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Il se versa du vin, histoire d’endiguer sa logorrhée. Il en avait trop dit. Au diable le vin ! Au diable les jérémiades !

Grégor, qui avait bâti une petite tour avec des jetons de tacti-go, la renversa du doigt.

— Oh ! mascotte n’est pas un mauvais boulot, si tu réussis à le décrocher. (Il remua lentement le tas.) Je vais voir ce que je peux faire.

Miles ne sut pas si c’était l’empereur, les micros ou de lents rouages déjà en mouvement, mais deux jours plus tard, il fut affecté à l’emploi d’assistant administratif du commandant de la garde du bâtiment. C’était du travail sur ordinateur : établissement d’horaires, paie, mise à jour des fichiers informatiques. Le travail l’intéressa une semaine, pendant qu’il se mettait au courant, puis se révéla abrutissant. Au bout d’un mois, l’ennui et la banalité commençaient à lui taper sur les nerfs. Etait-il dévoué ou simplement stupide ? Les gardes, Miles s’en rendait compte maintenant, devaient rester en prison toute la journée, eux aussi. En fait, en tant que garde, une de ses tâches était à présent de se maintenir lui-même dedans. Diablement malin de la part d’Illyan, personne d’autre n’aurait pu le retenir s’il avait été décidé à s’évader. Il trouva bien une fenêtre, une fois, et regarda dehors. Il tombait du grésil.

Allait-il ficher le camp de cette satanée boîte avant la Foire d’Hiver ? Combien de temps le monde met-trait-il à l’oublier, de toute façon ? S’il se suicidait, l’enregistrerait-on officiellement comme abattu par un garde lors d’une tentative d’évasion ? Illyan essayait-il de le faire sortir de ses gonds ou seulement de sa section ?

Un autre mois s’écoula. À titre d’exercice spirituel, il décida d’occuper ses heures de loisir à regarder toutes les vidéos d’entraînement de la bibliothèque militaire, par ordre strictement alphabétique. L’assortiment était vraiment ahurissant. Il fut particulièrement abasourdi par la vidéo de trente minutes (sous H : Hygiène) expliquant comment prendre une douche – probable qu’il y avait des recrues débarquées du fond de la cambrousse qui avaient besoin du mode d’emploi. Au bout de quelques semaines, il s’était frayé un chemin jusqu’au L : Laser (fusil) ; modèle D-67 ; circuit d’alimentation à piles, entretien, réparation, quand il fut interrompu par un appel lui enjoignant de se présenter au bureau d’Illyan.

Le bureau d’Illyan était quasiment inchangé depuis la dernière visite de Miles – la même pièce intérieure sans fenêtres, Spartiate, meublée pour l’essentiel par un bureau-console qui avait l’air de pouvoir servir à piloter un vaisseau interplanétaire – mais, maintenant, il y avait deux fauteuils. L’un était d’une vacance prometteuse. Peut-être Miles ne finirait-il pas au tapis, au propre comme au figuré, cette fois-ci ? L’autre était occupé par un homme en tenue verte avec des insignes de capitaine et l’œil d’Horus de la Sécurité impériale au col.

Intéressant, ce capitaine. Miles le jaugea du coin de l’œil tandis qu’il échangeait un salut réglementaire avec Illyan. Dans les trente-cinq ans, peut-être, il avait quelque chose de l’expression indéchiffrable d’Illyan, mais une carrure plus massive. Pâle. Il pouvait aisément passer pour un rond-de-cuir. Mais on pouvait aussi acquérir cet air-là en restant longtemps claquemuré dans un vaisseau spatial.

— Enseigne Vorkosigan, voici le capitaine Ungari. Le capitaine Ungari est un de mes agents galactiques. Il a dix ans d’expérience dans la collecte des renseignements pour cette section. Sa spécialité est l’évaluation militaire.

Ungari gratifia Miles d’un salut poli, puis le toisa. Que pouvait bien penser cet espion du soldat chétif debout devant lui ? Miles s’efforça de se tenir plus droit. Ce qu’Ungari pensait de lui n’était nullement évident.

Illyan se carra contre le dossier de son fauteuil pivotant.

— Dites-moi, enseigne, qu’avez-vous appris dernièrement par les Mercenaires Dendarii ?

— Monsieur ? (Miles eut un haut-le-corps. La conversation ne prenait pas la tournure qu’il attendait.) Je… Rien, dernièrement. J’ai reçu, il y a environ un an, un message d’Elena Bothari… Bothari-Jesek, c’est-à-dire. Mais c’était personnel. Des vœux d’anniversaire.

— Celui-là, je l’ai, répliqua Illyan avec un hochement de tête.

Ah, oui, salaud !

— Rien depuis ?

— Non, monsieur.

— Hum ! (Illyan désigna de la main le siège libre.) Asseyez-vous, Miles. Revoyons un peu d’astrographie. La géographie est la mère de la stratégie, à ce qu’on dit.

Illyan manipula un bouton sur sa console. Une carte d’itinéraire de connexions de couloirs de navigation se développa en trois dimensions sur l’écran holo. Cela ressemblait assez à la maquette en boules et bâtonnets de quelque étrange molécule organique représentée en lumière colorée, les boules figurant les carrefours d’espaces territoriaux, les bâtonnets les couloirs de navigation dans le vide qui les séparait ; indication schématique, comprimée, plutôt qu’à l’échelle. Illyan centra le champ sur une portion, des étincelles rouges et bleues au centre d’une boule par ailleurs vide, avec quatre bâtonnets plantés selon des angles irréguliers et aboutissant à des boules plus complexes comme une sorte de croix celtique déformée.

— Cela vous rappelle quelque chose ?

— Là, au centre, c’est le Moyeu de Hegen, n’est-ce pas, monsieur ?

— Bien. (Illyan lui tendit sa télécommande.) Faites-moi un résumé stratégique du Moyeu de Hegen, enseigne.

Miles s’éclaircit la voix.

— C’est un système d’étoiles doubles sans planètes habitables, quelques stations et satellites fournisseurs d’énergie, et très peu de raisons de s’attarder. Comme beaucoup de raccordements de connexions, c’est plus une étape d’itinéraire qu’un lieu de séjour, tirant sa valeur de ce qui l’entoure. Dans le cas présent, quatre régions voisines d’espace territorial avec des planètes colonisées.

Tout en parlant, Miles éclairait chaque partie de l’image pour la faire ressortir.

— Aslund. Aslund est un cul-de-sac comme Barrayar ; le Moyeu de Hegen est sa seule porte de sortie vers le grand réseau galactique. Le Moyeu de Hegen est aussi vital pour Aslund que Komarr, notre porte de sortie, l’est pour nous.

« L’ensemble de Jackson. Le Moyeu de Hegen n’est qu’une des cinq portes pour sortir de l’espace territorial de Jackson ; au-delà de l’Ensemble de Jackson se situe la moitié de la galaxie explorée.

« Vervain. Vervain a deux sorties, l’une vers le Moyeu, l’autre vers les secteurs de connexions contrôlés par l’Empire de Cetaganda.

« Et, pour finir, notre bonne voisine, la planète et république de Pol. Laquelle à son tour se connecte à notre propre multiconnecteur Komarr. De Komarr part aussi notre pas de sortie extra-orbital direct vers le secteur de Cetaganda, itinéraire qui a été ou étroitement contrôlé ou carrément interdit à la circulation cetagandienne depuis que nous l’avons conquis.

Miles jeta un coup d’œil à Illyan, quêtant son approbation, espérant être sur la bonne piste. Illyan regarda à son tour Ungari qui haussa imperceptiblement les sourcils. En signe de quoi ?

— Stratégie des couloirs de navigation. Le jeu du berceau avec le diable qui manipule les ficelles, murmura Illyan en guise de commentaires. (Il plissa les yeux en examinant son schéma scintillant.) Quatre joueurs, une seule table de jeu. Cela devrait être simple… En tout cas, dit-il en tendant la main pour récupérer sa télécommande, avant de se réinstaller dans son fauteuil avec un soupir, le Moyeu de Hegen est plus qu’un goulet d’étranglement éventuel pour les quatre systèmes voisins. Vingt-cinq pour cent de notre propre trafic commercial y passe, via Pol. Et bien que Vervain soit fermé aux vaisseaux militaires de Cetaganda, tout comme Pol l’est aux nôtres, les Cetas expédient des échanges civils importants par le même couloir et au-delà de l’Ensemble de Jackson. Tout ce qui – comme une guerre – bloque le Moyeu de Hegen semble aussi dommageable à Cetaganda qu’à nous.