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— Rien à signaler, conclut l’opérateur.

Miles fut sûr que c’était le cas. Ces types ne faisaient jamais rien à moitié, même au cœur de la Séc-Imp.

— Merci. Laissez-nous, s’il vous plaît. Vous pouvez attendre ici, dit le troisième homme.

Les membres de la Séclmp hochèrent la tête et prirent la pose de repos de chaque côté de la porte.

Miles échangea un salut réglementaire avec l’homme, bien que son uniforme ne comportât pas d’insignes de grade ou de section. Il était mince, de taille moyenne, avait des cheveux noirs, des yeux noisette au regard intense. Un triste petit sourire apparut et disparut sur le grave visage juvénile qui n’avait pas les rides du rire.

— Sire, dit cérémonieusement Miles.

L’empereur Grégor Vorbarra fit un brusque mouvement de tête et Miles referma la porte sur le duo de la Sécurité. Le visiteur royal se détendit légèrement.

— Salut, Miles !

— Salut à toi ! Heu !… (Miles désigna du geste les fauteuils.) Bienvenue dans mon humble demeure. Est-ce que les micros sont branchés ?

— J’ai demandé que non, mais je ne serais pas surpris qu’Illyan me désobéisse pour mon bien.

Grégor esquissa une grimace et, balançant à la main gauche un sac en plastique d’où sortait un cliquetis assourdi, il alla s’asseoir dans le fauteuil que Miles venait de quitter. Il s’appuya contre le dossier, passa une jambe par-dessus l’accoudoir et soupira avec lassitude, comme s’il expulsait tout l’air de sa poitrine.

— Tiens. Elégante anesthésie.

Miles prit le sac que Grégor lui tendait et regarda à l’intérieur. Deux bouteilles de vin, pas moins, et rafraîchies !

— Béni sois-tu, mon fils ! Ça fait un bail que j’ai envie de m’enivrer. Comment l’as-tu deviné ? À propos, par quel miracle es-tu entré ici ? Je me croyais à l’isolement.

Miles mit la seconde bouteille au réfrigérateur, trouva deux verres et souffla dessus pour en ôter la poussière. Grégor haussa les épaules.

— On ne pouvait guère me laisser dehors. Je m’améliore pour ce qui a trait au forcing, tu sais. Ce qui n’empêche pas qu’Illyan se soit assuré que ma visite privée était vraiment privée, crois-moi. Et je ne peux rester que jusqu’à vingt-cinq. (Grégor voûta les épaules à la pensée de son emploi du temps hyper-minuté.) Par ailleurs, la religion de ta mère accorde un bon karma à ceux qui visitent les malades et les prisonniers et j’ai cru comprendre que tu es l’un et l’autre.

Ainsi, c’était sa mère qui avait alerté Grégor. Il aurait dû s’en douter en voyant l’étiquette personnelle des Vorkosigan sur le vin. Et elle n’avait pas envoyé de la bibine ! Il cessa de balancer la bouteille par le col et la porta avec un respect accru. Il souffrait trop de la solitude, désormais, pour marquer plus d’embarras que de gratitude devant l’intervention maternelle. Il ouvrit la bouteille, versa et, suivant le cérémonial en usage à Barrayar, but une gorgée le premier. De l’ambroisie… Il s’affala sur l’autre fauteuil, dans une posture semblable à celle de Grégor.

— Content de te voir, de toute façon.

Miles observa son vieux camarade de jeu. S’ils avaient été un peu plus proches par l’âge, Grégor et lui, ils auraient mieux pu se couler dans le rôle de frères adoptifs ; le comte et la comtesse Vorkosigan avaient été les tuteurs officiels de Grégor depuis le chaos et la tuerie engendrés par les prétentions au trône de Vordarian. Les membres de la cohorte enfantine avaient été réunis comme étant des compagnons « sûrs », Miles, Ivan et Elena étant à peu près du même âge, Grégor, déjà solennel à cette époque, tolérant des jeux un peu plus enfantins que ceux auxquels allaient ses préférences.

L’empereur prit son verre et le dégusta à petites gorgées.

— Navré que ça n’ait pas marché pour toi, dit-il d’un ton bourru.

Miles pencha la tête de côté.

— Courte taille, courte carrière. (Il avala une plus grande lampée.) J’avais espéré quitter la planète. Entrer dans le corps spatial.

Grégor était sorti gradé de l’Académie impériale deux ans avant que Miles n’y entre. Il haussa les sourcils en signe d’assentiment.

— C’est ce que nous souhaitons tous, non ?

— Toi, tu as fait un an de service actif dans l’espace.

— Principalement en orbite. À feindre d’exécuter des patrouilles, entouré de navettes de la Sécurité… Toute cette comédie finissait par me taper sur les nerfs. Feindre que j’étais un officier, feindre que j’accomplissais une tâche au lieu de compliquer celle des autres par ma seule présence… Toi, au moins, on t’a permis de courir des risques réels.

— La plupart n’étaient pas prévus, je t’assure !

— Je suis de plus en plus convaincu que c’est ça, le truc, poursuivit Grégor. Ton père, le mien, nos deux grands-pères… tous ont survécu à des situations militaires réelles. Voilà comment ils sont devenus de vrais officiers. Pas par ces… études.

Sa main libre s’abattit dans un mouvement tranchant de hache.

— Ils ont été projetés dans des situations réelles, corrigea Miles. La carrière militaire de mon père a commencé officiellement le jour où le bataillon de la Mort de Youri le Fou a fait irruption chez lui pour liquider la plupart des membres de sa famille… Je crois qu’il avait onze ans ou à peu près. J’aime autant me passer de cette sorte d’initiation, merci bien ! Ce n’est pas le choix que ferait un être sensé.

— Hum, acquiesça Grégor d’un ton morose.

Aussi oppressé, devina Miles, par son père légendaire, le prince Serg, que lui l’était par son père vivant, le comte Vorkosigan. Miles évoqua brièvement ce qu’il en était venu à considérer comme « les deux Serg ». L’un – peut-être l’unique version que connaissait Grégor ? – était le héros mort, bravement sacrifié sur le champ de bataille ou du moins proprement désintégré en orbite. L’autre, le Serg supprimé : le commandant névrosé, le sodomite sadique, dont la mort prématurée lors de l’invasion malheureuse d’Escobar avait peut-être été le plus grand coup de chance politique dont eût jamais bénéficié Barrayar… La moindre allusion aux facettes multiples du personnage avait-elle jamais été autorisée à filtrer jusqu’à Grégor ? Aucun de ceux qui avaient connu Serg n’en parlait, le comte Vorkosigan moins que quiconque. Un jour, Miles avait rencontré une des victimes de Serg. Il espérait que cela n’arriverait jamais à Grégor. Il décida de changer de sujet.

— Bon ! Nous sommes tous au courant de mes exploits. Qu’as-tu fabriqué, toi, ces trois derniers mois ? J’ai regretté de manquer ton anniversaire. On l’a fêté sur l’île en se soûlant, ce qui l’a rendu impossible à distinguer de n’importe quel autre jour.

Grégor sourit, puis soupira.

— Une flopée de cérémonies. Une éternité à faire le planton… On pourrait me remplacer la moitié du temps par un mannequin, tout le monde n’y verrait que du feu. J’ai passé des heures à esquiver les allusions transparentes à mon mariage que font mes divers conseillers.

— Sur ce point-là, ils n’ont pas tort. Si tu… te retrouvais écrasé demain par une table à thé à roulettes, la question de la succession se poserait de façon cruciale. Je peux citer impromptu au moins six candidats avec des atouts défendables pour le pouvoir absolu, et il en sortirait encore une quantité des murs. Certains, dénués d’ambitions personnelles, seraient néanmoins prêts à tuer pour empêcher d’autres de l’obtenir, ce qui est précisément la raison pour laquelle tu n’as pas encore d’héritier désigné.

Grégor pencha la tête.

— Tu fais partie du lot, tu sais.

— Avec ce corps ? (Miles ricana.) Il faudrait vraiment qu’ils détestent quelqu’un pour me coller cette étiquette. À ce stade, ce serait le moment ou jamais de fuir la maison. Vite et loin. Accorde-moi une faveur : marie-toi, établis-toi et dépêche-toi de nous faire une demi-douzaine de petits Vorbarrans.