Deux fois champion de France Junior de muay thaï en 1995 et 1996. Né le 17 septembre 1978, à Paris. Taille : 1, 78 m. Poids : 70–72 kg. Palmarès : 34 combats, 30 victoires (23 victoires par K-O), 2 nuls, 2 défaites.
L’article signalait que l’athlète était toujours resté fidèle à son club, le « Muay Thaï Loisirs », à Levallois-Perret. Kasdan appela.
— Allô ?
Ton essoufflé. Kasdan tombait en plein cours. Il se présenta et demanda à parler au directeur.
— C’est moi. Je suis l’entraîneur du club.
— Je vous téléphone au sujet de Cédric Volokine.
— Il a des ennuis ?
— Pas du tout. Nous mettons simplement à jour nos dossiers.
— Vous êtes de la police des polices ?
L’homme s’annonçait coriace. Kasdan prit son ton le plus chaleureux :
— Non. Ma requête est purement administrative. Il nous faut le cursus exact de nos meilleurs éléments. Pour prendre des décisions d’avenir en ce qui les concerne, vous comprenez ?
Silence. L’entraîneur n’avait pas l’air convaincu — et ce n’était en effet pas très convaincant.
— Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
— D’après nos informations, Cédric a arrêté la compétition en 1996, après avoir été deux fois champion de France Junior.
— C’est exact.
— Pourquoi n’a-t-il pas continué ? Il n’a jamais combattu dans la catégorie Senior ?
Nouveau silence. Plus long. Plus renfrogné.
— Désolé. Secret professionnel.
— Allons. Vous n’êtes ni médecin, ni avocat. Je vous écoute.
— Non. Secret professionnel.
Kasdan se racla la gorge. Il était temps d’abandonner le velours pour la matraque.
— Écoutez. Tout cela concerne une affaire peut-être plus importante que ce que j’ai bien voulu vous dire. Alors, soit on parle ensemble, maintenant, au téléphone, et tout est fini en trois minutes, soit je vous promets du papier bleu pour demain matin. Convocation au 36 et tout le bazar.
— Le 36, c’est pas la Brigade criminelle ?
— Pas seulement.
— Vous êtes de quelle brigade ?
— Les questions, c’est moi. Et j’attends toujours votre réponse.
— Je sais plus où j’en étais, marmonna l’entraîneur.
— Toujours au même endroit. Pourquoi Volokine n’a-t-il pas participé à d’autres championnats ?
— Il y a eu un problème, admit-il. En 1997. Un contrôle antidopage.
— Volokine était dopé ?
— Non. Mais ses urines n’étaient pas claires.
— Qu’y a-t-on trouvé ? Nouvelle hésitation, puis :
— Traces d’opiacés. Héroïne.
Kasdan remercia le coach et raccrocha. L’information était primordiale. Et redéfinissait complètement le jeu. On lui avait présente un jeune gars modèle, tombé dans la dope à 25 ans, au contact des dealers et des drogués.
Mais ce n’était pas l’histoire.
Pas du tout.
Bien avant la brigade des Stups, Volokine était déjà défoncé. Kasdan voyait plutôt se dessiner un môme fermé sur ses traumatismes. Un gamin qui avait tâté très tôt de la horse. Tentative pour oublier ce qu’il avait vécu dans les foyers ou auprès de son salopard de grand-père.
La même question revint le tarauder. Comment le jeune Volokine s’était-il démerdé financièrement durant ses études ? Ce n’était pas avec les mille francs mensuels du SAV qu’il avait pu s’acheter sa dose quotidienne. Il n’y avait qu’une seule solution, facile à imaginer. Volokine avait dealé. Ou s’était livré à d’autres activités criminelles.
Kasdan appela un de ses anciens collègues de la PJ et lui demanda d’effectuer un passage fichier. Après s’être fait tirer l’oreille, l’homme accepta de fouiller du côté du permis de conduire de Cédric Volokine et des appartements qu’il avait occupés durant ses études.
En 1999, alors que Volokine passait sa maîtrise de droit, l’étudiant habitait au 28, rue Tronchet, un trois-pièces de cent mètres carrés près de la Madeleine. Au bas mot, un loyer de vingt mille francs…
Dealer.
Kasdan demanda quel véhicule il conduisait. L’ordinateur mit quelques secondes à répondre. En 1998, il avait acquis une Mercedes 30 °CE 24. La bagnole la plus chère et la plus branchée de l’époque. Le modèle du pur frimeur. Volokine avait 20 ans.
DEALER.
Il demanda enfin une vérification au STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées). Le fichier qui mémorise tout — du moindre PV à la condamnation ferme. Aucun résultat. Cela ne signifiait rien. Volokine avait pu avoir des ennuis mineurs et bénéficier de l’amnistie des élections présidentielles de l’époque. Dans ces cas-là, on effaçait tout et on recommençait…
Kasdan raccrocha et se posa la question à mille euros. Qu’est-ce qui pouvait pousser un dealer défoncé, dans la force de l’âge, à s’inscrire à l’école des flics et à endosser l’uniforme pour deux années ? La réponse était à la fois limpide et tordue. Volokine avait oublié d’être con. Il savait qu’un jour ou l’autre, il finirait par tomber — et qu’il crèverait à petit feu, en taule, en état de manque. Or, où peut-on se procurer de la drogue, tout en bénéficiant d’un maximum de sécurité ? Chez les flics. Volokine était passé de l’autre côté, simplement pour s’approvisionner en toute impunité. Et à l’œil.
Tout cela n’était ni très moral, ni très sympathique.
Mais Kasdan se sentait attiré par ce chien fou qui avait bricolé avec la vie, au point de bousculer tous les repères. L’Arménien pressentait une autre vérité. La drogue et le passage aux Stups ne constituaient qu’une étape pour le Russe. Kasdan le sentait : profondément, Cédric Volokine avait choisi d’être flic pour une autre raison.
Au bout de 2 ans, il était passé à la BPM. Y mettant une fureur particulière. Le vrai combat, la vraie motivation de Volokine, c’était les pédos. Protéger les enfants. Pour cela, il lui fallait sa dose et il avait dû bosser aux Stups pour établir ses réseaux. Alors seulement, il était passé aux choses sérieuses. Sa croisade contre les prédateurs pédophiles.
En parcourant ses notes, Kasdan avait l’impression de lire la biographie d’un super-héros, comme il en lisait autrefois dans les bandes dessinées Marvel ou Strange. Un super-flic doté de nombreux pouvoirs — intelligence, courage, expertise du muay thaï, habileté au tir — mais possédant aussi une faille, un talon d’Achille, comme Iron Man et son cœur fragile, Superman et sa sensibilité à la kryptonite…
Pour Cédric Volokine, cette fêlure avait un nom : la came. Un problème qu’il n’avait jamais réussi à régler. Comme en témoignait son séjour actuel en désintox.
Kasdan sourit.
Dans toute sa carrière, il n’avait connu qu’un seul flic aux motivations aussi tordues. Lui-même.
14
L’enquêteur officiel, Éric Vernoux, ne posait pas de problème.
C’était l’autre, l’Arménien, qui allait lui casser les couilles.
Après avoir visité la cathédrale Saint-Jean-Baptiste, Volokine avait appelé les familles des six gosses chaussés de Converse. Il s’était fait recevoir. Les enfants avaient déjà été interrogés par le commandant Lionel Kasdan. Volo n’avait pas insisté. Le révérend père Sarkis avait déjà évoqué Kasdan, « membre actif de la paroisse », officier de police retraité, sur place au moment de la découverte du corps…