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— En tout cas, continua Greschi, il est souvent bord-cadre. Il a démoli un pédo récemment. A la brigade, on a glissé sur l’affaire et on a promis au pointu une cellule pleine d’assassins s’il portait plainte. Mais j’ai pris le môme entre quat’z’yeux. On n’est pas là pour dérouiller les suspects. Même si, chez nous, on vit avec cette tentation permanente.

Kasdan cadrait le chien fou. Doué. Intelligent. Dangereux. Pourquoi s’intéressait-il au meurtre de Saint-Jean-Baptiste ? Parce que des gamins étaient concernés ?

Greschi poursuivait :

— Mais sa grande qualité rattrape tout. Son feeling avec les mômes. Notre problème, à la brigade, ce sont les gosses. La plupart du temps, ils sont nos seuls témoins à charge. Des enfants terrifiés. En état de choc. Impossible de leur tirer un mot. Sauf Volokine.

Kasdan songea à son échec auprès des petits choristes :

— Comment fait-il ?

— Mystère. Il sait les prendre. Les mettre en confiance. Il comprend leurs silences. Leurs phrases avortées. Il sait aussi déchiffrer leurs dessins, leurs gestes. Un vrai psy, j’te jure. Et acharné. Il travaille jour et nuit. Une blague circule sur lui à la boîte, comme quoi il connaît mieux les femmes de ménage qui bossent la nuit que ses propres collègues.

L’Arménien se demanda tout à coup s’il n’avait pas trouvé un allié potentiel. Un mec à la marge, comme lui, mais avec 35 ans de moins et un savoir-faire qu’il ne possédait pas.

— Tu as les coordonnées exactes du centre ?

Greschi donna l’adresse du foyer, situé à cinquante kilomètres de Paris, tout en répétant son scepticisme. A cette heure, Cédric Volokine devait être couché, malade comme un chien. Kasdan salua le commissaire.

Il avait envie d’en savoir plus. Il se donna une heure pour creuser le portrait du flic et commença par Cannes-Écluse. Il demanda à parler à l’officier orientateur. Avec de l’assurance, un numéro de matricule et une certaine manière de s’exprimer, on obtenait n’importe quel renseignement auprès de n’importe quel collègue.

— Je me souviens, fit l’officier. Il était chez nous de septembre 1999 à juin 2001. Quittez pas, je vais chercher son dossier. (Une minute passa puis l’homme reprit l’appareil :) On en a peu de ce calibre. Il est sorti major de sa promotion. Des notes exceptionnelles. Dans tous les domaines. Et, si vous me passez l’expression, des couilles comme ça. Ses rapports de stages insistent sur ce point. Courageux. Tenace. Instinctif.

— En juin 2001, quand il est sorti de l’école, il avait quel âge ? Le flic tiqua :

— Vous avez pas sa date de naissance ?

— Pas sous les yeux.

— Il allait avoir 23 ans. Il est né en septembre 1978.

— Où ?

— Paris, neuvième arrondissement.

— Selon mes notes, après l’école il a intégré la brigade des Stups.

— C’est ce qu’il a demandé. Vu ses résultats, il aurait pu choisir beaucoup mieux.

— Justement. Pourquoi pas un poste plus ambitieux ? Le ministère de l’Intérieur ?

— Les bureaux, c’était pas son truc. Pas du tout. Il voulait être dans la rue. Bouffer du dealer.

Kasdan remercia l’officier et coupa. Greschi avait précisé que Volokine était orphelin. Kasdan composa le numéro de la Ddass. Volokine n’était pas né sous X. Il n’était pas non plus orphelin de naissance. Les enfants abandonnés portent toujours des noms composés de prénoms — Jean-Pierre Alain, Sylvie André. D’autre part, leur naissance est toujours déclarée dans le quatorzième arrondissement, là où siège la Ddass. Une convention qui signifie surtout que ces mômes sont nés sous une mauvaise étoile.

Comme il s’y attendait, Kasdan tomba sur un fonctionnaire verrouillé à double tour. L’homme ne lâcha que quelques monosyllabes, entre ses dents serrées. Pourtant, Kasdan obtint une adresse. Le premier centre d’accueil de Cédric Volokine, en 1983, à Epinay-sur-Seine. Il avait 5 ans.

Après avoir parlé à plusieurs personnes, il s’entretint avec une vieille femme qui se souvenait du gamin. L’Arménien inventa une histoire d’article à rédiger dans le journal interne de la PJ et ajouta une circonstance : Cédric Volokine avait gagné une citation pour un fait de bravoure.

— J’en étais sûre ! se rengorgea la mamie. J’étais sûre que Cédric réussirait…

— Comment était-il ?

— Il avait tous les dons ! Vous savez qu’il a appris le piano tout seul, sans professeur ? Il chantait à la messe, aussi. Une voix d’ange. Il aurait pu entrer chez les Chanteurs à la Croix de bois, s’il y avait pas eu son grand-père paternel. Un sale bonhomme.

— Dites-m’en plus.

— Vous avez vraiment besoin de tous ces renseignements ?

— Racontez-moi ce qui vous revient. Je ferai le tri.

— Nous avons recueilli Cédric à 5 ans. Son père était mort peu de temps après la naissance. Un alcoolique. Un bon à rien, qui vivait d’expédients.

— Et la mère ?

— Elle buvait aussi. Avec un problème mental, en plus. A la naissance de Cédric, elle a commencé une espèce de régression. Quand on lui a retiré l’enfant, elle ne savait plus ni lire ni écrire.

— Pourquoi le grand-père n’a pas gardé l’enfant ?

— Parce qu’il valait pas mieux que son fils. Un Russe. Un sale type.

— Il venait le voir chez vous ?

— De temps en temps. Un homme mauvais. Aigri. Haineux. Je me suis toujours félicitée que Cédric n’ait pas vécu avec lui. Pourtant, quelques années plus tard, il l’a placé dans un autre centre. Des religieux, je crois. Il avait récupéré la tutelle. (La vieille baissa la voix pour demander :) Je peux vous donner mon avis ?

— Bien sûr.

— Je pense qu’il avait fait ça pour l’argent. Il espérait toucher des subsides sociaux. Mais le cancer l’a rattrapé. Il est mort et Cédric a été transféré encore ailleurs. Je ne sais pas où.

— Vous avez eu de ses nouvelles, ensuite ?

— Durant une dizaine d’années, non. Puis il est revenu me voir. Il venait d’avoir son baccalauréat. A 17 ans ! Il était beau comme un dieu. A partir de là, il est passé plusieurs fois chaque année. Ou il me téléphonait. J’ai encore de ses nouvelles, vous savez…

Kasdan prenait des notes. Volokine avait dû rebondir de foyer en foyer jusqu’à sa majorité. Comment avait-il payé ses études ?

Avait-il été aidé par le SAV, le Service d’Accueil en Ville, qui alloue une petite pension aux orphelins ?

L’Arménien remercia la vieille dame et fit ses comptes. Si Volokine avait eu son bac avant d’avoir 18 ans, cela signifiait qu’il l’avait décroché en juin 96. Ensuite, il avait dû s’inscrire à la Sorbonne, à la faculté d’Assas ou de Nanterre pour faire son droit. Contacter ses professeurs ? Non. Kasdan préférait s’orienter vers ses prouesses sportives. Il en restait peut-être des traces sur le Net.

Il n’eut pas à chercher loin. En tapant les mots-clés « kick-boxing » (une discipline qu’il avait choisie au hasard), « champion » et « France », il tomba sur un site très complet : « LA BOXE PIEDS-POINGS ». Le site traitait à la fois du kick-boxing, du full-contact, de la boxe française et du muay thaï — la « boxe thaïe ». Une des entrées proposait les listes des champions par décennies, toutes disciplines confondues : « années 80 », « années 90 », « les champions de demain »…

Dans la catégorie « 90 », Kasdan trouva sans difficulté le palmarès de Volokine, assorti d’une photo de mauvaise qualité :