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Que dire de Paulus Vitellius, sinon qu’il passa son adolescence à Capri, où il fut le compagnon de l’empereur Tibère. Je suis fort reconnaissant à son père pour les services notoires qu’il a rendus à l’État, mais Paulus était si dépravé que son père lui-même ne voulut pas lui confier la charge de proconsul. Et s’il parvint à s’attirer les faveurs de trois empereurs, ce fut plus pour ses vices que pour ses mérites. Néron comptait parmi ses amis mais, quant à moi, je ne lui manifestai jamais beaucoup d’affection. À vrai dire, j’évitais autant que possible sa compagnie.

Je ne lui connais qu’une seule action honorable : le jour où il défia le sénat en célébrant un sacrifice en l’honneur de Néron sur le champ de Mars en présence de tous les collèges sacerdotaux. À la suite de quoi, au cours du banquet qu’il donna, il demanda aux plus célèbres citharèdes romains de chanter seulement les hymnes composés par Néron, qu’il applaudit avec le même enthousiasme que du vivant de ce dernier. Il vengeait ainsi Néron de la lettre insultante que le propréteur Julius Vindex lui avait adressée et qui avait déclenché la guerre civile. L’auteur de la missive accusait Néron d’être un piètre citharède, sachant qu’il lui faisait là la pire des insultes.

Au cours du huitième mois du règne de Vitellius, j’appris une nouvelle qui me fit penser que le moment était venu de convaincre Vespasien. Je lui promis de lui prêter la totalité de ma fortune, avec, pour toute garantie, une partie du trésor du temple de Jérusalem et des prises de guerre, afin qu’il disposât des fonds nécessaires à son accès au trône. J’évoquais mes vingt coffres d’or, qui ne représentaient évidemment pas toute ma fortune, mais je tenais à lui prouver que j’avais confiance dans ses chances d’accéder au pouvoir.

Mais le prudent Vespasien résista si longtemps à mes exhortations que Titus, sur mon conseil, dut rédiger une fausse lettre de Galba dans laquelle ce dernier désignait Vespasien pour lui succéder. Titus est le plus habile faussaire qu’il m’ait été donné de rencontrer. Il est capable d’imiter à la perfection n’importe quelle écriture. Mais je me garderai d’en tirer ici des conclusions au sujet de son caractère.

Je ne saurais dire si Vespasien crut à l’authenticité de la lettre de Galba. Il connaît son fils. Toujours est-il qu’il passa la nuit à maugréer dans sa tente jusqu’à ce que, n’y tenant plus, je fisse remettre quelques sesterces à chaque légionnaire afin qu’ils s’assemblassent à l’aube pour acclamer Vespasien comme leur empereur. Ils ne se firent pas prier et l’auraient probablement fait pour rien, mais je souhaitais gagner du temps. Sur mes instances, ils firent savoir aux autres légions que, du point de vue du simple soldat, Vespasien était un chef compréhensif et un habile stratège.

Quelques jours après avoir été proclamé empereur au pied des murailles de Jérusalem, Vespasien eut la surprise d’apprendre que les légions de Mésie et de Pannonie lui avaient juré fidélité à son insu. Il s’empressa donc de faire envoyer aux légions du Danube la somme qu’on leur devait depuis fort longtemps, ainsi que leur missive le suggérait. Mes coffres d’or, laissés en dépôt à Césarée, se révélèrent fort utiles, bien que Vespasien eût commencé par marmonner que la mention de son seul nom serait une garantie suffisante pour les riches négociants syriens et égyptiens. Déjà, nos opinions divergèrent à propos de la part du trésor du temple de Jérusalem qui me revenait.

Je lui rappelai que Jules César s’était vu offrir d’immenses sommes d’argent avec son nom et les espoirs que l’on fondait sur lui pour toute garantie, ce qui avait contraint ses créanciers à le soutenir politiquement puisqu’en dernier ressort, ils comptaient sur les richesses de la Gaule fertile et prospère pour se faire rembourser. Mais César était jeune alors, et sa personnalité était plus marquante tant politiquement que militairement que celle de Vespasien, déjà vieux, dont la simplicité était connue de tous. Après une discussion animée, nous parvînmes cependant à un accord.

Jamais, du vivant de Néron, Vespasien n’aurait trahi son serment militaire ni la confiance de l’empereur. La loyauté est une qualité estimable, mais les changements de situation politique ne tiennent pas compte du sens de l’honneur.

En dépit de tout, Vespasien accepta de prendre en charge le fardeau de l’empire quand il se rendit compte que les affaires de l’État se dégradaient de plus en plus et que la guerre civile durerait éternellement s’il n’intervenait pas. Il songeait avant tout aux gens ordinaires, qui ne désirent rien de plus qu’un bonheur domestique simple et tranquille.

Je crois de mon devoir de te raconter tout ce que je sais de la mort de Néron, bien que je n’en aie pas été le témoin oculaire. Mais poussé par la curiosité aussi bien que par le souvenir de notre amitié, j’ai voulu examiner de plus près l’obscure histoire de sa fin, pour autant que les événements ultérieurs, fort embrouillés, me l’ont permis.

Quand Néron vit que la révolte du propréteur gaulois Vindex prenait un tour dangereux, il ne s’attarda pas plus longtemps à Naples et regagna Rome. Même s’il avait été blessé par l’insultante missive de Vindex, il n’avait pas pris d’abord l’affaire au sérieux. À Rome, Néron convoqua à une réunion secrète en son palais le sénat et les membres les plus influents du conseil de l’ordre équestre. Mais sensible comme il l’était, il ne manqua pas de remarquer la froideur et le mauvais vouloir de ses interlocuteurs. La réunion le plongea définitivement dans l’inquiétude. Quand il apprit le ralliement de Galba aux rebelles d’Ibérie, Néron devina que le messager qu’il lui avait envoyé pour l’inviter à se suicider pour le bien de l’État n’était pas arrivé à temps. Sur quoi, ayant compris cela, Néron s’évanouit.

Quand la nouvelle de la trahison de Galba se répandit dans Rome, il y eut contre Néron un déferlement de haine démentielle comme on n’en avait jamais vu depuis la chute de Marc Antoine. Je ne désire pas rapporter tout ce qui fut dit à son sujet et quelles infamies furent griffonnées sur ses statues. Un maximum de l’insolence fut atteint lorsque le sénat dissimula les clés du temple du Capitole après que Néron eut demandé aux deux ordres de renouveler le serment sacré de loyauté. Les clés furent promptement retrouvées aussitôt que Néron, bouillant de rage après une longue attente, eut menacé de faire exécuter sur-le-champ les principaux sénateurs, sans tenir compte de la sainteté du lieu. Mais la disparition des clés fut interprétée parmi les spectateurs comme le plus funeste des présages pour Néron.

Néron avait encore devant lui de nombreuses possibilités. Tigellinus avait dressé une longue liste que je devais plus tard retrouver dans une cachette secrète. Mon nom y figurait en bonne place. Mais je lui pardonnai volontiers par égard pour notre amitié. Je fus bien plus surpris de constater qu’il avait clairement compris la nécessité d’exécuter certains personnages éminents de l’État, dès le début de la révolte en Gaule et en Ibérie.

Sur la liste se trouvaient aussi les deux consuls et tant de sénateurs que j’en fus horrifié. Je regrettai fort de devoir la détruire. Il aurait été amusant, par la suite, de pouvoir lire cette liste à certains convives que j’invitais pour obéir aux obligations de mon rang sans être particulièrement heureux de les voir à ma table.