparavant. Il avait obtenu ses promotions les plus rapides – le fait n’avait rien d’étonnant – pendant la conquête de la planète Komarr, un quart de siècle plus tôt. Le système de Komarr, riche en couloirs, était pour Barrayar l’unique accès à la plus vaste connexion galactique d’itinéraires. Komarr avait prouvé à Barrayar son importance stratégique au début du siècle, quand l’oligarchie alors au pouvoir avait accepté un pot-de-vin pour laisser une flotte d’invasion de Cetaganda emprunter ses couloirs aux fins d’assaillir Barrayar. Repousser les Cetagandans avait fauché une génération de Barrayarans. Barrayar avait mis à profit cette sanglante leçon au temps du père de Miles. La conquête de la maîtrise des voies d’accès de Komarr avait eu pour effet secondaire de transformer Barrayar de cul-de-sac perdu en une puissance galactique mineure mais avec laquelle il fallait désormais compter.

Metzov s’était arrangé pour se trouver du bon côté des prétentions au trône de Vordarian, tentative exclusivement barrayarane pour arracher le pouvoir à l’empereur Grégor, âgé de cinq ans, et à son régent, vingt ans auparavant – choisir le mauvais côté dans cette échauffourée civile était la première raison que Miles aurait invoquée pour expliquer qu’un officier apparemment si compétent passe ses dernières années exilé sur l’île Kyril. Mais l’arrêt brutal dans le déroulement de la carrière de Metzov semblait s’être produit pendant la révolte de Komarr, il y avait de cela seize ans. Aucune indication dans cette fiche sur le motif, excepté un renvoi à un autre dossier. Marqué d’un code de la Sécurité impériale. C’était l’impasse.

Ou peut-être pas. La mine pensive, Miles tapota un autre code sur sa console.

— Opérations. Bureau du commodore Jollif, commença Ivan quand son visage se matérialisa sur l’écran vidéo. Oh, salut, Miles ! Qu’est-ce qui se passe ?

— Je fais des recherches. J’ai pensé que tu pourrais m’aider.

— J’aurais dû me douter que tu ne m’appelais pas au Q. G. juste pour me dire bonjour. Accouche !

— Tu es seul ?

— Oui, le patron est bloqué dans une réunion. Une jolie petite crise… Un cargo sous pavillon barrayaran a été arraisonné dans le Moyeu de Hegen, à la station de Vervain ; il est suspecté d’espionnage.

— Est-ce que nous pouvons communiquer avec lui ? Menacer d’aller à son secours ?

— Pas en passant par Pol. Aucun vaisseau militaire barrayaran n’a le droit de s’engager dans ses couloirs. Point final.

— Je nous croyais en assez bons termes avec Pol.

— Jusqu’à un certain point. Mais les Vervani ont menacé de rompre les relations diplomatiques avec Pol, alors les Polians se montrent d’une prudence extrême. Ce qu’il y a de cocasse dans l’histoire, c’est que le cargo en question n’est même pas un de nos vrais agents. C’est une accusation apparemment montée de toutes pièces.

Politique des itinéraires de couloirs. Tactique de vaisseaux d’assaut. Exactement le genre de challenge auquel les cours de l’Ecole impériale avaient préparé Miles. De plus, il faisait probablement chaud à bord de ces vaisseaux et dans ces stations spatiales. Miles exhala un soupir d’envie.

Ivan plissa les paupières, soudain soupçonneux.

— Pourquoi m’as-tu demandé si j’étais seul ?

— Je veux que tu m’extraies une fiche. Il s’agit d’événements passés, ajouta Miles pour le rassurer.

Il récita la cote d’un trait.

— Ah ! (La main d’Ivan commença à taper, puis s’immobilisa.) T’es dingue ou quoi ? C’est une fiche de la Sécurité impériale. Pas possible !

— Bien sûr que si. Tu es dans la place, non ?

Ivan secoua la tête d’un air suffisant.

— Plus maintenant. Tout le système des fichiers de la Séclmp a été superprotégé. On ne peut plus transférer de données, sauf sur un câble filtrant codé qu’on doit brancher soi-même. Pour lequel je serais obligé de signer. Pour lequel je serais obligé d’expliquer pourquoi je le veux et montrer l’autorisation. Tu as une autorisation pour ça ? Ah ! je me doutais que non.

Miles se renfrogna.

— Tu peux sûrement l’obtenir par le système interne.

— En effet. Ce qui m’est impossible, c’est connecter le système interne à un système externe pour un transfert de données. Pas de chance, mon vieux !

— Tu as une console à système interne dans ce bureau.

— Naturellement.

— Eh bien, dit Miles avec impatience, sors le dossier, tourne ton bureau et laisse les deux vidéos se parler. Ça t’est possible, non ?

Ivan se gratta la tête.

— Tu crois que ça peut marcher ?

— Essaie !

Miles tambourina du bout des doigts pendant qu’Ivan traînait son bureau dans l’autre sens et opérait la mise au point visuelle. La transmission était altérée mais lisible.

— Là, j’en étais sûr ! Prends-en note pour moi, veux-tu ?

Fascinant, absolument fascinant. Le dossier était le recueil des rapports secrets d’une enquête de la Séclmp sur la mort mystérieuse d’un prisonnier de Metzov, un rebelle komarran qui avait tué son gardien et avait été tué lui-même en essayant de s’évader. Quand la Séclmp avait réclamé le corps aux fins d’autopsie, Metzov avait présenté des excuses et des cendres provenant d’une incinération ; si seulement on l’avait averti quelques heures plus tôt qu’on avait besoin du corps, etc. L’officier enquêteur avait fait allusion à une inculpation pour tortures illégales – peut-être à titre de vengeance pour la mort du gardien ? – mais avait été dans l’incapacité de réunir assez d’indices pour obtenir l’autorisation de soumettre au thiopenta les témoins barrayarans, y compris un certain tech au grade d’enseigne nommé Ahn. L’officier enquêteur avait élevé une protestation officielle contre la décision de clore l’affaire prise par son supérieur, et cela finissait là. Apparemment. Si l’affaire avait eu des prolongements, ils n’existaient que dans la tête remarquable de Simon Illyan, un dossier secret auquel Miles n’avait pas envie d’accéder. Et pourtant la carrière de Metzov s’était arrêtée net, littéralement.

— Miles, interrompit Ivan pour la quatrième fois, nous ne devrions pas faire ça. C’est du suicide.

— Si nous ne devrions pas le faire, nous ne devrions pas pouvoir le faire. Tu as toujours besoin d’avoir le câble pour enregistrer. Aucun espion digne de ce nom ne serait assez bête pour rester assis des heures à l’intérieur du Q. G. impérial à tout écrire à la main, au risque d’être pris et fusillé.