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— Vous parlez de lieux comme Guantanamo ?

— Non. Guantanamo est le contraire d’un site noir. Un lieu de détention officiel. Très en vue. Un sujet récurrent pour les journaux télévisés. Je peux vous certifier que les prisonniers d’importance sont interrogés ailleurs.

— Où ?

— En Pologne. En Roumanie. Les États-Unis ont des accords avec ces pays. On leur ménage des morceaux de terre où aucune loi n’a plus cours. Excepté celle de l’efficacité. La CIA a ainsi installé des centres de détention où on interroge les « cibles de grande importance ». Des suspects tels que Khaled Cheikh Mohammed, le cerveau des attaques du 11 septembre, capturé au Pakistan.

Malgré son âge, Py semblait au jus des affaires actuelles. Pourtant, Volokine ne croyait pas à ces rumeurs de sites secrets, d’interrogatoires cachés.

— Vos histoires font de l’effet, intervint-il, mais elles ne tiennent pas la route. Le monde est régi par des lois, des règles, des conventions.

— Bien sûr. Mais qui est derrière le système ? Des hommes qui ont peur. Je peux vous assurer que l’OTAN s’est chargé d’organiser ces sites. La Pologne appartient à l’OTAN et la Roumanie aspire à l’intégrer. Des accords secrets ont été passés. Des autorisations de survoler ces territoires, d’atterrir et de faire le boulot, près des bases aériennes. Les pays ont donné des garanties de non-ingérence. Ces sites n’appartiennent plus ni à la Pologne, ni à la Roumanie. Encore moins aux États-Unis. Ce sont des zones de non-droit, qui échappent aux lois des États.

Kasdan coupa :

— Vous allez nous dire qu’Asunción est un site noir ?

— La Colonie fonctionne sur le même principe, oui. Un territoire sans nationalité. Aucune législation ne peut s’y ingérer. Tout y est permis.

— La France n’a pas de problèmes terroristes. Du moins pas du calibre de ceux que rencontrent actuellement les Américains.

— C’est pourquoi la Colonie est une cellule dormante. Un laboratoire qui, pour l’instant, n’a pas d’application. Nous ne voulons pas savoir ce qui s’y passe. Nous n’avons qu’une conviction : les recherches avancent. Le moment venu, nous pourrons utiliser le savoir d’Asunción. Son expérience.

— Votre cynisme vous donne une réalité terrifiante.

— Toujours le même problème, sourit Py. On aime que le boulot soit fait. Mais on ne veut savoir ni où ni comment.

— Vous parlez de recherches, continua Kasdan. Savez-vous, précisément, sur quoi travaillent les dirigeants de la communauté ?

— Non. Ils maîtrisent une grande diversité de techniques. Volokine intervint :

— Une de ces techniques s’appuie-t-elle sur la voix humaine ?

— Un protocole concerne le son, oui, mais nous ne savons rien de plus. A une époque, nous pensions que Hartmann avait mis au point une sorte de décodeur de la voix. Quelque chose qui permettrait de surprendre des vérités précises à travers les cris, les inflexions. Nous avions tort. La recherche de Hartmann porte sur une autre dimension de l’organe phonatoire. Quelque chose de plus dangereux, à mon avis. Quelque chose qui se situe au-delà de la douleur…

— Quand vous dites « Hartmann », vous parlez du père ou du fils ?

— Du fils, bien sûr. Le père est mort au Chili, avant la migration de la Comunidad. Mais cette disparition n’a pas entravé le développement d’Asunción. L’esprit de Hartmann…

— … a fait école, acheva Kasdan. On nous a déjà servi ce plat. Quel âge a aujourd’hui le fils ?

— Je dirais dans les 50 ans. Mais son âge, ainsi que sa réelle identité, reste un mystère. Bruno Hartmann a compris la leçon. Durant sa jeunesse, il a vu son père traqué, menacé par des plaintes, des perquisitions. Il a saisi qu’un chef identifié peut devenir une faiblesse pour sa communauté. Il a donc réglé le problème. Personne, en France, ne peut se vanter d’avoir vu son visage. Et si un jour une quelconque association s’attaquait à Asunción, elle n’aurait aucun responsable à se mettre sous la dent.

Volokine insista :

— Pensez-vous que Hartmann se cache dans le Causse ou qu’il vit ailleurs ?

— Je ne sais pas. Personne ne le sait.

— Je suis allé à Asunción, reprit Kasdan. J’ai rencontré un médecin du nom de Wahl-Duvshani. Vous le connaissez ?

— Une des têtes pensantes de la Colonie, oui.

— C’est son vrai nom ?

— Vous savez, les noms…

— Combien sont-ils dans ce genre-là ?

— Une douzaine, je pense.

— Ce sont eux qui mènent les recherches ?

— On ignore comment s’organise le groupe. Il doit exister un Conseil. Un Comité central. Mais ces hommes en réfèrent toujours à Hartmann.

— Vous, reprit Volokine, quel est votre lien avec Asunción ?

— J’ai vécu dans leur communauté, quand ils étaient basés au Chili. J’ai aidé à leur installation en France. Je veille maintenant sur eux.

— Je pensais que c’était La Bruyère qui faisait venir ces Chiliens en France…

— Ce vieux La Bruyère… Il s’est occupé du transfert de quelques-uns, oui. Mais il n’avait pas les épaules pour la suite. Créer ce Freistaadt Bayern. Un État libre.

Kasdan paraissait de plus en plus nerveux :

— Nous cherchons une faille pour pénétrer dans la Colonie.

— Oubliez. Personne ne peut y entrer. Ni légalement. Ni clandestinement. Nous avons circonscrit ce petit monde, dans un sens comme dans l’autre. Impossible d’y entrer. Impossible d’en sortir.

— Pourquoi vous nous racontez tout ça sans difficulté ? demanda Volokine.

— Ces informations sont accessibles à tous. Sur Internet. Dans les articles de presse. Dans les couloirs des ministères. Mais personne ne peut les utiliser. Et personne n’y croit. C’est l’essence même de la Colonie. Exposée aux yeux de tous, mais invisible. Je peux vous décrire les rouages de la machine. La machine vous échappera toujours. La machine, juridiquement, n’existe pas. Et la machine dépasse l’imagination.

Silence des hommes. Murmure des oies. Py remonta la pente et observa plus attentivement Kasdan. Les nappes vertes du lac voyageaient derrière ses épaules.

— C’est étrange…, murmura-t-il. J’ai l’impression de te connaître.

Kasdan sursauta à l’utilisation du tutoiement. Il était gris. Il passa au livide.

— Oui… Je te connais.

— Pas moi, répondit l’Arménien les dents serrées. Je me souviendrais d’un enculé comme toi.

— Tu as suivi une carrière militaire avant d’être flic ?

— Non. (Kasdan se passa la main sur le visage.) Revenons à la Colonie. Vous évoquez des recherches. Vous parlez d’atouts militaires. D’après ce que nous savons, il s’agit surtout de mauvais traitements exercés sur des enfants. De fanatiques qui prônent la loi du châtiment et une foi religieuse d’un autre temps.

Py ramassa un morceau de bois. Il éprouva sa résistance des deux mains.

— Connaissez-vous les chiffres concernant les mauvais traitements infligés aux mineurs, rien qu’en France ? Au moins les enfants d’Asunción apprennent-ils quelque chose. Ils grandissent dans la discipline et la foi. Ils intègrent la souffrance et deviennent de vrais soldats. En mettant les choses au pire, leur sacrifice n’est jamais vain. Ils font avancer, indirectement, notre puissance armée.