Du bruit dans l’appartement. Pas d’horloge. Pas de montre. Et la porte de sa chambre close. Il tendit l’oreille. Cliquetis. Claquements. On s’affairait dans la cuisine.
Il appela :
— Volo ?
Quand il se réveilla, la chambre était claire. Jour terne à la fenêtre. Gueule d’équerre. Fringues éparses sur le fauteuil, près du lit. Et toujours, au fond de lui, le soulagement. Ce matin, malgré sa gueule de bois chimique, malgré son meurtre de la veille, il se sentait léger. Léger et libéré.
— Volo ? appela-t-il encore.
Pas de réponse. Avec effort, il se leva. Enfila un sweat-shirt et ouvrit la porte de sa chambre. L’appartement était vide. Le Russe s’était fait la malle. Se tenant au mur mansardé, Kasdan remonta chaque pièce. Sans café, point de salut.
Il pénétra dans la cuisine et resta en arrêt.
Fixé sur la cafetière avec du Scotch, un mot l’attendait.
Il décolla la feuille pliée et l’ouvrit, avec un sentiment d’appréhension.
Kasdan,
Vous êtes un salopard mais je ne vaux pas mieux que vous. Je ne cherche pas à vous comprendre. Surtout pas. Pourtant, malgré tous mes efforts, je crois que je vous comprends tout de même un peu…
Nous connaissons vous et moi la solution. Il faut infiltrer la Colonie. C’est le seul angle d’attaque possible. Vous ne pouvez pas vous y coller. On connaît là-bas votre sale tête de facho. Alors, je suis en route pour Asunción. Ils embauchent des ouvriers agricoles pour le début d’année. Je me suis rasé les cheveux et, avec vos fringues, j’ai l’air d’un vrai blaireau.
Au début de notre association, je vous ai dit : « A nous deux, on fera peut-être un flic potable. » A l’arrivée, la vérité est différente : je crois qu’a nous deux, nous faisons un honnête criminel…
Mais le boulot doit être fait.
N’approchez pas de la Colonie. Je suis à l’intérieur. Je stopperai la force maléfique qui y est à l’œuvre. J’arrêterai les meurtres et percerai le mystère du Miserere. Je sauverai les enfants.
D’après ce que je sais, les Arméniens fêtent Noël au début du mois de janvier. Je suis sûr que, malgré tout, vous devez faire comme eux. Alors, pensez à moi sous le sapin.
Je vous embrasse.
Kasdan lut deux fois la lettre. Il ne pouvait y croire. Volokine s’était jeté dans la gueule du loup. L’Arménien balança un coup de pied dans sa cuisinière. Sa tête était maintenant sous l’emprise d’une seule pensée. Rejoindre le gamin. Le rattraper avant qu’il ne soit trop tard.
Il se précipita dans sa chambre et ouvrit la penderie qui occupait le mur de droite. Il écarta les vestes, les chemises, les costumes, découvrant un coffre-fort mural. Code digital. A l’intérieur, plusieurs mallettes ainsi que des housses de cordura. Il déposa l’ensemble sur son lit et en vérifia le contenu.
La première boîte, un container logistique de résine, abritait un fusil de précision longue distance, le Tikka T3 Tactical, dont on avait l’habitude de dire qu’il appartenait à une catégorie à part : la sienne. Les pièces détachées de l’arme, auxquelles s’ajoutaient sa lunette de précision et ses chargeurs, étaient soigneusement encastrées dans leurs compartiments de mousse.
La seconde boîte, une mallette en polymères à serrures à pompe, protégeait un pistolet semi-automatique « Safe Action » Glock 21, calibre .45. Une arme magnifique que ses collègues lui avaient offerte à son départ en retraite, équipée d’une « lampe tactique » — torche au xénon et faisceau laser adaptés au canon.
Kasdan vérifia la housse suivante. Elle contenait un pistolet Sig Sauer P 220, calibre 9 mm Para. Mi-noir, mi-chromé, il avait la beauté d’une sculpture de Brancusi et l’acuité d’une arme de pointe.
Dans la dernière sacoche, un revolver Manhurin l’attendait. Le fameux MR93 S.6, le calibre .357 qui l’avait accompagné durant plus de 20 ans.
Kasdan compléta son équipement avec un aérosol lacrymogène, portant le sigle « Police Nationale » et une matraque télescopique. Plaçant son arsenal dans un sac de sport, il réfléchissait déjà aux possibilités d’attaque de l’enceinte de la Colonie. D’une manière ou d’une autre, il fallait pénétrer la propriété et arracher le jeune fauve à la secte.
Un bref instant, il envisagea d’alerter les forces d’intervention qualifiées. Ses collègues du RAID. Mais sur quelles bases ? Il n’avait aucune légitimité. Ni l’ombre d’une preuve de la culpabilité de la Colonie. De plus, le lieu se situait hors de la juridiction des autorités de police. Il aurait fallu en référer aux forces de la gendarmerie qui à leur tour contacteraient le GIGN… Mais même cette démarche n’aurait servi à rien. Asunción était protégée par son statut. En vérité, seul le Quai d’Orsay, le ministère des Affaires étrangères, aurait pu décider d’une action.
Il caressa ensuite l’idée de contacter les responsables de l’enquête en cours. Marchelier à la Crim. Les gars des RG et de la DST. Ceux qui avaient placé des micros chez Goetz. Après tout, ces mecs-là devaient être au parfum. Mais comment agir en toute rapidité ? Le temps que Kasdan les persuade de la réalité des enjeux, Volokine aurait le temps de se faire couper en rondelles par les médecins fêlés de la Comunidad.
Kasdan retourna au coffre-fort. Il attrapa plusieurs boîtes de munitions. Fermant le sac de sport, il eut une autre idée. Pierre Rochas. Le maire d’Arro. Le cow-boy du Causse, qui dirigeait lui aussi sa communauté au cœur de la steppe. Des paysans, des éleveurs, des fermiers, héritiers des Seventies, qui semblaient avoir un sérieux compte à régler avec Hartmann et sa bande. Ces hommes armés pouvaient constituer de solides alliés dans le cadre d’une bataille rangée.
Kasdan prit le temps de se doucher, de se raser, puis s’habilla chaudement. Sous-vêtements de Gore-Tex. Laines polaires. Pantalon de ski. Se dirigeant vers la porte d’entrée, il aperçut un détail dans son bureau qui l’arrêta. Un long ruban de papier sortait du fax, jusqu’à toucher le sol.
Sur le coup, il ne vit pas de quoi il s’agissait.
Puis il se souvint. La liste des enfants-chanteurs d’Asunción, envoyée par le prêtre de Saint-Sauveur, l’église des environs d’Arles. La liste qu’il avait demandée deux nuits auparavant.
Kasdan croyait à l’instinct. Il n’aurait pu citer un exemple précis d’enquête résolue à la seule force de son intuition mais il y croyait, c’était comme ça. Une voix lui souffla d’aller jeter un coup d’œil sur ces listes d’enfants — les maîtrises des années passées…
Il posa son sac à terre et pénétra dans son bureau.
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Victor Amiot
Paul Baboukchem