Thomas Bonnani
Florian Brey
Emmanuel Cantin
Julien Charvet
France Dubois
Raphaël Gaillon
Anthony Kuzma
Mathieu Leclerc
Maxime Moinet
Lucas Pelovski
Guillaume Pierrat
Bertrand Plance
Théo Rabol
Loïc Shricke
Jacques-Marie Tys
Cédric Volokine
Louis Werner
Dylan Zimbeaux
Un seul coup d’œil suffit à repérer le signe. La convergence hallucinante.
Cette liste correspondait au premier passage de la chorale d’Asunción à Saint-Sauveur, en 1989. Kasdan secoua la tête en signe de dénégation. Ce n’était pas possible. Trop fou. Trop incroyable. Trop, en un mot.
Kasdan connaissait un nom de cette liste.
Le dernier auquel il aurait pu s’attendre : Cédric Volokine.
Volo, âgé de 11 ans, avait appartenu à la chorale maléfique !
Retenant souffle et pensée, Kasdan vérifia les autres listes, froissant le long ruban de papier entre ses doigts fébriles.
1990.
Cédric Volokine. 1991.
Pas de Cédric Volokine.
Le môme avait donc appartenu à la secte durant deux années. Au moins. Puis il s’en était sorti. Kasdan lâcha l’air qu’il avait comprimé dans ses poumons et s’effondra sur la chaise de son bureau. L’esprit humain ne peut assimiler qu’une certaine quantité de vérités à la fois. Kasdan, les yeux fixés sur la liste, tenta d’intégrer les faits induits par ce simple nom sur du papier thermique.
En y mettant de l’ordre.
Au début de l’affaire, Kasdan avait enquêté sur le jeune flic. Greschi, le patron de la BPM, supposait que Volo avait vécu un traumatisme dans son enfance. Un choc qui l’avait rendu sensible aux affaires touchant les mineurs. Durant leurs journées passées ensemble, Kasdan n’avait jamais lâché cette conviction. Volo avait un compte à régler avec les pédophiles et, d’une façon générale, avec tous ceux qui faisaient du mal aux enfants.
Le traumatisme était désormais identifié.
Deux années passées à la Colonie.
Qu’avait-on fait au môme ? Quelles tortures, quels sévices Cédric, 10 ans, avait-il subis chez les fanatiques ? Pas de réponse. Kasdan passa à la seconde question : comment le gamin avait-il pu atterrir à Asunción ? Il rassembla les pièces. Toujours au début de son enquête, il avait parlé à une animatrice, dans un foyer d’accueil d’Epinay-sur-Seine. La femme lui avait précisé que le grand-père de Cédric avait récupéré la tutelle de son petit-fils autour de sa dixième année. Elle avait ajouté que le vieux salaud avait agi dans l’espoir de toucher quelques subsides de l’État.
Une autre vérité était possible.
Les hommes de la Colonie, à la recherche de petits chanteurs, avaient repéré Cédric et sa voix magnifique. Ils avaient contacté le grand-père et lui avaient proposé un marché. L’enfant contre de l’argent. Le vieux Russe avait vendu son petit-fils à la secte. Le gosse avait vécu deux ans en enfer. Il avait suivi les règles de la communauté. Il avait chanté dans la maîtrise. Puis on l’avait libéré. Peut-être après sa mue. Ou bien alors il s’était sauvé. Comme Milosz.
Dans cet écheveau, un fait ne collait pas. A l’évidence, durant l’enquête, Volokine ignorait tout de la secte. Le Russe était-il à ce point comédien ou, sous la force d’un choc, avait-il perdu la mémoire ? Kasdan penchait pour la deuxième solution. L’enfant traumatisé ne se souvenait plus d’Asunción mais il en gardait une blessure intérieure. Blessure qui l’avait conduit, inconsciemment, à défendre les enfants subissant des violences. Blessure aussi qui l’avait rendu accro à l’héroïne.
Kasdan froissa la liste. Il se jura de sortir non seulement Volokine de ce guêpier mais aussi de sa névrose. A l’issue de l’enquête, le Russe serait libéré, comme lui-même s’était affranchi de ses hantises.
A cette pensée, la panique monta en lui.
Il comprenait maintenant l’urgence de la situation. Volokine s’était non seulement jeté dans la gueule du loup mais le loup allait le reconnaître ! Le Russe avait-il totalement perdu la mémoire ? Ou avait-il décidé de plonger en connaissance de cause, prenant le risque d’être identifié par ses anciens tortionnaires ? Avait-il décidé de se venger en solitaire de ceux qui l’avaient meurtri ?
Dans son message, le gamin avait écrit : « Je suis à l’intérieur. Pour faire ce qui doit être fait. » La vérité était encore différente. D’une manière ou d’une autre, le gosse avait retrouvé la mémoire au fil de l’investigation. Peut-être était-ce la raison de ce shoot mystérieux de l’avant-veille. Ou au contraire, était-ce cette injection qui lui avait rendu la mémoire… Dans tous les cas, Volokine voulait maintenant régler ses comptes.
L’Arménien fourra le papier thermique chiffonné dans sa poche puis revint dans le vestibule, arrachant son sac du sol.
Il ouvrit la porte et demeura en arrêt.
Trois hommes se tenaient sur le seuil.
Il n’en connaissait qu’un seul : Marchelier.
Alias « Marchepied ».
Les deux autres se tenaient de part et d’autre, enfouis dans des vestes de cuir.
Le trio avait l’air d’éboueurs d’humeur meurtrière. Trois mousquetaires dont les armes dépassaient ostensiblement des pans de leur veste. Ils étaient terrifiants, mais pas assez pour Kasdan. Dans un flash de lucidité glacée, il comprit l’ironie de l’instant. Ces trois guignols venaient lui demander des comptes de bon matin et ils allaient ralentir sa course.
— T’as mauvaise mine, Doudouk, fit Marchelier. Faut que t’arrêtes les joints.
— Qu’est-ce que vous voulez ?
— Tu nous fais pas entrer ?
— J’ai pas trop le temps, là.
Le flic de la BC baissa les yeux sur le sac :
— Tu pars en voyage ?
— Les fêtes de Noël. Tu sais ce que c’est, non ?
— Non.
Marchelier, mains dans les poches, fit un pas en avant.
— Je vous dis que j’ai pas le temps ! fit Kasdan. Marchelier secoua la tête en souriant. Il avait un visage étroit.
Ses traits semblaient s’y être concentrés pour exprimer un maximum d’hostilité en un minimum d’espace.
— Le temps, c’est une question de bonne volonté. Quand on veut, on peut.
Les trois hommes occupaient tout l’espace du couloir. Marchelier lança un regard sur sa droite :
— Rains. DST. Puis sur sa gauche :
— Simoni. DCRG. Silence. Marchelier reprit :
— Alors, ce café : tu nous l’offres ou quoi ? Kasdan recula, laissant entrer les trois Pieds Nickelés. Les expédier puis prendre la route.
69
Les trois hommes s’installèrent dans le salon. Le premier, Rains, s’affala dans un fauteuil. Il portait les écouteurs de son Ipod enfoncés dans les oreilles et tenait le petit bloc plat entre ses mains, luminescent comme du phosphore.
Le deuxième, Simoni, s’appuya sur le chambranle de la cuisine. Il portait une casquette de baseball qu’il ne cessait de faire tourner sur son crâne rasé, en tenant sa visière de deux doigts.
Marchelier se planta devant une fenêtre, contemplant les toits de l’église Saint-Ambroise, faisant craquer ses doigts avec un bruit funeste.
Kasdan partit dans la cuisine préparer du café. En réalité, il attrapa un fond qui croupissait dans un broc et le passa au micro-ondes. Une horloge tournait sous son crâne, dans un cliquetis assourdissant. Quand il revint dans le salon, cafetière et chopes en main, les flics n’avaient pas bougé.