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Miles se leva et sortit en vacillant, appuyé au bras de son père, ses pieds faisant un bruit mouillé dans leurs sacs de plastique.

— À part cela, comment était l’île Kyril, enseigne Vorkosigan ? demanda le comte. Tu ne nous as guère envoyé de vidéos, à ce qu’a remarqué ta mère.

— J’étais occupé. Voyons… Le climat était féroce, le terrain mortel, un tiers des habitants, y compris mon supérieur immédiat, étaient ivres la plupart du temps. Le Q. I. moyen était égal à la température moyenne en degrés centigrades, il n’y avait pas une femme à moins de cinq cents kilomètres à la ronde et le commandant de la base était un meurtrier psychotique. Cela dit, c’était charmant tout plein.

— Apparemment, rien n’a l’air d’avoir changé depuis vingt-cinq ans.

— Tu y as été ? (Miles lorgna son père du coin de l’œil.) Et tu as permis qu’on m’y envoie ?

— J’ai autrefois commandé la base Lazkowski pendant cinq mois, en attendant ma promotion comme capitaine sur le croiseur Général Vorkraft. Disons qu’à l’époque ma carrière subissait une éclipse politique.

Doux euphémisme…

— Et l’endroit t’a plu ?

— Je ne me rappelle pas bien. J’étais ivre les trois quarts du temps. Chacun élabore sa propre méthode pour supporter le camp Permafrost. Je dirais que tu t’en es tiré plutôt mieux que moi.

— Que tu aies pu y survivre me paraît… encourageant.

— Je t’en jugeais capable. C’est pourquoi je t’en ai parlé. Cela mis à part, je ne tiendrais pas cette expérience pour exemplaire.

Miles leva les yeux vers son père.

— Est-ce que… j’ai fait ce qu’il fallait, la nuit dernière ?

— Oui, dit simplement le comte. Ce qu’il fallait. Peut-être n’était-ce pas la meilleure parmi toutes les solutions possibles. Dans trois jours d’ici, tu imagineras peut-être la tactique idéale, mais tu étais l’homme sur le terrain à ce moment-là. Je m’efforce de m’abstenir de repenser après coup les décisions de mes officiers.

Pour la première fois depuis son départ de l’île Kyril, Miles se sentit soulagé du poids qui l’oppressait.

Miles croyait que son père allait au vaste complexe familier de l’hôpital militaire impérial, à quelques kilomètres au-delà de la ville, mais ils découvrirent une infirmerie plus proche, trois étages au-dessous, dans le Q. G. de la Séclmp. L’installation, quoique petite, était bien équipée, avec deux salles d’examen, des chambres particulières, des cellules pour soigner les prisonniers et les témoins en garde à vue, un dispensaire et une porte fermée sur laquelle un panneau bien propre à vous glacer le sang annonçait : Laboratoire chimique d’interrogatoire. Illyan avait dû téléphoner, car un infirmier les attendait. Un médecin de la Sécurité arriva peu après, légèrement essoufflé. Il rectifia sa tenue et salua cérémonieusement le comte Vorkosigan avant de se tourner vers Miles.

Celui-ci eut l’impression que le médecin était plus habitué à intimider les gens qu’à être intimidé par eux et que ce renversement de rôles l’embarrassait. Etait-ce quelque aura d’ancienne violence qui s’attachait à son père après toutes ces années ? Le pouvoir, l’histoire ? Un charisme personnel qui faisait s’aplatir comme des chiens battus des hommes sinon énergiques ? Miles percevait très nettement cette chaleur irradiante, et pourtant, cela ne semblait pas l’affecter de la même façon.

Acclimatement, peut-être. L’ancien seigneur régent était l’homme qui prenait deux heures pour déjeuner chaque jour, sans tenir compte d’aucune crise à part la guerre, et disparaissait dans sa résidence. Seul Miles savait ce qui se passait pendant ce temps-là, comment le grand homme en uniforme vert avalait un sandwich en cinq minutes puis occupait l’heure et demie suivante à genoux sur le parquet avec son fils qui ne pouvait pas marcher, à jouer, à bavarder, à lui faire la lecture à haute voix. Parfois, quand Miles résistait à une nouvelle thérapie pénible avec une obstination quasi hystérique, décourageant sa mère et même le sergent Bothari, seul son père savait le persuader d’accepter séances d’élongations ultra-douloureuses, piqûres, nouvelle série d’opérations, produits chimiques glacés qui lui étaient comme du feu dans les veines. « Tu es un Vor. Tu ne dois pas effrayer tes hommes liges par cette démonstration de manque de maîtrise, seigneur Miles. » L’odeur forte de l’infirmerie, la nervosité du médecin ramenaient un flot de souvenirs. Pas étonnant, songea Miles, qu’il n’ait pas réussi à avoir assez peur de Metzov. Quand le comte Vorkosigan partit, l’infirmerie sembla totalement vide.

Il ne se passait apparemment pas grand-chose au Q. G. de la Séclmp, cette semaine-là. L’infirmerie était d’un calme engourdissant, uniquement troublé çà et là par des membres du personnel qui venaient quémander auprès de l’aimable infirmier des remèdes contre le mal de tête, le rhume ou une gueule de bois. Un soir, deux techs s’activèrent pendant trois heures dans le labo pour un travail urgent et partirent avec la même précipitation. Le médecin stoppa le début de pneumonie de Miles juste avant qu’elle ne devienne galopante. Miles rumina et attendit que les six jours de traitement aux antibiotiques se terminent en combinant les détails d’une permission chez lui à Vorbarr Sultana qui ne manquerait pas de lui être accordée quand les médicos l’autoriseraient à sortir.

— Pourquoi ne puis-je pas aller chez nous ? se plaignit Miles à sa mère lors de la visite suivante de celle-ci. Personne ne me dit rien. Si je ne suis pas sous mandat d’arrestation, pourquoi ne puis-je avoir de permission ? Si je suis arrêté, pourquoi les portes ne sont-elles pas verrouillées ? J’ai l’impression d’être dans les limbes.

La comtesse Cordelia Vorkosigan émit un grognement peu digne d’une dame.

— Tu es dans les limbes, mon petit.

Son accent de Beta sans inflexion résonna affectueusement aux oreilles de Miles en dépit du ton sardonique. Elle secoua la tête – ce jour-là, ses cheveux roux mêlés de blanc étaient retenus aux tempes et ondulaient librement sur son dos, brillant sur une veste d’un riche ton brun automnal rehaussé de broderies d’argent, avec la jupe ample d’une femme de la classe vor. Pâle, frappant, son visage aux yeux gris pétillait d’une telle intelligence qu’on remarquait à peine qu’elle n’était pas belle. Pendant vingt et un ans, elle avait joué le rôle d’une mère de famille vor dans le sillage de son grand homme, et pourtant les hiérarchies de Barrayar ne l’impressionnaient guère – bien qu’elle ne restât pas insensible, songea Miles, à leurs blessures.

Alors pourquoi est-ce que je ne pense jamais à mon ambition de commander un vaisseau comme ma mère avant moi ? Le capitaine Cordelia Naismith, de la section d’exploration astronomique de Beta, s’était consacrée à l’œuvre périlleuse d’étendre la liaison des couloirs de navigation en exécutant en aveugle des sorties dans l’espace intersidéral, au nom de l’humanité, de la connaissance pure, pour l’avancement économique de la colonie de Beta, pour… Qu’est-ce qui l’avait poussée ? Elle avait commandé un vaisseau d’exploration de soixante personnes, loin de son pays et de toute assistance il y avait eu certains aspects enviables dans sa précédente carrière, c’est sûr. La hiérarchie, par exemple, était une fiction légale dans les lointains sidéraux, les souhaits du Q. G. de Beta une question de spéculations et de paris.

Elle se mouvait maintenant sans soulever la moindre vague dans la société de Barrayar. Seuls ses plus proches intimes se rendaient compte à quel point elle en était détachée, ne craignant personne, pas même le redouté Illyan, dominée par personne, pas même l’amiral. C’était cette intrépidité insouciante, conclut Miles, qui donnait à sa mère ce caractère si inquiétant. Le capitaine de l’amiral. Suivre les traces de sa mère serait comme marcher dans le feu.