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Ensemble, Kasdan et Volokine avaient perçu un détail, alors que les soldats se déployaient autour du symbole central de la Colonie — la main tournée vers le ciel.

La rumeur des voix.

Elle provenait du Conservatoire. Ils s’étaient dirigés vers la construction de bois, près de l’église, alors que les groupes « Anticommando », « Varappe », « Effraction » et « Tireurs Haute Précision » poursuivaient leur invasion.

Kasdan et Volokine avaient ouvert les portes avec précaution. Brisés, ensanglantés, anéantis, ils s’étaient effondrés sur les bancs de bois clair.

Il était 10 heures du matin.

Et, en ce 28 décembre, comme n’importe quel autre jour, la chorale répétait.

Maintenant, Kasdan, dit « Doudouk », écoutait le Miserere, sentant se mêler en lui les courants diffus, et pas si éloignés, de l’épuisement et de l’émotion. Le Miserere de Gregorio Allegri résonnait, dehors et dedans, caressant ses os, infiltrant sa chair, anesthésiant ses nerfs.

Le Miserere.

Seule oraison funèbre possible à toute l’histoire.

Kasdan ne cherchait plus à recoller les morceaux. A comprendre comment lui et Volokine avaient été les dindons de la farce. Les otages d’une intervention clandestine et souterraine du RAID. Les ressortissants français qui avaient servi d’alibi aux forces de police traditionnelles pour mener une opération éclair. Bientôt, il faudrait s’expliquer et les ennuis commenceraient. Mais le principal était fait. L’État français avait libéré ses sujets.

Kasdan souriait. L’idée même que leurs vies aient pu être sauvées par des guignols tels que Marchelier, Rains ou Simoni valait en soi son pesant de cacahuètes. Mais envisager en plus qu’ils avaient été manipulés, à distance et à leur insu, était la meilleure, ou la pire blague qu’il pouvait imaginer.

Tout cela n’avait plus d’importance. Bruno Hartmann et sa garde rapprochée étaient neutralisés. Morts. Blessés. Arrêtés. Quant aux médecins givrés, l’officier de police Cédric Volokine se ferait un plaisir de témoigner contre eux. Même s’il ne les avait vus qu’à travers leur masque chirurgical.

Il serait sans doute possible de démontrer d’autres méfaits. Des installations, des appareils, des lieux spécialisés allaient être découverts, révélant les sévices exercés sur les enfants et les adolescents. Sans compter que, désormais, l’origine mystérieuse de la fortune de la secte attendait les enquêteurs officiels sous les verrières des serres. Il ne serait pas non plus difficile de découvrir les laboratoires de raffinerie ni de remonter les filières spécifiques d’Asunción. On pouvait même espérer, au cours des perquisitions, mettre la main sur les traces écrites de cette comptabilité cent pour cent illicite.

Côté humain, des centaines d’auditions allaient commencer. Tous les maillons du système allaient être isolés, interrogés, puis mentalement soignés. On chercherait la trace des enfants enlevés. On trouverait les vestiges de leur passage ici — des gorges dans le formol d’un musée lugubre.

En matière de « dérives sectaires », la Colonie se posait là. Une fois ses dirigeants confondus, il faudrait placer un gouvernement de tutelle et attaquer les procédures de démantèlement. Avant de fermer pour de bon l’antre du cauchemar.

Côté meurtres récents, on pourrait mettre en relation les traces de chaussures, les particules de bois trouvées sur chaque scène de crime et les habitudes de la Secte : ces enfants chaussés à l’ancienne, leur manie de « tâter le terrain » avec leurs baguettes d’acacia. Sans doute des psychologues s’y colleraient. Peut-être même trouverait-on, parmi les gamins, les acteurs directs des meurtres de Wilhelm Goetz, Naseerudin Sarakramahata, Alain Manoury, Régis Mazoyer…

Restait la question centrale. Que préparaient au juste Hartmann et ses hommes ? Un attentat ? Bruno Hartmann, penché au-dessus des fumées, avait parlé avant de mourir d’un « attentat à la seule force de la voix », une « empreinte de pureté dans votre misérable monde »… Oui. L’Allemand préparait un carnage, sous le signe du cri.

Songeant à la secte Aun et leur attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo, Kasdan imagina un hurlement meurtrier résonant dans les couloirs du métro parisien. L’écho fatal se répercutant sur les milliers de carreaux de céramique et déchirant les tympans des victimes.

Les enfants chantaient toujours.

C’était le moment — le fameux moment — où la mélodie soliste s’envole au-dessus du chœur, touchant la membrane la plus sensible de l’auditeur. Comme la première fois, Kasdan sentit les larmes monter. Ces voix d’enfants soulevaient l’âme comme deux doigts délicats le dos d’un petit chat, en toute légèreté, en toute douceur…

Kasdan ne pensait plus.

La violence avait figé ses pensées. Seul son corps résonnait — resplendissait — de cette polyphonie, comme sous la voûte d’un cloître en plein recueillement. Il observait les visages des chanteurs qui, soudés par leurs voix, ne craignaient plus rien. Ils portaient tous la veste et le pantalon de toile noire. Et leurs traits, sereins, détendus, semblaient emplis d’un écho céleste. Quelque chose qui aurait été traduit du silence du ciel…

Seuls auditeurs de ce concert irréel, les deux partenaires demeuraient fascinés, abasourdis, étrangers à eux-mêmes. Ils ne parlaient pas. Respiraient à peine.

Pourtant, sous le chant, ils percevaient autre chose.

Sans se concerter. Sans se regarder.

L’énigme cruciale.

Parmi ces voix d’anges, une seule recelait le pouvoir. Parmi ces enfants, un seul maîtrisait le cri meurtrier. Lequel ?