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Mon père dormit jusqu’au coucher du soleil. Quand nous eûmes revêtu les vêtements que l’esclave de la garde-robe avait disposés pour nous, la maison se remplit tout à coup d’invités. La plupart d’entre eux étaient des jeunes gens tout à fait heureux et charmants, mais il y avait aussi deux gras et vieux personnages pour lesquels je n’éprouvais nul respect, quoique l’un d’eux fût sénateur. J’eus du moins l’occasion de parler chevaux avec un vieux centurion de la garde prétorienne, mais à ma grande surprise, il manifesta beaucoup plus d’intérêt pour les femmes qui, après avoir bu du vin sans retenue, desserrèrent leurs vêtements pour respirer plus aisément.

Quand je vis quelle tournure prenait ce banquet de mariage, je partis en quête de Barbus, que les servantes étaient en train d’abreuver généreusement.

Il se prit la tête entre les mains et me dit :

— Je suis reçu et honoré ici comme jamais auparavant et je me serais retrouvé marié en un éclair si, en vétéran blanchi sous le harnais, je ne savais faire halte. Cette demeure n’est pas pour toi, Minutus, ni pour un vieux soldat.

Tandis que la musique se répandait à flots dans la demeure et que des danseurs nus et des acrobates se tortillaient dans toutes les pièces, je partis à la recherche de mon père et le retrouvai, étendu sur une couche aux côtés de Tullia, plongé dans un silence morose.

— C’est peut-être un fait coutumier à Rome que des patriciennes vomissent partout et que des hommes aient des gestes indécents avec des jeunes gens comme moi, mais il m’est tout simplement impossible de tolérer que n’importe qui se croie en droit de me tripoter, que n’importe qui s’imagine que toutes les parties de mon corps sont à sa disposition. Je ne suis ni un esclave ni un eunuque. Je veux rentrer à la maison.

— Je suis bien trop amolli par les commodités de la richesse pour m’arracher à ces plaisirs dépravés, mais tu dois te montrer plus fort que moi. Je suis heureux d’apprendre ce que tu as décidé et me réjouis que tu aies pris seul cette décision. Tu me vois contraint de demeurer ici, car nul ne peut échapper à son destin. Mais il vaudrait mieux que tu vives avec tante Laelia. N’as-tu pas une fortune personnelle désormais ? Tu n’as rien à gagner à vivre dans la demeure de ta marâtre.

Le regard que Tullia posait sur moi était beaucoup moins amène que la veille au soir. Je demandai si je pourrais le lendemain matin venir chercher mon père. Je désirais qu’il m’accompagnât aux écuries pour choisir un cheval avec moi. Mais Tullia, sans ménagement, coupa court à mes explications :

— Ton père est trop vieux pour monter. Il risquerait de faire une chute qui blesserait sa précieuse tête. Il pourra toujours conduire un cheval par la bride au défilé des jeux séculaires.

Je compris que je perdais mon père et un sentiment de désolation me submergea. Cela ne faisait que trop peu de temps que j’étais rentré dans ses grâces. Mais je comprenais aussi qu’il me fallait serrer les dents et construire seul ma vie. Je me mis en quête de tante Laelia et, comme une femme nue se suspendait à mon cou, les yeux brillants, je lui administrai une tape retentissante pour lui faire lâcher prise. Mais, appliquée sur le postérieur, ma gifle n’aboutit qu’à échauffer davantage cette personne et Barbus dut recourir à la force pour l’arracher à moi.

Tullia fut si heureuse d’être aussi promptement débarrassée de nous, qu’elle nous offrit sa propre litière. Dans le véhicule, tante Laelia rajusta ses voiles et se mit à jacasser :

— Il se colportait beaucoup de ragots sur ce qui se passait dans les nouvelles maisons de Rome, mais je n’en croyais pas un mot. Valeria Tullia est considérée comme une femme de bonne moralité. Peut-être son manque de retenue s’explique-t-il par ce mariage survenant après une période de veuvage, quoique beaucoup de beaux jeunes gens semblent se conduire comme s’ils étaient chez eux en sa demeure. Ton père aura fort à faire pour la mater.

Tôt le lendemain matin, comme nous déjeunions de pain et de miel, je m’entretins avec Barbus :

— Je vais aller choisir mon cheval et le ferai seul, lui dis-je. Je suis un homme à présent, je n’ai plus besoin de mentor. Pour toi, le moment est venu de réaliser ton rêve en devenant aubergiste.

— J’ai visité plusieurs auberges de bonne apparence en divers quartiers de Rome, répondit gravement Barbus, et grâce à la générosité de ton père je dispose des fonds nécessaires pour en acheter une. Mais à présent que mon rêve est à portée de la main, il ne me séduit plus autant que lorsque je couchais à la dure et buvais le vin aigre des légionnaires. Pour tenir une auberge, il faut une femme aux côtés du patron. Mais leur fréquentation m’a appris que les bonnes tenancières d’auberge sont des femmes au cœur sec. En fait, pour l’instant je préférerais demeurer à ton service. Certes, tu n’as plus besoin de mentor, mais j’ai remarqué que tous les chevaliers un tant soit peu soucieux de leur dignité avaient toujours un ou plusieurs compagnons, et que certains même étaient suivis par dix ou cent personnes quand ils sortaient de la ville. C’est pourquoi il serait fort avisé que tu gardes auprès de toi un vétéran au cuir tanné par les batailles.

« Je ne suis pas très fort en chevaux, mais je puis t’assurer que les semaines à venir seront pénibles pour toi. Aux yeux de tes compagnons, tu ne seras qu’un vulgaire novice. Je t’ai raconté comment on entraînait les jeunes recrues à la légion, mais tu ne m’as sans doute pas cru, tu auras pensé que j’exagérais pour t’amuser. Par-dessus tout, ne perds jamais la maîtrise de toi-même, sache serrer les dents et ne jamais te révolter contre tes supérieurs. Je t’accompagne aux écuries. Peut-être aurai-je l’occasion d’être de bon conseil.

Nous nous mîmes en route pour le Champ de Mars et au bout d’un moment Barbus observa tristement :

— En vérité, j’aurais pu gagner la couronne de murailles, l’insigne d’opitione. Oui, j’aurais pu être lieutenant de centurion, si je n’avais pas été si querelleur après boire. Et même la chaîne que m’avait donnée le tribun Lucius en souvenir du jour où je lui ai fait traverser sur mon dos le Danube – il perdait tout son sang et j’ai dû nager au milieu des blocs de glace que charriait le fleuve – même cette chaîne, je l’ai laissée en gage dans une misérable taverne de la Mésie barbare, et je n’ai pas pu la récupérer avant que nous levions le camp. Nous pourrions allez chez un armurier pour y acheter une chaîne, souvenir de seconde main. Tu seras peut-être mieux traité si ton compagnon porte au cou un collier d’honneur.

Je répliquai que pour signaler à tous ses mérites, sa langue était bien suffisante, mais il insista pour acquérir une plaque de cuivre commémorant un triomphe. L’inscription en était assez usée pour qu’on ne pût distinguer quel chef l’avait autrefois offerte à ses vétérans. Quand Barbus l’eut accrochée à son épaule, il se déclara plus tranquille à l’idée de se retrouver au milieu de cavaliers.

Sur la vaste esplanade une centaine de jeunes chevaliers s’exerçaient à l’art équestre. L’intendant des écuries, grand et grossier personnage, rit bruyamment en lisant le certificat que m’avait délivré le questeur du noble ordre des chevaliers.

— Nous allons te trouver sans tarder un bon cheval, jeune homme, brailla-t-il. Désires-tu un grand ou un petit coursier ? Un animal fougueux ou docile ? À robe blanche ou noire ?

Il nous conduisit dans les stalles où l’on gardait les chevaux disponibles. J’en montrai un du doigt et en vis aussi un autre qui me plaisait, mais l’homme fouilla dans ses papiers et dit d’une voix glaciale que ces deux montures étaient déjà prises.

— Mieux vaudrait, ajouta-t-il, que tu choisisses un cheval docile, qui a l’habitude des exercices et du bruit du cirque, et qui connaît les différentes sonneries et leur signification, si tu as l’intention de participer à la parade des jeux séculaires. As-tu déjà monté ?