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Le cinquième jour, alors que Miles venait de conclure que sa première impression avait été trop sévère, Ahn rechuta. Miles attendit une heure au bureau de la météo qu’Ahn et son nez fassent leur apparition pour commencer la tâche prévue. À la fin, il releva les données de routine fournies par le système infographique peu fiable, les introduisit néanmoins dans l’ordinateur et s’en alla à la découverte.

Il finit par dénicher Ahn, toujours sur sa couchette, dans sa chambre du quartier des officiers, abruti et ronflant, puant l’alcool éventé… du cognac de fruits ? Miles frissonna. Secousses, bourrades et appels cornés dans l’oreille d’Ahn ne réussirent pas à ramener celui-ci à la conscience. Gémissant, il s’enfouit plus profondément sous ses couvertures, dans ses miasmes délétères. Miles écarta avec regret des visions d’actes de violence et se prépara à travailler seul. De toute façon, il n’allait pas tarder à se retrouver réduit à ses propres lumières.

Il s’éloigna en boitillant vers le garage. La veille, selon le programme prévu, Ahn l’avait emmené en patrouille de maintenance des cinq stations météo télédétectrices les plus proches de la base. Le tour des six autres avait été envisagé pour le jour même. Les déplacements de routine sur l’île Kyril se faisaient dans un véhicule tout terrain, baptisé scat-cat, qui s’était révélé presque aussi amusant à conduire qu’un traîneau anti-grav. Les scat-cats étaient des pendeloques iridescentes du style rase-mottes qui filaient comme des zèbres à travers la toundra mais étaient garanties résister au souffle des oua-ouas. Le personnel de la base, avait-on laissé entendre à Miles, en avait ras le bol de repêcher les traîneaux anti-grav dans la mer glaciale.

Le garage était lui aussi un bunker à demi enterré, comme la plupart des autres de la base Lazkowski, mais plus vaste. Miles trouva le caporal, comment s’appelait-il déjà ? Olney, qui avait enregistré la sortie d’Ahn et de lui-même, le jour précédent. Son assistant, qui remonta le scat-cat du parking souterrain, avait lui aussi un vague air de connaissance. Grand, le cheveu brun, vêtu d’un treillis noir – portrait-robot qui s’appliquait à quatre-vingts pour cent des hommes de la base –, ce n’est que lorsqu’il parla que son fort accent mit Miles sur la voie. C’était un des deux zouaves qui avaient fait des commentaires sur la piste d’atterrissage. Miles se contraignit à rester de marbre.

Il vérifia avec soin la liste de contrôle du matériel et du ravitaillement du véhicule avant de la signer, comme Ahn le lui avait recommandé. Tous les scat-cats devaient être pourvus d’un équipement complet de survie pour le froid. Le caporal Olney regarda avec un léger dédain Miles tâtonner pour identifier chaque ustensile. Oui, d’accord, je suis lent, songea Miles avec irritation. Nouveau et inexpérimenté. La seule façon dont je deviendrai moins bleu et plus expérimenté, c’est en procédant ainsi – par étapes. Il surmonta sa gêne tant bien que mal. De précédentes et pénibles expériences lui avaient inculqué que cet état d’esprit était extrêmement dangereux. Concentre-toi sur ton travail, pas sur ces satanées gens qui sont autour de toi. Tu as toujours eu des gens pour t’observer. Tu en auras probablement toujours.

Miles étala la carte sur la carrosserie du scat-cat et indiqua au caporal l’itinéraire qu’il avait l’intention de suivre. Cette information était aussi une procédure de sécurité, selon Ahn. Olney acquiesça d’un grognement avec une expression soigneusement étudiée d’ennui patient, manifeste mais à la limite de ce que Miles serait obligé de remarquer.

Le tech en noir, Pattas, qui regardait par-dessus l’épaule plus haute que l’autre de Miles, pinça les lèvres et déclara :

— Oh, enseigne… (de nouveau, l’affectation de politesse s’arrêtait à la lisière de l’ironie)… vous allez à la Station neuf ?

— Oui.

— Pour plus de sécurité, veillez à garer votre scat-cat à l’abri du vent, dans ce creux-là, juste au-dessous de la station. (De son doigt épais, Pattas montra une zone marquée en bleu.) Comme ça, vous serez sûr que votre scat-cat redémarrera.

— La batterie nucléaire dans ces moteurs est prévue pour un trajet spatial, remarqua Miles. Comment pourrait-il ne pas redémarrer ?

Le regard d’Olney brilla, puis devint subitement d’une parfaite neutralité.

— Oui, mais dans le cas d’une saute inattendue de oua-oua, il risque d’être emporté.

Je le serais avant lui, songea Miles.

— Je croyais ces scat-cats trop lourds pour être emportés.

— Ma foi, peut-être pas emportés, mais renversés – ça leur arrive, murmura Pattas.

— Oh !… D’accord, merci.

Le caporal Olney toussa. Pattas agita gaiement la main quand Miles démarra.

Le menton de Miles se redressa d’un coup sec sous l’effet du vieux tic nerveux. Il respira à fond pour se calmer et manœuvra le scat-cat pour s’éloigner de la base à travers champs. Il accéléra à une vitesse plus satisfaisante, cinglant la végétation brune semblable à des fougères. Il avait passé… quoi ? un an et demi ? deux ans ? à l’Ecole impériale à prouver tant et plus sa compétence à tous les satanés types qu’il avait en face de lui. La troisième année lui avait peut-être gâté la main, il manquait de pratique. En serait-il de même chaque fois qu’il occuperait un nouveau poste ? Probablement, conclut-il amèrement en accélérant encore. Mais il savait que tel était le jeu quand il avait insisté pour y jouer.

La journée était presque tiède, le pâle soleil presque brillant et Miles presque joyeux quand il arriva à la Station six, sur le littoral oriental de l’île. C’était un plaisir d’être seul, pour changer, juste lui et son travail. Pas de spectateurs. Il avait tout loisir de prendre son temps et de faire les choses comme il faut. Il s’activa avec soin, vérifiant les batteries nucléaires, vidant les sondes, traquant des signes de corrosion, de détérioration ou de faiblesse de raccordement dans le matériel. Et si un outil lui échappait, personne n’était là pour émettre des réflexions sur ces mutants atteints de paralysie agitante. À mesure que sa tension diminuait, il commettait moins de maladresses, et le tic disparut. Il acheva sa tâche, s’étira et inspira l’air humide, jouissant de ce luxe inaccoutumé qu’était la solitude. Il consacra même quelques minutes à examiner les animalcules complexes que la mer avait échoués le long du rivage.

Une sonde de la Station huit était endommagée, un enregistreur d’humidité cassé. Une fois qu’il eut fini de le remplacer, il s’aperçut qu’il avait établi son planning de façon beaucoup trop optimiste. Le soleil descendait en oblique vers un crépuscule émeraude au moment où il quittait la Station huit. Le temps qu’il atteigne la Station neuf, dans une zone où la toundra se hérissait de saillies rocheuses près du littoral nord, il faisait quasiment nuit noire.

La Station dix, ainsi que le vérifia de nouveau Miles en consultant sa carte à la clarté de sa lampe-stylo, était située dans les montagnes volcaniques au milieu des glaciers. Inutile d’essayer de la trouver dans l’obscurité. Il patienterait pendant les quatre brèves heures précédant l’aube. Il signala son changement de plan à la base distante de cent soixante kilomètres. Le planton de service eut l’air de s’en foutre royalement.

Parfait. Miles allait mettre l’occasion à profit pour tester l’équipement du scat-cat. Il valait mieux se faire la main quand les conditions étaient favorables plutôt qu’en plein blizzard. Une fois monté, le petit abri en forme de bulle prévu pour deux hommes avait presque des allures de palais. En hiver, on l’isolait avec des plaques de neige tassée. Miles l’installa sous le vent du scat-cat ; il avait garé l’engin dans le creux que lui avait indiqué Pattas, à quelques centaines de mètres de la station météo perchée sur un affleurement rocheux.