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Miles, largement à l’heure pour son premier rendez-vous, déambulait à pas lents, jouissant de la sensation d’être dans une station spatiale. L’endroit n’était pas aussi détaché des contingences que la Colonie de Beta, mais on y baignait à plein dans la technoculture galactique. Rien à voir avec ce pauvre Barrayar à demi arriéré. Le fragile environnement artificiel exhalait sa bouffée de danger, toute prête à se métamorphoser instantanément en terreur claustrophobe en cas de subite dépressurisation accidentelle. Un hall bordé de boutiques, d’hôtels et de restaurants formait une agora.

Un trio bizarre flânait de l’autre côté du hall animé, en face de Miles. Un homme de haute taille habillé de vêtements amples – tenue idéale pour camoufler des armes – examinait le hall d’un œil inquiet. L’homologue d’Overkill, sans doute. Le sergent et lui se repérèrent et échangèrent des regards sévères, après quoi ils prirent bien soin de s’ignorer. L’homme imperturbable placé sous la protection du gorille se fondait dans une quasi-invisibilité à côté de sa femme.

Petite, mais dotée d’une forte présence, sa mince silhouette et ses cheveux blond-blanc coupés ras lui donnaient un curieux air de lutin. Son costume noir de spationaute semblait chatoyer d’étincelles électriques, collant à sa peau comme un ruissellement d’eau, tenue de soirée en plein jour. Des talons aiguilles noirs la rehaussaient de quelques futiles centimètres. Ses lèvres étaient peintes en un rouge carmin assorti à l’écharpe moirée qui drapait ses épaules d’albâtre et retombait en cascade sur la blanche nudité de son dos. Elle semblait… coûteuse.

Elle capta le regard fasciné de Miles, et lui rendit froidement regard pour regard.

— Victor Rotha ?

La voix près de Miles le fit sursauter.

— Monsieur Liga ? hasarda Miles en se retournant brusquement.

Traits pâles de lapin, lèvres protubérantes, cheveux noirs, c’était l’homme qui prétendait désirer améliorer l’armement de ses gardes affectés à la sécurité de sa mine sur son astéroïde. D’accord. Comment – et où – Ungari avait-il déniché ce gus ? Miles n’était pas sûr de désirer le savoir.

— J’ai retenu une chambre pour que nous puissions discuter, dit Liga en souriant, avec une inclinaison de tête vers l’entrée d’un hôtel voisin. Tiens, ajouta-t-il, on dirait que tout le monde fait des affaires, ce matin.

Du menton il indiqua, de l’autre côté de l’agora, le trio qui était maintenant un quartette et s’éloignait. Les pans de l’écharpe claquaient comme des bannières dans le sillage de la blonde à la démarche rapide.

— Qui est cette femme ? demanda Miles.

— Je ne sais pas. Mais l’homme qu’ils suivent est votre principal concurrent ici. L’agent de la maison Fell, spécialiste des armements sur Jackson.

Il avait davantage l’air d’un homme d’affaires d’âge mûr, du moins de dos.

— Pol laisse les Jacksoniens opérer ici ? Je croyais qu’il y avait de l’électricité dans l’air ?

— Entre Pol, Aslund et Vervain, oui, répliqua Liga. Le consortium jacksonien proclame haut et fort sa neutralité. Il espère manger à tous les râteliers. Mais ce n’est pas le meilleur endroit pour parler politique. Allons-y.

Comme Miles s’y attendait, Liga les installa dans ce qui était manifestement une chambre d’hôtel, louée pour la circonstance. Miles y alla de son baratin appris par cœur, énumérant les armes de poing, inventoriant avec bagou les stocks disponibles et précisant les dates de livraison.

— J’avais espéré, dit Liga, quelque chose d’un peu plus… probant.

— J’ai un autre choix d’échantillons à bord de mon vaisseau, expliqua Miles. Je ne voulais pas déranger les douaniers de Pol avec ça, mais je peux vous en donner un aperçu par vidéo. (Miles sortit les manuels sur les armes lourdes.) Cette vidéo a seulement un but instructif, naturellement, étant donné que ces armes appartiennent à une catégorie interdite aux personnes privées dans l’espace territorial de Pol.

— Dans l’espace territorial de Pol, en effet, acquiesça Liga. Mais la loi de Pol n’a pas cours dans le Moyeu de Hegen. Pas encore. Il suffit de larguer les amarres et de s’éloigner de Pol Six un peu au-delà des limites de contrôle de circulation des dix mille kilomètres pour conclure toutes les affaires que vous voulez, et ce de façon parfaitement légale. Le hic, c’est la livraison de la cargaison dans l’espace territorial de Pol.

— Les livraisons difficiles sont une de mes spécialités, lui assura Miles. Moyennant un léger supplément, bien entendu.

— Bien. (Liga fit défiler vivement les pages de l’album vidéo en appuyant sur la touche « avance rapide ».) Ces arcs à plasma de forte puissance… quelle comparaison avec les brise-nerfs de force canon ?

Miles haussa les épaules.

— Tout dépend de ce que vous désirez – liquider seulement les gens, ou les gens et les installations du même coup. Je peux vous consentir un très bon prix pour les brise-nerfs.

Il énonça un chiffre en crédits de Pol.

— J’ai eu dernièrement un meilleur prix que ça, pour un appareil de même kilowattage, dit Liga d’un ton détaché.

— Je m’en doute, répliqua Miles en souriant. Poison, un crédit. Antidote, cent crédits.

— Qu’est-ce que vous voulez dire par là, hein ? questionna Liga d’un ton soupçonneux.

Miles déroula son revers, passa le pouce le long de la doublure et en retira un minuscule pin’s vidéo.

— Jetez un coup d’œil là-dessus.

Il l’inséra dans la visionneuse. Une silhouette prit vie et pirouetta. Elle était revêtue de la tête aux pieds dans ce qui ressemblait à un collant en mailles scintillant.

— Un peu sujet aux courants d’air, pour un sous-vêtement long, hein ? commenta Liga, sceptique.

Miles lui décocha un sourire peiné.

— Ce que vous regardez est ce sur quoi toutes les forces armées de la galaxie aimeraient mettre la main. Le filet-bouclier brise-nerfs individuel parfait. La plus récente carte technologique de la Colonie de Beta.

Les pupilles de Liga se dilatèrent.

— Première nouvelle ! J’ignorais qu’ils étaient sur le marché.

— Pas sur le marché libre. C’est, pour ainsi dire, une vente préalable privée.

La Colonie de Beta n’avait fait de publicité que pour son second ou troisième plus récent avantage ; devancer les concurrents de plusieurs longueurs en riposte et défense avait été l’activité principale de ce monde brutal depuis deux générations. Avec le temps, la Colonie de Beta mettrait son nouveau dispositif sur le marché de toute la galaxie. En attendant…

Liga s’humecta les lèvres.

— Nous nous servons beaucoup de brise-nerfs.

— Pour les gardes de sécurité ? Sûr, mon pote !

— Je dispose d’un stock limité de filets-boucliers. Premier arrivé, premier servi.

— Le prix ?

Miles énonça un chiffre en dollars de Beta.

— Scandaleux !

Liga se rejeta en arrière dans son fauteuil flottant. Miles haussa les épaules.

— Réfléchissez. Cela pourrait porter un grave préjudice à votre… organisation de ne pas être la première à renforcer ses défenses. Je suis certain que vous l’imaginez sans mal.

— Je… vais devoir vérifier. Puis-je avoir ce disque pour le montrer à mon… supérieur ?

Miles pinça les lèvres.

— Ne vous faites pas prendre avec.