— Qu’est-ce qui se passe, là-dehors ? questionna Miles. Cette chambre est presque aussi divertissante qu’une cellule de mise au secret. A-t-on finalement décidé que j’étais un mutin ?
— Je ne crois pas, dit la comtesse. On renvoie tout ce petit monde dans ses foyers… ton lieutenant Bonn et les autres… pas précisément pour faute, mais sans indemnités, pension ou ce statut d’homme lige impérial qui a l’air d’avoir tant d’importance pour les soldats de Barrayar…
— Penses-y comme à une drôle d’espèce de réservistes, lui conseilla Miles. Et Metzov ? Et les bleus ?
— Metzov est démobilisé de la même façon. C’est lui le plus gros perdant, à mon avis.
— On le lâche dans la nature ?
Miles fronça les sourcils. La comtesse Vorkosigan haussa les épaules.
— Parce qu’il n’y a pas eu mort d’homme, Aral était persuadé qu’il ne pouvait pas obtenir une peine plus sévère en cour martiale. On a décidé de ne pas porter d’accusation contre les bleus.
— J’en suis content. Et, heu !… et moi ?
— Tu demeures officiellement catalogué comme détenu par la Sécurité impériale. Indéfiniment.
— Les limbes sont supposés être une sorte d’endroit non défini. (Sa main tripota le drap. Il avait encore les jointures enflées.) Combien de temps ?
— Le temps nécessaire pour obtenir l’effet psychologique recherché.
— Pour me rendre fou ? Trois jours de plus devraient suffire.
— Assez longtemps pour convaincre les militaristes de Barrayar que tu reçois le châtiment mérité par ton… crime. Ta détention dans ce bâtiment plutôt sinistre porte à croire que tu subis… tout ce qu’ils imaginent se passer ici. Si on te laisse te balader en ville dans des réceptions, l’illusion qu’on t’a pendu la tête en bas au mur du sous-sol sera beaucoup plus difficile à maintenir.
— Tout ça paraît si… irréel. (Miles se renfonça dans son oreiller.) Je voulais seulement servir.
Un bref sourire releva la large bouche de sa mère.
— Prêt à reconsidérer un autre genre de travail, chéri ?
— Etre un Vor est plus qu’un simple emploi.
— Oui, c’est une pathologie. Une illusion obsessionnelle. La galaxie est grande, Miles. Il y a d’autres façons de servir, de plus vastes… circonscriptions.
— Alors, pourquoi restes-tu ici ?
— Ah ! (Elle accusa le coup par un sourire morose.) Les besoins de certains sont plus contraignants que des canons.
— Puisqu’on parle de papa, va-t-il revenir me voir ?
— Non. Je suis chargée de te le dire, il va se tenir à distance pendant un temps. Pour ne pas donner l’impression d’approuver ta mutinerie alors qu’en fait il te tire de dessous l’avalanche. Il a décidé d’être publiquement en colère contre toi.
— Et il l’est ?
— Bien sûr que non ! Pourtant… il commençait à former des plans à longue échéance pour toi, dans ses combinaisons de réforme sociopolitique, fondés sur la carrière que tu aurais accomplie dans l’armée… Il envisageait même des moyens d’utiliser tes blessures congénitales au service de Barrayar.
— Oui, je sais.
— Bon ! ne t’inquiète pas. Il trouvera sans doute comment se servir de ça aussi.
Miles poussa un soupir morne.
— Je veux quelque chose à faire. Je veux qu’on me rende mes habits.
Sa mère pinça les lèvres et secoua la tête.
Miles appela Ivan ce soir là.
— Où es-tu ? demanda son cousin, soupçonneux.
— Englué dans les limbes.
— Eh bien, restes-y ! dit Ivan d’un ton brusque avant de presser le bouton pour couper la communication.
7
Le lendemain matin, Miles fut transféré dans un nouveau logement. Son guide le conduisit juste à l’étage au-dessous, ruinant l’espérance qu’avait Miles de revoir le ciel. L’officier ouvrit avec un code la porte d’un des appartements destinés aux témoins protégés. Et aussi, songea Miles, à certaines non-personnalités politiques. Se pouvait-il que la vie dans les limbes pût avoir un effet caméléonesque, le rendît translucide ?
— Combien de temps vais-je rester ici ? demanda-t-il.
— Je ne sais pas, enseigne, répliqua l’officier, qui le quitta.
Son sac, bourré de ses vêtements, et une malle remplie en hâte étaient posés par terre au milieu de la pièce. Toutes ses possessions de l’île Kyril, sentant le moisi, un souffle froid en provenance de l’humidité arctique. Miles farfouilla dedans – tout semblait y être, y compris sa documentation météo, puis parcourut son nouveau domaine. Le studio, chichement meublé dans le style à la mode vingt ans plus tôt, comprenait quelques fauteuils confortables, un lit, une kitchenette, des placards vides et des étagères. Pas de vêtements abandonnés, d’objets ou de laissés-pour-compte suggérant l’identité d’un occupant précédent.
Il devait y avoir des micros. Toute surface brillante pouvait dissimuler une caméra vidéo, et les micros n’étaient probablement pas dans la pièce. Mais étaient-ils branchés ? Ou, plus vexant, peut-être qu’Illyan ne se souciait même pas de les mettre en marche ?
Un garde était posté dans le couloir, il y avait des écrans de contrôle à distance, mais Miles ne semblait pas avoir de voisins. Il découvrit qu’il pouvait quitter le couloir et se promener dans les rares zones qui n’étaient pas de haute sécurité ; toutefois, les gardes en sentinelle aux portes extérieures, à qui l’on avait donné des consignes à son sujet, lui firent tourner bride, poliment mais fermement. Il s’imagina tentant une évasion par une descente du toit en rappel – il écoperait probablement d’une balle et ruinerait la carrière d’un malheureux garde.
Un officier de la Sécurité, le surprenant à errer sans but, le reconduisit à son logement, lui donna une poignée de bons pour la cafétéria et lui fit comprendre sans ambiguïté qu’on apprécierait qu’il reste chez lui entre les repas. Après son départ, Miles compta les bons, histoire d’évaluer la durée prévue de son séjour. Il y en avait cent. Il frissonna.
Il déballa malle et sac, passa dans la machine à laver sonique tout ce qui pouvait y entrer pour éliminer les relents du camp Permafrost, suspendit ses uniformes, nettoya ses bottes, disposa avec soin ses possessions sur les étagères, prit une douche et enfila une tenue de service verte propre.
Une heure de passée. Combien encore à venir ?
Il s’efforça de lire, mais ne réussit pas à se concentrer et finit par s’asseoir dans le fauteuil le plus confortable, les yeux fermés, feignant de croire que cette chambre sans fenêtres, hermétiquement close, était une cabine à bord d’un vaisseau spatial. En plein vol.
Deux soirs plus tard, il était assis dans le même fauteuil, digérant un lourd repas de la cafétéria, quand on sonna à la porte. Il sursauta, se leva à grand-peine et alla ouvrir en boitillant. Ce n’était probablement pas un peloton d’exécution, mais sait-on jamais…
Il changea presque d’idée à la vue de deux officiers de la Sécurité impériale en tenue verte, le visage de pierre.
— Excusez-moi, enseigne Vorkosigan, murmura l’un d’eux pour la forme.
Passant devant lui, il se mit à examiner la chambre au scanner. Miles cligna des paupières, puis vit qui se tenait un peu plus loin dans le couloir et exhala un « Ah ! » de compréhension. Sur un simple coup d’œil de l’homme au scanner, il leva les bras et se tourna avec docilité.