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Immergé dans un bac d’eau chaude à l’infirmerie de la base, Miles réfléchit mûrement au châtiment des deux salopards du garage. Les suspendre, tête en bas, à un traîneau anti-grav à faible altitude au-dessus de la mer… Les ligoter à un poteau et les enfoncer jusqu’au cou dans un marécage en plein blizzard… Mais une fois réchauffé, séché, réexaminé et restauré, Miles envisagea les choses plus calmement.

Il ne s’agissait pas d’une tentative d’assassinat. Et, par conséquent, d’une affaire qu’il devait soumettre à Simon Illyan, chef redouté de la Sécurité impériale et bras gauche de son père. La vision des sinistres officiers de la Séclmp venant pour emmener les deux plaisantins au diable vauvert, si agréable fût-elle, était aussi irréaliste que vouloir tuer des souris à coups de canon maser. Au reste, pouvait-on les envoyer dans un endroit pire qu’ici ?

Ils avaient seulement voulu que son scat-cat s’embourbe pendant qu’il s’occupait de l’entretien de la station météo, ce qui l’aurait obligé à demander à la base qu’on lui envoie du matériel lourd pour récupérer le véhicule. Embarrassant mais pas mortel. Ils ne pouvaient pas prévoir que Miles, par mesure de sécurité, utiliserait la chaîne, précaution qui, en dernière analyse, avait failli le tuer. Tout au plus était-ce une question qui concernait la sécurité militaire – ce qui était déjà assez grave – ou qui relevait de la discipline ordinaire.

Passant le pied par-dessus le bord de son lit, il repoussa de-ci de-là ce qui restait de son repas du bout des orteils. L’infirmier vint à passer et observa les reliefs.

— Ça va, enseigne ?

— Très bien, dit Miles d’un ton morose.

— Vous n’avez pas fini votre plateau.

— Ça m’arrive souvent. On m’en donne toujours trop.

— Oui, je pense que vous êtes tout à fait…

L’infirmier enregistra une note sur son fichier, examina les oreilles de Miles, puis ses orteils, les pétrissant avec l’habileté que confère une longue expérience.

— Vous n’allez pas en perdre un bout, on dirait. Vous avez de la veine.

— Soignez-vous beaucoup de gelures ?

Ou suis-je le seul imbécile ? Les rangées de lits vides semblaient confirmer l’hypothèse.

— Oh ! dès que les bleus débarquent, cette salle est pleine à craquer. Gelures, pneumonies, fractures, contusions, commotions… on ne chôme pas quand arrive l’hiver. Des lits à touche-touche pleins d’imb… de stagiaires malchanceux. Plus quelques instructeurs qu’ils entraînent avec eux.

L’infirmier se redressa et tapota quelques autres entrées sur son fichier informatique.

— Je suis hélas obligé de vous inscrire comme guéri.

— Hélas ?

Miles haussa les sourcils d’un air interrogateur.

L’infirmier se raidit dans la posture de qui transmet de mauvaises nouvelles officielles : Je n’y suis pour rien, on m’a chargé de vous le dire.

— Vous avez ordre de vous présenter au bureau du commandant de la base dès que je vous aurai autorisé à quitter l’infirmerie.

Miles envisagea une rechute immédiate. Non. Mieux valait en finir avec les choses désagréables.

— Dites-moi, infirmier, suis-je le seul à avoir coulé un scat-cat ?

— Certes non ! Les bleus en perdent cinq ou six par saison. Plus quelques-uns qui sont embourbés. Les ingénieurs en ont leur claque. Le commandant leur a promis que, la prochaine fois, il…

L’infirmier se tut.

Super ! songea Miles. Epatant ! Au moins savait-il à quoi s’attendre.

Miles se précipita dans sa chambre pour se changer, devinant qu’un peignoir d’hôpital n’était pas la tenue adéquate pour l’entrevue annoncée. Il se trouva aussitôt confronté à une petite difficulté. Son treillis noir semblait trop décontracté, son uniforme vert trop officiel pour aller ailleurs qu’au quartier général impérial de Vorbarr Sultana. Le pantalon et les boots de sa tenue de campagne étaient toujours au fond du marécage, ses uniformes de rechange se baladaient encore quelque part dans l’espace.

Il ne pouvait guère espérer en emprunter à un voisin. Sa garde-robe était faite sur mesure, pour un prix approximativement quatre fois supérieur au coût des fournitures impériales. La dépense se justifiait en partie par l’effort de la rendre indiscernable des vêtements de confection tandis qu’elle masquait au mieux les bizarreries de son corps grâce à l’art consommé du tailleur. Il jura à mi-voix et enfila sa tenue de gala, y compris les bottes brillant comme un miroir, qui avaient au moins l’avantage de dissimuler les armatures orthopédiques.

Général Stanis Metzov, annonçait la pancarte sur la porte. Commandant de la base. Miles s’était appliqué à éviter son supérieur depuis leur première rencontre fâcheuse. Ahn lui avait facilité la tâche. En dépit de la population restreinte de l’île Kyril, ce dernier évitait tout le monde. Miles regrettait à présent de ne pas avoir fait plus d’efforts pour se lier avec ses collègues officiers au mess. Rester isolé, même si c’était pour se concentrer sur ses tâches nouvelles, avait été une erreur. En cinq jours, quelqu’un aurait sûrement mentionné au hasard de la conversation la bourbe meurtrière et vorace de l’île.

Un caporal, installé devant une console de communication, introduisit Miles dans le bureau de Metzov. Il devait tenter de se remettre dans les bonnes grâces du général ; il avait besoin d’alliés. Le militaire le regarda sans sourire tandis qu’il saluait et restait au garde-à-vous.

Ce jour-là, le général portait un agressif treillis noir. À l’altitude où se situait Metzov dans la hiérarchie, le choix de cette tenue indiquait habituellement une identification voulue avec le Combattant. L’unique concession à son rang était le repassage impeccable dudit treillis. Ses décorations avaient été réduites au modeste nombre de trois, toutes pour conduite exceptionnelle en temps de guerre. De la modestie bidon ; dégagées du feuillage environnant, elles sautaient aux yeux. Mentalement, Miles applaudit, et même envia, l’effet produit. Metzov avait l’allure de son rôle, le chef de guerre absolument, inconsciemment naturel.

Une chance sur deux quant au choix de l’uniforme, et il a fallu que je me goure ! songea Miles, rageur, cependant que Metzov examinait, sarcastique, l’élégante sobriété de l’uniforme de gala, montrant, par un froncement de sourcils, que Miles avait tout d’un cornichon appartenant au quartier général vor.

Miles coupa court à l’inspection de Metzov en l’obligeant à attaquer.

— Oui, mon général ?

Metzov se radossa à son fauteuil, lèvres pincées.

— Je vois que vous avez trouvé un pantalon, enseigne Vorkosigan. Et des bottes de cavalier. Vous savez, il n’y a pas de chevaux, sur cette île.

Au Q. G. impérial non plus, songea Miles avec agacement. Ce n’est pas moi qui ai créé le modèle de ces foutues bottes. Un jour, son père avait émis l’idée que les officiers de son état-major devaient en avoir besoin pour enfourcher leur dada, monter sur leurs grands chevaux et galoper dans leurs cauchemars.

Ne trouvant aucune repartie spirituelle à la boutade du général, Miles garda un silence digne, menton levé, en position de repos.

Metzov se pencha, croisa les mains et passa aux choses sérieuses, le regard redevenu dur.

— Vous avez perdu un scat-cat coûteux, avec tout son matériel, pour l’avoir garé dans une zone de géliturbation. N’enseigne-t-on donc plus la lecture des cartes à l’Ecole impériale ? Se préoccupe-t-on seulement de diplomatie dans la nouvelle armée ?… Genre comment boire le thé avec les dames ?