Выбрать главу

— Ça suffit comme ça.

D’un coup sec de la main, Ivan effaça le dossier de la Sécurité. L’image vidéo oscilla vertigineusement quand Ivan traîna son bureau pour le remettre en place, puis vinrent des bruits de frottement tandis qu’il effaçait frénétiquement de sa botte les traces sur la moquette.

— Je n’ai rien fait, tu entends ?

— Je ne parlais pas de toi. Nous ne sommes pas des espions. (Miles se tut, l’air morne.) N’empêche… je suppose que quelqu’un devrait avertir Illyan du point faible que présentent ses dispositifs de sécurité.

— Pas moi !

— Pourquoi pas toi ? Suggère ça comme une brillante hypothèse. Peut-être obtiendras-tu des félicitations. Ne dis pas que nous l’avons expérimenté, bien entendu. Ou alors, déclare que nous vérifiions juste ton hypothèse, hein ?

— Espèce de briseur de carrière, dit Ivan avec sévérité. Ne te repointe plus sur mon écran vidéo. Sauf à la maison, ça va de soi.

Miles sourit et laissa son cousin s’échapper. Il resta un moment dans le bureau à regarder défiler les holos météo, songeant à Metzov et au genre d’accidents susceptibles d’arriver aux prisonniers qui lui tenaient tête.

Bon ! tout ça s’était passé il y avait très longtemps. Metzov lui-même prendrait probablement sa retraite d’ici à cinq ans, avec son statut de soldat ayant quarante ans de carrière et une pension, pour se fondre dans la population des vieillards acariâtres. Pas tant un problème à résoudre qu’à attendre de voir se résoudre sans y être impliqué, du moins en ce qui concernait Miles. Son but final à la base Lazkowski, se répéta Miles, était de s’échapper de cette base, aussi silencieusement qu’une fumée. Metzov serait laissé derrière en son temps.

Les semaines qui suivirent, Miles s’installa dans une routine tolérable. Pour commencer, cinq mille bleus arrivèrent. Tandis que les jours raccourcissaient, la base Lazkowski subit sa première vraie chute de neige de la saison, plus un oua-oua modéré qui dura une demi-journée. Miles avait réussi à annoncer l’une et l’autre à l’avance et avec précision.

Evénement plus heureux encore, Miles céda son titre de plus fameux imbécile de l’île (une notoriété indésirable acquise depuis l’embourbement du scat-cat) à un groupe de bleus qui avaient trouvé moyen, un soir, de mettre le feu à leur cantonnement en allumant leurs pets. Le lendemain, lorsque les officiers se réunirent pour discuter des mesures à prendre contre d’éventuels incendies, Miles suggéra d’attaquer le problème en menant un assaut logistique contre l’approvisionnement en combustible de l’ennemi, à savoir d’éliminer les fayots de l’ordinaire. Le général Metzov repoussa la proposition d’un regard glacial. Dans le couloir, un digne capitaine de la section matériel arrêta ensuite Miles pour le remercier de ses efforts méritoires.

Au temps pour la gloire de l’armée impériale. Miles prit l’habitude de passer de longues heures seul dans le bureau de la météo, à étudier la théorie du chaos, ses déchiffrages de données et les murs. Trois mois écoulés, trois autres à tirer. Les jours devenaient plus sombres.

5

Miles avait sauté de son lit et était déjà à demi vêtu quand son cerveau abruti de sommeil se rendit compte que la sonnerie stridente n’était pas l’alerte au oua-oua. Il s’immobilisa, une botte à la main. Ce n’était pas un incendie, ni une attaque ennemie. Donc pas de son ressort, de toute façon. Le bêlement rythmé s’arrêta. On avait raison, le silence est d’or.

Il jeta un coup d’œil à la pendule aux chiffres lumineux. Elle proclamait qu’on était au milieu de la soirée. Il ne dormait que depuis deux heures. Il s’était écroulé sur son lit, épuisé, au retour d’une longue expédition au nord de l’île, en pleine tempête de neige, pour réparer les dommages causés par le vent à la Station onze. Le voyant rouge du signal d’appel au chevet de son lit ne clignotait pas pour l’avertir de tâches imprévues à accomplir. Il pouvait retourner se coucher.

Ce silence était déroutant.

Il enfila sa seconde botte et passa la tête par la porte. Deux officiers avaient fait de même et échangeaient des conjectures sur la cause de l’alerte. Le lieutenant Bonn émergea de sa chambre et fonça dans le couloir à grands pas en enfilant sa parka. Il avait une expression tendue, mi-inquiétude, mi-contrariété.

Miles saisit sa parka et courut le rejoindre.

— Vous avez besoin d’aide, lieutenant ?

Bonn le regarda et pinça les lèvres.

— Possible, admit-il.

Miles se mit à marcher à côté de lui, secrètement content que Bonn le juge capable d’être utile.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Un accident dans un bunker où sont emmagasinés des produits toxiques. Si c’est celui auquel je pense, nous risquons d’avoir un sacré problème.

Ils quittèrent le vestibule dont la double porte retenait la chaleur et se retrouvèrent dans une nuit limpide et glacée. De la neige fine crissait sous les bottes de Miles, balayée par un faible vent d’est. Au firmament, les étoiles gardaient leur éclat en dépit des lumières de la base. Les deux hommes se glissèrent dans le scat-cat de Bonn, leur haleine visible comme de la fumée jusqu’à ce que le système de dégivrage du plafond opère. Bonn sortit pleins gaz de la base par l’ouest.

Quelques kilomètres après les derniers champs de manœuvre, une rangée de tertres couverts de tourbe saillaient sous la neige. Un groupe de véhicules stationnaient à l’extrémité d’un des bunkers – deux scat-cats, y compris celui de l’officier de la base dirigeant le service incendie, et des ambulances. On voyait des lampes de poche s’agiter çà et là. Bonn vira, freina et ouvrit sa portière en toute hâte. Miles le suivit à vive allure dans un crissement de neige tassée.

Le médecin major donnait des directives à deux infirmiers qui chargeaient dans l’ambulance une forme enveloppée dans une couverture aluminisée et un soldat en salopette qui frissonnait et toussait.

— Mettez tous vos vêtements dans le caisson de destruction dès que vous atteindrez la porte, leur cria-t-il. Ainsi que les couvertures, le matériel de couchage, les attelles, tout. Douches de décontamination totale pour tous avant même de commencer à vous occuper de sa jambe cassée. L’analgésique le calmera dans l’intervalle… S’il se réveille, laissez courir. Je vous suis.

Le médecin se détourna en frissonnant et émit un sifflement consterné entre ses dents.

Bonn se dirigea vers le bunker. Le major et le chef du service incendie s’exclamèrent d’une seule et même voix :

— N’ouvrez pas cette porte !

— Il ne reste personne à l’intérieur, ajouta le major. Tout le monde a été évacué.

— Qu’est-ce qui s’est passé, exactement ?

Bonn frotta de sa main gantée le givre de la vitre afin de jeter un œil à l’intérieur.

— Deux types déplaçaient du matériel en vue de libérer un emplacement pour un nouvel envoi qui doit nous être expédié demain, s’empressa d’expliquer le lieutenant Yaski, le chef du service incendie. Leur chariot élévateur a basculé et l’un d’eux s’est retrouvé coincé dessous avec une jambe cassée.

— Leur chariot a basculé ? Ils ont dû y mettre de la bonne volonté, commenta Bonn.

— Ils devaient sans doute chahuter, riposta le major avec impatience, mais ce n’est pas le pire. Ils ont fait tomber plusieurs fûts de fétaïne. Deux au moins se sont ouverts. Le bunker est plein de cette saloperie. Nous avons colmaté du mieux que nous avons pu. Le nettoyage, c’est votre problème. J’y vais.