À l’instant où, pénétrant dans l’arène, il fit face aux lions, un miracle se produisit. Soit à cause de son embonpoint, soit du fait de son rang élevé, bien qu’il fut vêtu de la simple tunique commune à tous les prisonniers et n’arborât point la large bande pourpre convenant à sa position, le plus âgé des lions le choisit pour victime. Mais, après l’avoir reniflé, le fauve se mit à lui lécher les mains avec respect, tout en empêchant les autres lions de s’en prendre à lui. Un cri d’étonnement parcourut l’assistance qui se leva pour demander la grâce de Manilianus. La foule, en fait, ne l’appelait pas par son nom mais par un surnom que la décence interdit de répéter ici.
Cependant quand il vit, impuissant, son épouse et son fils déchirés par les fauves, il se dirigea vers la tribune de l’empereur, suivi par le vieux lion, leva la main pour imposer le silence aux spectateurs et hurla de telles accusations à l’encontre de l’empereur Domitien que ce dernier ordonna à ses archers de le tuer sur-le-champ, lui et le lion qui n’avait pas fait son devoir. Parmi ses accusations, Manilianus avait lancé que Domitien avait empoisonné son frère Titus et que l’empereur Vespasien n’aurait jamais permis à Domitien de devenir empereur de Rome.
Le miracle donna aux autres martyrs le courage de mourir dignement et, dans la mort, leurs prières s’élevèrent vers Dieu, car ils venaient d’avoir la preuve de l’immense miséricorde du Christ. Nul n’aurait pu imaginer que le sénateur Manilianus avait voué sa vie à Dieu, et sa pieuse épouse moins que toute autre. Mais il demeure pourtant dans la mémoire des chrétiens.
Le meilleur ami de son fils, le poète Decimus Junius Juvenal, parvint à s’enfuir, sur les conseils de Manilianus, pour aller se réfugier en Bretagne. Manilianus l’avait fait admettre au sein de l’honorable ordre équestre et l’avait aidé dans sa carrière. Ainsi lui avait-il permis d’exercer la fonction de censeur dans sa ville natale, car il estimait qu’un homme aux mœurs relâchées était particulièrement apte à juger, de par sa propre expérience, les vices et les faiblesses de ses semblables. Nul ne comprit pourquoi Manilianus alla jusqu’à lui offrir, au même titre qu’à son propre fils, des études en Égypte, où les deux amis se rendirent ensemble.