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Il prit un nouvel appui. Un mètre de la surface. Retrouva sa position de singe. D’une main, il dégaina son H & K. Vérifia la culasse. Le cran de sûreté. Oublia de faire une prière. Compta jusqu’à trois. Un, deux…

Il jaillit de la faille rocheuse.

Roula dans l’herbe et se mit debout, genoux fléchis, appréhendant l’ennemi d’un seul regard. Ils étaient cinq. Plus Hartmann. Deux de son côté de la faille. Trois de l’autre. Le mentor penché sur la fissure, à déblatérer ses délires. Entre eux, la fumée des gaz s’échappait comme d’une brèche de l’enfer. Avant qu’ils aient pu comprendre, Volokine s’arc-bouta. Il leva ses deux poings verrouillés à 45 degrés. Inspira. Bloqua.

Deux pressions de détente.

Un gugus en l’air, lâchant son fusil automatique.

En un millième de seconde, Volo jugea que l’effet de surprise jouait encore et qu’il pouvait tenter un autre carton. Il pivota. Inspira. Bloqua. Tira. Deux pressions plus une. Deuxième homme à terre. Hartmann avait disparu.

Une rafale fendit l’air, sifflant parmi les gaz. Le Russe plongea dans l’herbe, bras baissés. Ses mains vibraient encore du recul du tir. D’un bond, il se remit sur ses talons. Dix ans de muay thaï, ça aide. Montée de bras. Lâcher de coups. Un. Deux. Trois. A travers la fumée, un homme virevolta sur sa gauche, éperonné par l’impact. Un autre tira. Volo, sans bouger, riposta. Sa main cuisait du feu de l’arme. Sur les deux adversaires, l’un s’effondra. L’autre lâchait toujours la purée. Volo battit en retraite, derrière le 4 x 4.

Fumée. Silence. Il lui sembla qu’il avait touché sa dernière cible mais il n’en était pas sûr. Loin, très loin au fond de son crâne, une question. Où était Hartmann ? Dans un voile rouge, il perçut que sa culasse était sortie. Chargeur vide. D’une poussée, il l’éjecta. En attrapa un autre. L’encastra dans la crosse.

Des pas. Coup d’œil. Des ombres à travers la fumée acide, de l’autre côté de la faille. Au moins deux salopards encore debout. Un cerbère et Hartmann en personne. Une pensée vint lui lacérer le cerveau. Kasdan ? Les deux hommes planqués derrière le second 4 x 4. D’instinct, il se dit qu’il ne devait pas attendre. Ils allaient appeler du renfort. Ils allaient prendre position. Ils allaient lui niquer la tête.

Il sortit de sa planque. Pression de détente. Respiration. Pression. Respiration. Il lâchait ses coups à l’aveugle, dans l’espoir de faire bouger ses cibles. Dans le but de les voir. Un coude, un crâne, au bout du capot. Il visa et lâcha simultanément.

En retour, les phares de son 4 x 4 explosèrent. Pare-brise. Rétroviseurs. Il s’accroupit, dos à la roue. Pluie de verre.

Deux enfoirés.

Des fusils d’assaut.

Il n’avait aucune chance.

Et Kasdan ?

Il lui sembla percevoir le bruit d’une VHF. Ils appelaient les autres. Le ronflement d’un moteur. Les salopards prenaient la fuite. Volokine jaillit à découvert et cadra la scène. Tout se passa en même temps. Le 4 x 4 qui démarrait, Hartmann au volant. Le sbire fusil au poing révélé par la bagnole qui s’arrachait, le visant, lui. Kasdan jaillissant de sa faille enfumée comme un diable de sa boîte.

Le sbire vit Kasdan. Changea de position. Arma. Tira. Un clic en retour. Son fusil était enrayé. Volokine comprit que Dieu était avec eux. Il leva son .45. Appuya. Un autre clic en écho. Dieu n’était avec personne. Deux armes enrayées au même instant. Volokine vit Hartmann manœuvrer et foncer sur Kasdan qui dégainait à son tour. Kasdan n’eut que le temps de se reculer, lâchant son flingue, alors que le 4 x 4 bondissait sur lui. Il hurla. Volokine mit une seconde à comprendre. Dans son mouvement, le flic s’était embroché lui-même sur le couteau de combat que le nervi venait de brandir, après avoir jeté son fusil à terre. Kasdan se retourna et, le couteau planté dans l’aine, attrapa la tête de son attaquant et lui mordit le crâne à pleines dents, arrachant un morceau de scalp.

Les deux hommes roulent au sol. Dans la chute, le couteau s’éjecte de la plaie. Mêlée. Une main attrape le couteau. La main de Kasdan. Le plante dans la gorge de l’adversaire. Geysers de sang. Par à-coups. La victime s’écrase sur Kasdan.

La scène n’a pas duré cinq secondes. Volokine n’a pas bougé. Pétrifié. Vidé.

Kasdan crie, en tentant de se dépêtrer du cadavre :

— La bagnole !

Volo se réveille enfin. Balance son flingue et court vers l’autre 4 x 4. Empêcher Hartmann de fuir. L’écraser au risque de s’écraser lui-même. La clé sur le contact. Il va la tourner quand un choc l’envoie à toute volée contre le pare-brise. Hartmann a eu la même idée. Il vient de l’emplafonner.

Le Russe tente de sortir de l’habitacle. Impossible. Portière coincée. Par la vitre, il voit Kasdan qui rampe dans l’herbe rouge. Il voit Hartmann, couvert de sang, sortir du 4 x 4, Beretta au poing. Il le voit approcher, force ramassée autour de son bras tendu, vers LUI.

Volokine enclenche la marche arrière. La manque. Conduite automatique. Il lit les inscriptions sur la boîte de vitesses. La seconde suivante, Hartmann est là, flingue braqué. Détonation. La vitre se fissure. Volokine hurle. Son sang sur le tableau de bord. Son sang parmi les éclaboussures de verre. Sa mort, partout, projetée sur le pare-brise et les sièges.

Une seconde de suspens.

Une seconde à l’envers.

Mais non : il n’est pas mort.

Il n’est pas touché.

La vitre éclate pour de bon. La tête de Hartmann traverse le verre. La moitié du crâne en moins.

Derrière lui, des hommes en combinaison noire. Gilets pare-balles. Casques. Fusils d’assaut HK G36. Les THP (Tireurs Haute Précision) de la BRI. Leurs visières brillent dans l’air comme des quartz glacés.

Volokine éclate de rire, hébété. Fragments de cervelle sur le visage. Joues entaillées par les débris de verre. Il rit. La tête ouverte de Hartmann sur les genoux. Le monstre est mort. Volokine le berce entre ses bras trempés de sang.

Quelques secondes plus tard, il est dehors. D’autres hommes de la BRI, ceux de la brigade « Effraction », l’ont désincarcéré comme un maquereau de sa boîte de conserve. Il titube vers Kasdan, déjà soigné par une équipe de secours, masque d’oxygène sur le visage.

Un homme en combinaison noire et visière relevée, en train de dire en riant :

— Vous avez été nos petits chevaux. Nos petits chevaux de Troie.

83

Les enfants chantaient comme on se baigne dans une rivière.

Avec fluidité, souplesse, mais aussi gaieté et vivacité.

Chacune de leurs syllabes conservait une fraîcheur intime, secrète, vibrante. Les mots latins s’échappaient de leurs lèvres comme autant de cellules invisibles porteuses de paix.

Acupuncture de l’âme.

Baume du cœur.

Lorsque les troupes de la BRI avaient investi le centre de la Cité, Kasdan et Volokine avaient suivi. Après tout, c’était leur enquête. Leur victoire. Même si maintenant la Brigade criminelle et la Brigade de Recherche et d’Intervention s’emparaient de l’affaire et pénétraient la « zone de pureté » comme des conquérants.

Les hommes en combinaison noire couraient. Ouvraient des portes. Brandissaient leurs fusils d’assaut. Cela ressemblait à un pillage ouaté, où nulle résistance, nul cri ne se levait jamais. Où les ennemis étaient désarmés et ne portaient pas de boutons à leur veste.