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Seul problème, aucune de ces explications ne pouvait s’appliquer à tous les enfants-tueurs. Il n’existait pas un profil type pour ces assassins. Ce qui revenait à dire qu’il n’y avait pas une solution clé. Ou bien alors : la plus simple. L’homme était mauvais et, par conséquent, le « petit d’homme » ne valait guère mieux…

A minuit et demi, Kasdan lâcha son écran. Écœuré, accablé, épuisé. Il partit dans la cuisine se préparer un café. Revint dans le salon. S’approcha de la fenêtre, à demi voûté sous le toit mansardé. Du septième étage, il avait une vue imprenable sur le boulevard Voltaire et l’église Saint-Ambroise.

Son portable sonna. Il songea à Volokine. C’était Vernoux.

— Alors ? demanda-t-il aussitôt.

— Personne n’a rien vu, expliqua-t-il. Mendez fait l’autopsie. Et j’attends les premiers résultats de l’Identité judiciaire. Mais a priori, on a pas la queue d’un indice. L’inscription a été effectuée avec la langue de la victime, et l’organe a été manipulé avec des gants. Sinon, pas un cheveu, pas un brin de salive. Le tueur est un pro. Et toujours cette technique bizarre des tympans. Vous saviez que la métallisation de l’organe auriculaire de Goetz n’avait rien donné ?

Kasdan ne répondit pas. Vernoux continua. Il paraissait sonné par le meurtre de Naseer. Il voulait maintenant collaborer. Il fallait unir ses forces contre cet ennemi beaucoup plus dangereux que prévu.

Le seul coup de chance de Vernoux était que le boulevard Malesherbes était sous sa juridiction. Il avait donc hérité de cette nouvelle affaire. Mais il lui serait difficile de convaincre le Proc de conserver ces deux enquêtes criminelles. Du tout cuit pour la BC.

En retour, l’Arménien donna à Vernoux quelques os à ronger, notamment les informations sur l’inscription issue du Miserere. Il ne faisait que répéter les mots de Volokine. Mais il ne lâcha rien sur la disparition du petit Tanguy Viesel ni sur le soupçon de pédophilie. Il voulait conserver cette piste. Foireuse ou non.

— Et Goetz ? conclut-il. La piste politique ?

— Le mec de l’ambassade n’est toujours pas rentré. J’ai contacté l’officier de liaison argentin. Il ne sait rien sur le Chili. Il a l’air de prendre le Chili pour un pays de cons.

Kasdan songea aux zonzons. Un bref instant, il fut tenté d’en parler à Vernoux. Puis se ravisa.

— Tu as épluché ses notes de téléphone ? questionna-t-il au hasard.

— En cours. Pour l’instant, rien de spécial.

— Goetz n’avait pas contacté un avocat, récemment ?

— Pourquoi un avocat ?

— Je ne sais pas, éluda-t-il. Peut-être qu’il se sentait en danger.

— On vérifie tous les numéros. Mais on n’a rien noté dans ce sens.

Vernoux ne parlait pas des enfants de Saint-Jean-Baptiste. Dans la tourmente, le flic n’avait sans doute pas eu le temps de convoquer les familles. Il ignorait donc que l’Arménien l’avait doublé une deuxième fois. Avec un autre flic, issu de la BPM.

Kasdan raccrocha. Consulta sa montre. 1 h du matin. Le sommeil ne viendrait pas de lui-même. Il partit dans la cuisine prendre deux Xanax — piqûres de moustiques sur le cuir d’un buffle — puis s’installa de nouveau derrière son ordinateur.

Google. Enfants. Guerre. L’horreur se resserra d’un cran, passant des crimes particuliers aux crimes de masse. Enfants-soldats du Mozambique. Enfants-cannibales du Liberia. Enfants-coupeurs de mains de la Sierra Leone. Enfants-monstres, hallucinés, drogués, vicieux, indifférents, qui se répandaient sur l’Afrique comme un cancer incontrôlable…

Un clic, et l’horreur se déporta en Amérique latine. Colombie. Bolivie. Pérou. Les gangs. Les « baby-killers » des narcotrafiquants. Dans ces pays, la plupart des contrats sont assurés par des gosses de la rue, défoncés, élevés dans la haine et la violence.

Kasdan se forçait à lire, la nausée au ventre. La sonnerie de son portable le sauva. Coup d’œil à l’horloge du Mac. 1 h 45 du matin. Il songea encore une fois à Volokine mais reconnut la voix de Puyferrat, de l’Identité judiciaire.

— Je te réveille pas ?

— Non. T’as quelque chose ?

— Je veux. Je suis en train de rédiger mon PV sur la scène de crime de Nasiru… Enfin, tu vois qui je veux dire…

— Je vois.

— J’ai d’autres empreintes de chaussures. Elles n’étaient pas visibles à l’œil nu mais j’ai fait luminer la piaule.

Le luminol est un produit vieux comme Hérode. Une substance qui révèle la moindre particule de fer, donc la moindre trace de sang. Dix années après un meurtre, une tache d’hémoglobine, nettoyée à l’eau de Javel, brille encore au contact de cette substance.

— Des empreintes de basket, continua Puyferrat.

— Du 36 ?

— Exactement. C’est dingue.

La théorie de Volokine revenait en force. Kasdan inspira. Pourquoi fallait-il que sa dernière enquête repoussât les limites de l’horreur ? Le Russe avait dit : « J’ai 30 ans mais c’est vous le bleu. » Il avait raison.

— Mais il y a pire, poursuivit le technicien. Il y en a plusieurs.

— Plusieurs empreintes ?

— Plusieurs mômes.

— Quoi ?

— Il n’y a aucun doute. A moins que le meurtrier se marche lui-même sur les pompes.

Trou d’air dans son estomac. Éclairs au fond du cerveau. Sentiment d’être dans un avion au bord du crash. Kasdan se souvint d’un autre détail. Lors de leur première rencontre, Volokine avait parlé d’une « conspiration de gosse. » Il en parlait au singulier mais le mot était juste. Comme si le Russe entrevoyait déjà la vérité.

— Les empreintes se croisent. Toutes de petite taille. Si j’avais fumé, je dirais que le mec s’est fait refroidir par une bande de gosses en délire. Certaines empreintes sont plus nettes que la première fois. Je les ai envoyées à l’IRCGN, au fort de Rosny-sous-Bois. Ils ont des catalogues pour tout. Fusils, empreintes dentaires, empreintes d’oreilles. Ils possèdent aussi un index de moulages de chaussures.

— Tu n’es plus sûr que ce soit des Converse ?

— Non. Finalement, le dessin n’est pas tout à fait le même.

— Putain. Je bosse depuis deux jours sur une fausse piste ?

— Tu bosses sur rien du tout, Doudouk. Je suis déjà bien gentil de t’appeler.

Kasdan ravala sa rage.

— C’est tout ?

— Non. On a aussi d’autres parcelles de bois.

Les échardes trouvées sur la tribune de la cathédrale. L’élément lui était complètement sorti de la tête.

— C’est le même bois que la dernière fois ?

— Trop tôt pour le dire. J’ai même pas les résultats d’analyse du premier prélèvement. On l’a envoyé encore une fois au labo, à Lyon. Ça va pas tarder à revenir.

— OK. Rappelle-moi vite. Et… merci.

— Pas de quoi, ma vieille.