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Comme Barbus m’avait conseillé d’éviter tout ce qui pourrait passer pour des fanfaronnades, j’admis avec modestie avoir quelque peu pratiqué l’équitation à Antioche.

— Je croyais que tous les chevaux de la cavalerie étaient dressés à obéir aux sonneries des cors. Mais, osai-je suggérer, je serais heureux de prendre un cheval encore indompté et de le dresser moi-même. Cependant, je suppose que je n’aurai pas le temps d’y parvenir avant les jeux.

— Parfait, parfait, s’exclama l’intendant, en manquant s’étrangler de rire. Des jeunes gens qui savent dompter un cheval, ce n’est pas si courant. Alors, qu’Hercule m’aide à dominer mon envie de rire. C’est ici que les écuyers pratiquent le dressage.

L’un des dresseurs professionnels surgit à cet instant devant moi et m’examina des pieds à la tête.

— Il y a Arminia, suggéra-t-il. Elle a l’habitude du vacarme du cirque et elle resterait tranquille même si on lui mettait en selle un sac de pierre.

Il me montrait une puissante jument noire qui se tourna dans sa stalle pour me jeter un coup d’œil méfiant.

— Non, non, pas Arminia, se récria l’intendant, elle est beaucoup trop paisible pour ce jeune homme. C’est une belle monture, mais elle est douce comme un agnelet. Autant la réserver à l’un ou l’autre de ces vieux sénateurs qui voudront figurer dans la parade.

— Naturellement, assurai-je, je ne m’attendais pas à avoir un cheval pour rien, sur la simple présentation de mon certificat. Si vous permettez, j’aimerais bien essayer ce cheval.

— Il veut l’essayer, et il est prêt à payer pour cela, s’exclama l’écuyer, la mine réjouie.

Après quelques protestations de pure forme, l’intendant consentit :

— C’est un cheval beaucoup trop doux pour un garçon comme toi, mais enfin… Va chercher tes bottes et ton équipement. On va te préparer le cheval pendant ce temps.

Je lui répondis que je n’avais rien apporté, mais il me regarda comme s’il avait affaire à un débile mental.

— Tu ne vas pas monter en costume d’apparat, non ? L’État te fournit des vêtements d’équitation.

Il me conduisit au magasin d’équipement où des esclaves empressés me lacèrent si durement la poitrine que j’avais du mal à respirer. On me donna également un casque cabossé et une paire de vieilles bottines. Je n’eus droit ni au bouclier, ni au glaive, ni au javelot et l’on me déclara que pour la première fois, je devais bien me contenter de mesurer mes capacités de cavalier.

La jument sortit de sa stalle d’un trot allègre et poussa un magnifique hennissement mais sur un ordre de l’intendant, elle se tint absolument immobile et silencieuse. Je montai en selle les rênes à la main et demandai à ce qu’on ajustât les étrivières à la bonne longueur.

— Je vois que tu as déjà fait du cheval, approuva l’intendant.

Puis, d’une voix tonitruante, il lança :

— Le chevalier Minutus Lausus Manilianus a choisi Arminia et il croit pouvoir la monter !

Les cavaliers, interrompant leurs exercices, se dispersèrent aux quatre coins du manège, une trompette sonna la charge et aussitôt la danse commença, une danse dont la chance plus que mon habileté devaient me permettre de sortir sans dommage. J’eus à peine le temps d’entendre l’intendant qui me demandait d’épargner la bouche tendre de la bête en ne tirant pas trop fort sur les rênes – mais Arminia semblait avoir une bouche d’acier. La bride et le mors lui étaient parfaitement inconnus. Pour commencer, d’une brusque secousse de l’arrière-train, elle tenta de me faire passer par-dessus sa tête. N’y parvenant pas, elle fit le saut de mouton, se cabra et partit au triple galop en utilisant toutes les ruses qu’un cheval de cirque expérimenté peut utiliser pour vider de ses étriers un cavalier novice. Je ne compris que trop bien pourquoi les autres cavaliers s’étaient réfugiés sur le pourtour du manège quand Arminia avait été lâchée.

Je n’avais plus qu’à m’agripper de toutes mes forces, en lui maintenant tant bien que mal la tête tournée vers la gauche car elle se ruait droit sur les barrières et s’arrêtait brusquement pour que j’aille me fracasser la tête sur les poteaux. Comme je restais sur son dos en dépit de ses efforts, la fureur s’empara d’elle et elle franchit avec des bonds prodigieux tous les obstacles disposés sur la piste. En vérité, ce cheval était aussi extraordinairement vigoureux que rusé, de sorte que, remis de ma première frayeur, je commençais d’éprouver du plaisir à le monter. Avec des cris farouches, je lui cinglai les flancs de grands coups de rênes pour porter sa fureur à son comble et l’épuiser.

Surprise, Arminia tenta de tourner la tête vers moi et obéit suffisamment à l’injonction des rênes pour me mener droit sur l’intendant et le dresseur. Leur rire s’éteignit brusquement et ils se réfugièrent derrière le portillon de l’écurie. Le visage empourpré de rage, l’intendant brailla un ordre. Une trompe sonna, une troupe de cavaliers se mit en ligne et s’avança au trot vers moi.

Mais quoique je tirasse sur la bride de toutes mes forces, Arminia ne se détourna pas. Secouant ses naseaux écumants, elle fonça droit sur la ligne serrée des cavaliers. J’étais sûr d’être jeté à terre mais, soit que les jeunes gens de tête eussent perdu leur courage, soit qu’ils eussent agi délibérément, leurs rangs s’ouvrirent au dernier instant et je fus au milieu d’eux. Alors chacun tenta de me vider des étriers en me frappant de son javelot de bois ou en me tirant par derrière, tandis que la furieuse Arminia m’entraînait, mordant, sautant et ruant. Mais j’émergeai de cette troupe sans autre mal que quelques égratignures.

Cette tentative pour m’effrayer, aussi perfide que délibérée, me mit dans une telle fureur que je mobilisai toute mon énergie pour faire faire volte-face à ma monture et me lançai à mon tour contre les cavaliers dans le dessein d’en désarçonner quelques-uns. Mais au dernier moment, me remémorant le conseil de Barbus, je maîtrisai ma colère et me contentai de passer devant eux en criant, riant et les saluant du geste.

Quand Arminia eut épuisé sa fureur, elle s’apaisa enfin et m’obéit parfaitement. Je la ramenai à l’étable et, comme je sautais à terre, elle essaya de me mordre le cou mais il me sembla que c’était surtout par jeu et je ne lui administrai qu’un amical coup de coude sous la bouche.

L’intendant et l’écuyer me considéraient comme s’ils avaient un monstre devant eux. Mais le chef des écuries affecta la colère :

— Tu as fourbu ce cheval de grande valeur et tu as tant tiré sur le mors qu’il saigne de la bouche, me reprocha-t-il. Tu n’aurais pas dû.

— C’est mon cheval et je le conduis comme je veux.

— Tu es complètement dans l’erreur. Tu ne pourras utiliser cette jument pour les exercices. Elle ne restera pas dans le rang et n’obéira pas aux ordres. Elle a l’habitude d’être en avant des autres.

Plusieurs jeunes gens descendus de leurs montures avaient formé un cercle autour de nous. Ils vinrent à ma rescousse en criant que j’étais un excellent cavalier. D’une seule voix, ils assurèrent que l’intendant m’avait bel et bien attribué la jument en le clamant haut et fort.

— Tu ne comprends donc pas que c’était une plaisanterie ? dut finalement admettre l’intendant. Tout novice point trop débile doit passer la première fois sur le dos d’Arminia. C’est un vrai cheval de guerre et non pas un de ces ridicules bidets de parade. Elle a même combattu contre des fauves dans l’amphithéâtre. Pour qui te prends-tu, jeune insolent ?

— Que tu aies ou non voulu plaisanter, protestai-je, je suis resté en selle, tu es tombé dans ton propre piège. C’est une honte que de donner ce superbe cheval à des novices terrorisés. Coupons la poire en deux. Je la monterai tous les jours, mais pour l’exercice je prendrai un autre cheval si Arminia ne veut pas rester dans le rang.