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Narcisse nous présenta et donna très rapidement son avis :

— L’affaire est parfaitement claire. Voici l’arbre généalogique, le certificat de revenus et la recommandation du censeur. Marcus Mezentius Manilianus, ancien membre éminent du conseil de la cité d’Antioche, mérite réparation pleine et entière de l’injustice qu’il a subie. Il n’a pas d’ambition pour lui-même, mais son fils en grandissant pourra servir l’État.

En marmonnant des souvenirs de jeunesse sur l’astronome Manilius, l’empereur déroula les parchemins et les parcourut du regard. La lignée de ma mère captiva son attention et il rumina un moment sur sa découverte.

— Myrina, la reine des Amazones, celle qui a combattu les Gorgones et qui été tuée par Mopsus, un Trachien exilé par Lycurgue. En fait, Myrina était son nom divin, Batieia son nom terrestre. Il eût été plus convenable que ton épouse utilisât ce nom terrestre. Narcisse, rédige donc une note là-dessus et joins-la au dossier.

Mon père remercia respectueusement l’empereur pour cette correction et promit de veiller à ce que la statue que la ville de Myrina avait érigée à la mémoire de ma mère portât sur le socle le nom de Batieia. Ainsi Claude put-il présumer que ma mère avait été un important personnage puisque sa ville natale lui avait dressé une statue.

Il posa sur moi le regard bienveillant de ses yeux injectés de sang :

— Tes ancêtres grecs sont de haute origine, mon garçon. Notre civilisation vient de la Grèce, mais l’art de bâtir des villes n’appartient qu’à Rome. Tu es pur et beau comme mes pièces d’or qui portent une inscription latine sur une face et une inscription grecque sur l’autre. Pourquoi appeler Minutus un jeune homme si bien fait ? C’est trop de modestie.

Mon père se hâta d’expliquer qu’il avait voulu attendre le jour où mon nom serait inscrit sur les listes de la chevalerie dans le temple de Castor et Pollux, pour me faire revêtir la toge virile. Ce serait pour lui le plus grand des honneurs si l’empereur consentait à me choisir un deuxième nom approprié.

— Je possède des terres à Caere, poursuivit mon père. Ma lignée remonte jusqu’à l’époque où Syracuse a anéanti la puissance maritime de Caere. Mais c’est là, ô mon empereur, un sujet que tu connais mieux que moi.

— C’est donc cela ! s’exclama Claude. Tes traits avaient à mes yeux quelque chose de familier. Bien qu’elles aient été à l’abandon et rongées par l’humidité, les fresques qui décoraient les vieilles tombes étrusques que j’ai étudiées dans ma jeunesse étaient encore assez nettes pour que j’aie pu y distinguer des visages qui avaient un air de parenté avec le tien. Si tu t’appelles Mezentius, alors ton fils doit s’appeler Lausus. Sais-tu qui était Lausus, mon garçon ?

Je lui dis que Lausus était un des fils du roi Mezentius et qu’il avait combattu aux côtés de Turnus contre Énée.

— C’est ce qui est dit dans ton histoire des Étrusques, ajoutai-je innocemment. C’est là que je l’ai appris.

— Tu as vraiment lu mon petit livre, en dépit de ta jeunesse ? demanda Claude qui se mit à hoqueter d’émotion.

Narcisse lui administra de légères tapes dans le dos et ordonna aux esclaves de lui apporter encore un peu de vin. Claude nous invita à boire avec lui, mais me conseilla paternellement d’éviter de goûter du vin non dilué tant que je n’aurais pas atteint son âge. Narcisse profita de ces excellentes dispositions pour demander à l’empereur de signer la confirmation de mon père au rang de chevalier. Claude s’exécuta de bonne grâce quoique, à mon avis, il eût oublié de quoi il était question.

— Désires-tu vraiment que mon fils porte le nom de Lausus ? s’enquit mon père. Si tel est le cas, je ne saurais imaginer plus grand honneur que celui que ferai l’empereur Claude en consentant à être le parrain de mon fils.

Claude vida sa coupe, la tête branlante.

— Narcisse, dit-il ensuite d’une voix ferme, consigne également cela par écrit. Toi, Mezentius, il te suffira de m’envoyer un message au moment de la cérémonie de la taille des cheveux de ton garçon. Et si des affaires d’État importantes ne me retiennent pas, je serai ton hôte.

Il se leva avec autorité et vacilla. Les esclaves se précipitèrent pour le soutenir et il rota bruyamment avant d’ajouter :

— Mes nombreux travaux d’érudition m’ont rendu distrait. Je me souviens mieux du passé lointain que des faits proches. Aussi, le mieux serait de consigner par écrit tout ce que je viens de promettre et d’interdire. Maintenant il est temps que je me retire pour prendre du repos et vomir comme il convient, afin d’épargner à mon estomac la douloureuse obligation de digérer ce grossier repas de viande de chèvre.

Quand il eut quitté la salle, toujours soutenu par ses esclaves, Narcisse se tourna vers mon père :

— Fais en sorte que ton fils revête la toge virile dès que possible, lui conseilla-t-il, et avise-m’en, le moment venu. L’empereur se souviendra peut-être de sa promesse de parrainage. En tout cas, je la lui rappellerai et il prétendra s’en souvenir.

Tante Laelia dut se démener beaucoup pour trouver ne fût-ce que quelques nobles liés avec la gens Manilianus. L’un des invités était un ancien consul qui me guida gentiment la main pendant que j’égorgeais le cochon. Mais la plupart de nos hôtes étaient des contemporaines de la tante qui avaient été surtout attirées par la perspective d’un repas gratuit. Elles caquetaient comme un troupeau d’oies pendant que le barbier me coupait les cheveux et rasait le duvet de mon menton. Après quoi, il m’en coûta beaucoup de garder mon calme pendant qu’elles me revêtaient de la toge et me caressaient les membres et me tapotaient la joue. Elles eurent le plus grand mal à contenir leur curiosité quand, pour être fidèle à la promesse faite à l’oracle de Daphné, je dus entraîner le barbier dans une autre pièce et lui demander de me raser également la pilosité intime qui attestait ma virilité. Je la réunis au duvet de mon menton et plaçai le tout dans une boîte d’argent au couvercle décoré d’une lune et d’un lion. En accomplissant sa tâche, le barbier bavardait et plaisantait. Il me raconta qu’il n’était pas rare que les jeunes nobles qui recevaient la toge virile offrissent leurs premiers poils à Vénus pour se concilier ses faveurs.

Claude ne vint pas assister au banquet, mais me fit envoyer par Narcisse l’anneau d’or des chevaliers et la permission de mentionner dans mes parchemins qu’il m’avait personnellement donné le nom de Lausus. Nos hôtes nous accompagnèrent, mon père et moi, au temple de Castor et Pollux. Mon père paya la somme requise aux archives et puis ce fut au pouce que je dus glisser l’anneau d’or. Ma toge de cérémonie, bordée d’une étroite bande rouge, était prête. La suite ne revêtit pas de solennité bien particulière. Des archives nous gagnâmes la salle de réunion du noble ordre de la chevalerie, où nous payâmes pour avoir l’autorisation de choisir librement nos chevaux aux écuries du Champ de Mars.

De retour à la maison, mon père m’offrit l’équipement complet du chevalier romain : bouclier d’argent ouvragé, casque plaqué d’argent et orné d’un plumet rouge, longue épée et javelot. Les vieilles dames me pressèrent de revêtir ma tenue guerrière et comme on s’en doute, je ne pus résister à la tentation. Barbus m’aida à enfiler la tunique de cuir souple et bientôt j’arpentais la pièce dans mes bottines rouges, fier comme un coq, casque en tête et épée brandie.