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Volo repartit à petites foulées. Il ne sentait plus les reliefs durs sous ses pieds. Ni la douleur lancinante de sa jambe. Ni l’attaque du froid et du vent. Il ne sentait que son propre rythme, sa propre chaleur, qui formait une sorte de carapace à l’abri du temps et de l’espace. Ses forces fonctionnaient. Son intelligence fonctionnait. Il pouvait s’en sortir. L’homme est le meilleur ami de l’homme.

Soudain, une présence, sur sa droite. Un autre groupe. Le même bataillon aux visages blancs et aux vêtements noirs. Les baguettes qui cinglent l’air. La marche inéluctable.

La peur et la surprise lui filèrent un point de côté. Plus moyen de courir. Il dérapa. Se cassa la gueule sur la pente, mordant la mousse qui remplaçait ici l’herbe courte. Il se redressa, retenant un gémissement et fixa l’horizon, des larmes plein les yeux. Sa terreur s’approfondit encore. Devant lui, à quelques centaines de mètres, la lande prenait fin. Une falaise coupait court à tout espoir.

La suite était écrite. Les deux groupes d’enfants allaient se rejoindre et avancer, inexorablement, jusqu’à l’acculer, dos au précipice. Volokine essaya une autre idée. Ils n’étaient pas armés, il en était sûr. Et ce n’était que des mômes. Trois claques et il fendrait la ligne de front pour repartir en sens inverse. Facile. Mais les enfants, connectés avec les chasseurs adultes, signaleraient sa position et ce serait fini. Il n’en pouvait plus. Sa jambe blessée le consumait. Son torse brûlait. Sa tête était enserrée dans un étau de fièvre.

D’une façon ou d’une autre, il devait se reposer. Se cacher.

Le salut jaillit d’un champ de pierres, sur sa gauche. Un marécage d’où émergeaient des centaines de rochers pointus.

Traînant la patte, arc-bouté au plus près de la pente, Volo rejoignit le sanctuaire naturel. Pas un marécage comme il l’avait cru. Juste de la terre gelée où semblaient avoir poussé ces dalles hérissées, couvertes de lichen. Elles ressemblaient à des têtes étroites sortant d’un étang, le crâne enduit de particules verdâtres. Volo se choisit un bloc de plus d’un mètre de haut, incliné en direction de la falaise, puis creusa. Son idée, ce n’en était pas une, était de se planquer sous la pierre, au risque de bouffer de la terre la journée entière.

Il creusa.

Et creusa encore.

Doigts en sang. Ongles à la retourne. Souffle bref. La terre était gelée. L’odeur métallique du lichen lui montait à la tête. Enfin, la niche fut suffisante pour qu’il s’y glisse. Il s’était efforcé d’éparpiller la terre retournée autour du rocher. Il avait aussi pris soin de conserver une plaque de mousse, gelée, de près d’un mètre carré de surface pour se constituer une couverture de camouflage. Il se glissa dans son trou, tira à lui la feuille de lichen et se sentit des affinités profondes avec les sangliers qu’on chasse en Corse. Il attendit.

Le temps se mesurait en pulsations cardiaques.

Au refroidissement de son corps.

Rien.

Il attendit encore.

Il s’était fondu dans la terre. Dans les ténèbres. Et aspirait maintenant au néant. Ne plus exister. Ne plus respirer. Laisser passer les démons puis repartir dans la direction opposée.

Soudain, les fouets.

Les baguettes de bois parmi les herbes. Contre les roches. Les enfants hurleurs s’étaient éparpillés.

Volo se recroquevilla. S’enfonça dans sa cache. Il percevait les vibrations des bâtons qui fouinaient partout. Il imaginait les enfants observant chaque rocher, contournant chaque bloc, grattant la terre et la mousse autour. Quelles étaient ses chances ?

D’un coup, la lumière vint le chercher dans son trou.

Un cillement et il vit la petite silhouette, se découpant sur le ciel.

Sans réfléchir, il tendit son bras. Attira le môme dans sa planque. Avant que le gamin ait pu crier, il frappa. Et frappa à nouveau.

Jusqu’à sentir entre ses bras le corps mou, inanimé.

Volo attrapa la croûte de lichen, sa seule protection, et la ramena sur lui comme un linceul. Il percevait, près de lui, la chaleur du gosse évanoui. Et se dit que la boucle de son enquête était close. Il frappait maintenant les enfants. Et peut-être que, pour survivre, il allait être obligé d’en tuer.

Impossible de dire combien de temps s’écoula.

Mais aucun autre ne vint le débusquer au fond de son terrier.

Avec prudence, il écarta la mousse et risqua un œil.

Personne.

Il sortit la tête et lança un regard circulaire. Personne.

Il s’extirpa à mi-corps, tendit sa tête et observa la lande à 360 degrés. Vraiment personne. Les gamins étaient partis. Pour l’heure, il était sauvé.

Il s’extirpa de la cavité et tira l’enfant à l’air libre. Bien amoché mais vivant. Il le fouilla. Pas d’arme. Pas de VHF. Rien qui puisse lui servir dans l’immédiat. Il roula le corps sous le rocher et pria pour que le gosse ne se réveille pas avant longtemps.

Il repartit au pas de course, en direction du lever du soleil. La chasse continuait.

81

Kasdan n’avait aucune chance. 63 ans. Cent dix kilos de chairs épuisées. Nourries aux normothymiques et aux antidépresseurs. Trouées de faim, de fatigue et d’angoisse. Un poids mort face à une bande de cinglés dans la force de l’âge, motorisés et armés de fusils d’assaut.

Kasdan marchait. Il marchait comme il avait marché au Cameroun, dans la brousse, en direction du Nigeria. Il marchait comme un robot. Comptant vaguement sur son joker : un entraînement régulier à la course à pied, qui lui permettrait de démarrer au quart de tour quand ça chaufferait vraiment.

Pour l’heure, il essayait de trouver ses repères. Le soleil se levait sur sa droite. A l’est. Il lui semblait qu’ils avaient roulé en stricte ligne droite depuis Arro, qui était situé au sud de la Colonie. Il était donc en train de marcher vers Asunción. Ce n’était pas forcément une mauvaise chose. Hartmann, alias Rochas, compterait sur son sens de l’orientation et son espoir de fuir au contraire le cauchemar — la Colonie. Il marchait donc dans la direction opposée à celle qu’on pouvait lui prêter. Cette mince ruse pouvait lui offrir un avantage…

En vue de l’enceinte, il improviserait. Mais il était certain qu’il avait plus de chances de se battre aux abords d’Asunción qu’en pleine steppe. Se rapprocher des murs, des bâtiments en dur, des hommes. Plutôt que de chercher à fuir en solitaire dans la lande.

Il regarda sa montre. Les dix minutes d’avance étaient passées depuis longtemps. Où était l’ennemi ? Parti dans la mauvaise direction ? Il était assez simple de séparer les troupes et de sillonner la plaine selon les quatre orientations cardinales. Dans peu de temps, très peu de temps, un des 4 x 4 serait à ses trousses. Envisageant cette possibilité, il balaya son champ de vision et ressentit une crispation de désespoir. La plaine rase était uniformément plate. Pas un abri, pas une planque sur cette surface qui venait à bout du regard.

Un bruit de moteur s’éleva.

D’abord un ronronnement indistinct, comme la rumeur d’un avion, puis le grondement plus précis d’un véhicule qui avalait les ornières et les cahots, ne lâchant pas sa vitesse. Kasdan jeta un regard. Un 4 x 4 noir filait dans sa direction, dans un nuage de poussière et d’herbes arrachées.

Kasdan sourit à l’idée de l’inégalité des forces en présence.

C’est le moment de se donner, mon vieux.