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— Où es-tu en cet instant, Laelia Manilia ? interrogea le magicien de sa voix impérieuse.

— Je me baigne dans ta fontaine, répondit-elle d’une voix puérile. L’eau merveilleuse me recouvre entièrement. J’en suis toute frissonnante.

— Très bien, acquiesça Simon, reste plongée dans ton bain divin.

Puis, à mon intention, il ajouta :

« Les charmes de cette espèce sont sans importance et ne font de mal à personne. Je pourrais t’ensorceler de telle manière que tu ne marches plus qu’en chancelant et que tu te blesses sans cesse aux mains et aux pieds. Mais pourquoi gaspiller mes pouvoirs sur toi ? Puisque tu es là, nous allons du moins te prédire l’avenir. Dors, Helena.

— Je dors, se hâta de répondre la prêtresse, d’un ton soumis mais les yeux ouverts.

— Que vois-tu au sujet du jeune Minutus ? demanda le magicien.

— Son animal est le lion. Mais le lion s’avance vers moi et me barre la route. Derrière le lion, un homme le perce de flèches mortelles, mais je ne puis voir ses traits, il est trop loin dans l’avenir. En revanche, je vois clairement Minutus dans une vaste pièce dont les rayonnages supportent des piles de parchemins. Une femme lui en tend un, déroulé entre ses mains noircies. Son père n’est pas son père. Méfie-toi d’elle, Minutus. À présent, je vois Minutus qui chevauche un étalon noir. Il porte un plastron brillant. J’entends rugir la foule. Mais le lion se jette sur moi. Je dois fuir. Simon, Simon, sauve-moi !

Elle poussa un cri et se cacha le visage dans les mains. Simon s’empressa de lui ordonner de se réveiller et, avec un regard pénétrant, me lança :

— Tu ne pratiques pas la sorcellerie, n’est-ce pas ? Avec ton lion qui te protège si jalousement ? Ne t’inquiète pas, tu ne feras jamais plus de cauchemars si tu penses à appeler ton lion dans tes rêves. As-tu entendu ce que tu désirais entendre ?

— C’était fort plaisant à entendre, que ce soit la vérité ou non. Mais je me souviendrai certainement de toi et de ta fille si un jour je chevauche un coursier noir au milieu d’une foule hurlante.

Simon se tourna vers tante Laelia en l’appelant par son nom.

— Il est temps pour toi de sortir de la fontaine, ordonna-t-il. Que ton ami te pince le bras, pour nous laisser un signe. Cela ne fera pas mal, une simple piqûre. À présent, réveille-toi.

Peu à peu, elle émergea de sa transe, et se caressa le bras gauche, la même expression de ravissement s’attardant sur ses traits. Je l’examinai curieusement et découvris effectivement une marque rouge sur son bras décharné. Tante Laelia la frotta en frémissant si voluptueusement que je détournai les yeux. La prêtresse me contemplait en souriant, les lèvres entrouvertes et offertes. Mais elle non plus, je ne voulais pas la regarder en face. Mon esprit était confus et tout mon corps parcouru de picotements. Je leur dis adieu, mais je dus prendre la tante, hébétée, par le bras pour l’entraîner hors de la pièce.

Dans la boutique, la prêtresse prit un petit œuf de pierre noire et me le tendit.

— Prends-le, je te l’offre. Qu’il protège tes rêves quand la lune est pleine.

J’éprouvais la plus grande répugnance à accepter un présent d’elle.

— Je te l’achète, rétorquai-je. Combien en veux-tu ?

— Je me contenterai d’une mèche de tes cheveux.

Helena tendit la main vers mon front mais tante Laelia, s’interposant, murmura que je ferais mieux de donner de l’argent à cette femme.

Je n’avais pas de menue monnaie sur moi. Aussi lui offris-je une pièce d’or. Après tout, c’était peut-être le prix mérité de ses prédictions. Elle accepta avec indifférence.

— Tu attribues une bien grande valeur à tes cheveux, ironisa-t-elle. Mais tu as peut-être raison. La déesse seule le sait.

Je retrouvai Barbus devant le temple. Il faisait de son mieux pour dissimuler qu’il avait profité de l’occasion pour boire un ou deux pots de vin, mais ne pouvait s’empêcher de trébucher à chaque pas en se traînant à notre suite. De fort bonne humeur, tante Laelia ne cessait de caresser la marque rouge sur son bras.

— Voilà longtemps que Simon n’avait été aussi gracieux avec moi, m’expliqua-t-elle. Je me sens revigorée et rafraîchie, à tous points de vue. Il n’y a plus trace de douleur dans mon corps. Tout de même, tu as bien fait en refusant une mèche de cheveux à cette dévergondée. Elle aurait pu l’utiliser pour venir en rêve dans ton lit.

Portant la main à la bouche, elle me jeta un regard effrayé :

— Tu es déjà presque un homme. Ton père a dû t’expliquer ces choses. Je suis certaine que ce magicien pousse parfois des hommes, grâce à la sorcellerie, à coucher avec sa fille. Dans ce cas, l’homme tombe entièrement en leur pouvoir, même si lui, en échange, a obtenu d’autres bienfaits. J’aurais dû te prévenir. Mais je n’y ai pas songé parce que tu es encore mineur. Je ne m’en suis avisée qu’à l’instant où elle a voulu te prendre une mèche de cheveux.

Après l’entrevue avec le magicien, les mauvais rêves ne revinrent plus hanter mon sommeil. Quand un cauchemar tentait de s’imposer à moi, le souvenir du conseil de Simon surgissait au milieu de mes songes. J’appelais mon lion à la rescousse et il venait étendre à mes côtés sa grande ombre protectrice. Sa présence était si vivante et réelle que je pouvais lui caresser la crinière. Au sortir de l’étreinte légère de Morphée, cette crinière n’était plus qu’un repli de couverture.

Mon lion me plaisait tant qu’il m’arrivait de l’appeler à l’instant même où je m’endormais et même, quand je me promenais en ville, j’imaginais qu’il marchait dans mes pas pour me protéger.

Quelques jours après notre visite à Simon le magicien, la requête de mon père me revint en mémoire et je me rendis à la bibliothèque sise au pied du Palatin. Là, je demandai à un vieil employé décrépit l’histoire des Étrusques par l’empereur Claude. Ma tenue d’adolescent m’attira d’abord un refus dédaigneux, mais j’étais déjà las de la prétention des Romains. Je rétorquai sèchement que j’écrirais à l’empereur pour lui signaler que dans cette bibliothèque, on m’avait interdit de lire ses œuvres. Aussitôt l’employé de changer d’attitude et de presser un esclave en tunique bleue de me conduire dans une salle où Claude était représenté en Apollon. Le sculpteur n’avait nullement cherché à dissimuler ses membres grêles et son visage d’ivrogne, de sorte que la statue m’apparut plus absurde qu’imposante. Du moins l’empereur se montrait-il dépourvu de vanité, puisqu’il avait autorisé l’érection de pareille effigie de lui dans un lieu public.

Je me crus d’abord seul dans la pièce et me fis la réflexion que les Romains ne devaient pas placer bien haut les talents littéraires de Claude, puisqu’ils laissaient la poussière recouvrir les parchemins de ses œuvres. Mais je finis par remarquer, sous une étroite fenêtre par où passait le jour, une jeune femme qui me tournait le dos et qui lisait. Je fouillai parmi les rouleaux pendant un moment, en quête de l’histoire étrusque. Je découvris une histoire de Carthage également écrite par Claude, mais les tubes qui normalement contenaient l’histoire des Étrusques étaient vides. En tournant mes regards de nouveau vers la femme qui lisait, je m’aperçus qu’une pile de rouleaux s’élevait à ses côtés.

J’avais réservé toutes les heures du jour aux mornes travaux d’érudition, car, en raison des risques d’incendie, il était interdit de lire à la lueur des lampes et je ne voulais pas partir sans avoir achevé ma tâche. C’est pourquoi je rassemblai mon courage, car j’étais timide lorsqu’il s’agissait de parler aux inconnues, et m’approchai de celle qui lisait pour lui demander si elle avait en main l’histoire des Étrusques et si elle avait besoin de tous les rouleaux à la fois. Mon ton était moqueur car, si je n’ignorais pas que beaucoup de jeunes filles de bonne famille étaient des dévoreuses de livres, je savais qu’elles préféraient le merveilleux, l’aventure et les intrigues amoureuses des récits d’Ovide.