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— Pousse pas trop, Kasdan.

Il raccrocha. Le nom du flic de la DPJ impliquait deux vérités. D’une part, le capitaine avait conservé l’affaire. D’autre part, le flic au Bombers ne lâchait pas son hypothèse — la piste politique.

L’Arménien se leva et endossa son treillis.

Il était temps, avant d’aller se faire les églises, d’enrichir sa culture.

11

Le dossier Pinochet. L’or des dictatures. L’introuvable démocratie autoritaire. Pinochet face à la justice espagnole. 20 ans d’impunité. Condor : le projet de l’ombre…

Le Chili et ses bouleversements politiques occupaient trois étagères de la librairie. Pinochet et sa dictature deux d’entre elles. Kasdan sélectionna les livres les plus intéressants, sauta de son escabeau puis se dirigea vers l’escalier pour remonter au rez-de-chaussée.

Il se trouvait dans le sous-sol de L’Harmattan, sa librairie préférée, au 16 de la rue des Écoles. Une librairie dédiée en priorité à l’Afrique et qui paraissait construite en bouquins tant les murs étaient uniformément tapissés de livres. Les cloisons d’ouvrages montaient si haut qu’on donnait une échelle à chaque client pour accéder aux rayons.

Kasdan paya — cher — ses livres et regretta l’époque bienheureuse des notes de frais. Une fois dehors, il respira une goulée d’air. La librairie était située au bout de la rue des Écoles, là où les immeubles semblent en finir avec le Quartier latin pour s’ouvrir sur d’autres zones : la rue Monge qui monte on ne sait où, la boutique de pianos Hamm, qui s’avance comme l’étrave d’un paquebot, les derniers cinémas Action…

L’Arménien vérifia son portable. Un message du révérend père Sarkis. D’une pression, il rappela.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Un autre flic est venu me voir.

— De la Brigade criminelle ?

— Non. De la « B » quelque chose. Il y avait le mot « mineurs » dedans.

— BPM. Brigade de Protection des Mineurs.

— C’est ça.

Kasdan tiqua. Le rapport de Puyferrat, mentionnant l’empreinte de basket, était parvenu à Vernoux aux environs de 9 h. Il était 11 h. Le capitaine avait-il aussitôt contacté la BPM, pour que les gars encadrent l’interrogatoire des petits choristes ? Bizarre. Vernoux n’avait aucun intérêt à saisir une autre brigade.

— Le flic, comment il était ?

— Spécial.

— C’est-à-dire ?

— Jeune. Sale. Pas rasé. Assez beau. Il avait plutôt l’air d’un musicien de rock. Il a même joué de l’orgue.

— Quoi ?

— Je te jure. En m’attendant, il est monté sur le balcon. Il y a toujours les grands rubans jaunes. Il est passé dessous et s’est installé au clavier. Il l’a allumé et a commencé à jouer le début d’un tube des années 70…

Sarkis se mit à fredonner quelques notes de sa voix rauque. Kasdan reconnut le morceau :

— Light my fire, des Doors.

— Peut-être, oui.

Kasdan cherchait à visualiser ce flic. Un jeune gars peu soigné, piétinant une scène de crime et jouant un air des Doors dans « son » église. Pas banal, en effet.

— Il t’a donné son nom ?

— Oui. Je l’ai noté… Cédric Volokine.

— Connais pas. Il t’a montré sa carte ?

— Oui. Pas de problème.

— Qu’est-ce qu’il t’a demandé, exactement ?

— Des précisions sur l’heure de la découverte du corps, sur sa position, sur les traces de sang… Mais il voulait surtout interroger les gamins. Comme toi. Les gamins chaussés de baskets Converse.

Aucun doute : Vernoux avait vendu la mèche. Mais pourquoi ? Ne se sentait-il pas capable d’interroger lui-même les mômes ?

— Je vais me renseigner, conclut Kasdan. Rien de neuf à part ça ?

— Le flic d’hier, Vernoux, a téléphoné. Il veut lui aussi interroger les enfants. Vous ne pourriez pas tous…

Quelque chose ne cadrait pas. Si Vernoux souhaitait aussi auditionner les mômes, alors le flic rock venait d’ailleurs. Comment avait-il été informé de l’affaire ?

— Vernoux : tu lui as dit que je les avais déjà interrogés ?

— J’étais obligé, Lionel.

— Comment a-t-il réagi ?

— Il t’a traité de vieux con.

— Je te rappelle. Ne t’en fais pas.

Kasdan s’achemina vers sa voiture. Une fois installé, il composa le numéro du capitaine de la première DPJ. L’officier ne lui laissa pas le temps de parler :

— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Vous jouez à quoi, nom de Dieu ?

— J’avance. Tout simplement.

— Au nom de quoi ? Au nom de qui ?

— Cette église est mon église.

— Écoutez-moi. Si je vous retrouve, ne serait-ce qu’une seule fois sur ma route, je vous fous en garde à vue. Histoire de vous calmer.

— Je comprends.

— Vous ne comprenez rien mais je vous jure que je le ferai ! Après un bref silence, Vernoux reprit, un ton plus bas :

— Les mômes, ils vous ont parlé ?

— Non.

— Putain. Quel gâchis. Vous salopez mon enquête !

— Calme-toi. Quelque chose cloche. Je ne suis pas le roi des psychologues et je ne m’attendais pas à des confessions cash. Mais j’aurais dû percevoir un signe. Un trouble chez le gamin qui a été témoin du meurtre.

— Aucun n’avait l’air choqué ?

— Non. Il doit y avoir une autre explication. Toi, tu en es où ?

— Vous voulez un rapport signé ? J’ai rien à vous dire. Et n’approchez plus de mon affaire ! (Sa colère montait à nouveau.) Comment avez-vous pu interroger ces mômes sans la moindre autorisation ? Sans la moindre précaution ?

Kasdan ne répondit pas. A chaque phrase, il attendait que la résonance retombe. Et avec elle, la colère. Enfin, il prononça :

— Un dernier détail : tu as contacté la BPM ?

— La BPM ? Pourquoi j’aurais fait ça ? Sans répondre, Kasdan changea de ton :

— Écoute-moi. Je comprends que tu fasses la gueule. Tu dois te dire que tu n’as pas besoin d’un vieux ringard dans mon genre. Mais n’oublie pas une chose : tu n’as qu’une semaine pour sortir l’affaire.

— Une semaine ?

— Oui. Le délai de flagrance. Après ça, un juge sera nommé et les compteurs seront remis à zéro. Tu devras demander la permission pour la moindre perquise. Pour l’instant, tu es seul maître à bord.

Vernoux se tut. Il connaissait la loi. La découverte d’un corps donne les pleins pouvoirs pendant huit jours au service saisi par le procureur. Les flics en charge de l’enquête n’ont alors besoin d’aucune commission rogatoire. Perquises, auditions, gardes à vue : tout est possible.

— Mais tu as besoin d’aide, reprit Kasdan. Le meurtre a été commis chez les Arméniens. Et il concerne une autre communauté : les Chiliens. Un vieil immigré comme moi peut te filer des tuyaux. A l’arrivée, c’est toi qui récolteras les lauriers.

— Je me suis renseigné sur vous, admit Vernoux. Vous avez été un grand flic.

— Le passé composé. C’est le temps qui convient. Vous avez fini l’enquête de proximité ?

— On a interrogé le quartier, oui. Personne a rien vu. La rue Goujon est un désert.

— Et l’autopsie ?

Vernoux lui expliqua ce qu’il savait déjà. Il put ainsi tester sa franchise. Ce flic-là n’était pas un tordu. Plutôt un jeune qui en voulait.