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— Qu’est-ce que tu as trouvé ? demanda-t-il en plaçant les croissants dans une coupe en porcelaine.

— Un autre disparu. Une autre chorale. En 2005. Celle de Saint-Thomas-d’Aquin, dirigée par feu monsieur Goetz.

— Tu déconnes.

— C’est nous qui déconnons. On aurait dû vérifier tout ça en priorité. Goetz dirigeait quatre chorales. Dans deux d’entre elles, en deux années, il y a eu deux disparitions. Vous pouvez toujours parler de hasard, de coïncidences. Moi, je vous dis que Goetz est mouillé jusqu’à l’os. L’os de la bite, si vous n’avez pas compris.

Kasdan attrapa la liasse de documents et la feuilleta.

— Goetz est impliqué dans ces disparitions, insista le gamin. C’est un pédo, nom de Dieu. Et un môme a décidé de se venger. De lui et de son minet.

— Tu ne sais pas tout.

L’Arménien expliqua à Volo la découverte de la nuit. Les empreintes qui démontraient que le tueur était plusieurs. Plusieurs gosses.

Le Russe parut à peine étonné :

— Cela confirme ce que je pense, fit-il. Les mômes se sont retournés contre leur agresseur.

— Il est trop tôt pour…

— Lisez. J’ai aussi chopé le dossier de Tanguy Viesel. Je file sous la douche.

Volo disparut. Kasdan parcourut le dossier. En entendant les robinets s’ouvrir, il se demanda si le gamin n’était pas en train de se faire un fix. La douche : la ruse préférée des junks pour squatter la salle de bains et se livrer à leur rituel, couvert par le bruit de l’écoulement.

Aussitôt, une autre pensée vint le saisir, sans lien avec la première. Il ne parlerait pas de l’étrange visite de cette nuit. Qui va là, putain ? L’avait-il rêvée ? Un enfant était-il vraiment venu, au fond du couloir, tapotant le sol avec une baguette de bois ? Etait-ce aussi terrifiant qu’il l’avait ressenti ?

Les données sur la disparition de Tanguy Viesel n’apportaient rien. Les gars du quatorzième avaient mené leur enquête, sans résultat, puis avaient refilé le dossier aux « disparus ». Le fait que le gamin ait emporté des vêtements semblait confirmer l’idée d’une fugue. Malgré son jeune âge, 11 ans, l’enfant avait peut-être réussi à vivre sa vie en solo, loin de sa famille.

Le cas avait rejoint le flux continu des disparitions en France. Chaque année, la Brigade de Répression de la Délinquance Contre la Personne (BRDCP), un service dont la compétence était limitée à l’Ile-de-France, traitait environ 3 000 « dispas », sans compter les 250 cadavres inconnus et les 500 amnésiques dont il fallait réveiller la mémoire.

L’autre disparition, un gamin du nom de Hugo Monestier, 12 ans, habitant dans le cinquième arrondissement, était similaire à celle de Tanguy. Évaporé sur le chemin de l’école. Affaires emportées, qui laissaient penser à une fugue. Pas le moindre résultat après plusieurs semaines d’enquête. Les keufs avaient comparé les deux affaires. Noté les similitudes. Deux membres de chorales. Deux sopranos. Dirigés tous deux par monsieur Goetz. Le Chilien avait été interrogé et était ressorti des auditions blanc comme neige.

L’Arménien lâcha ses feuilles et but une goulée de café. Par association, il songea au père Paolini, qui dirigeait la paroisse de Saint-Thomas-d’Aquin. Le prêtre devait justement rentrer de voyage ce matin. Il saisit son portable. Composa le numéro de l’église — la douche bruissait toujours.

On répondit à la quatrième sonnerie. Kasdan demanda à parler au père.

— C’est moi, fit une voix de baryton bien appuyée. Kasdan se présenta et évoqua l’affaire Hugo Monestier.

— J’ai déjà tout dit à l’époque.

— Des faits nouveaux nous font rouvrir la procédure.

— Quels faits nouveaux ?

— Le secret de l’enquête m’interdit de vous répondre.

— Je vois. Que voulez-vous savoir ?

— Que pensez-vous de Wilhelm Goetz ?

— Je comprends maintenant ce qui vous amène. La mort de Goetz.

— Vous êtes au courant ?

— Oui. Le père Sarkis, de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste, m’a laissé un message. C’est terrible.

Sarkis avait décidément fait la tournée des paroisses. La voix était grave, lente, doucement chaloupée par l’accent corse. Kasdan enquilla :

— Je précise ma question : quelle est votre conviction sur un lien éventuel entre la disparition de Hugo Monestier et Wilhelm Goetz ?

— Wilhelm était innocent. Les policiers ont rapidement abandonné cette piste. Au départ, je me souviens, ils tournaient autour de lui comme des vautours. C’est malheureux à dire, mais son homosexualité semblait constituer, aux yeux de vos collègues, une circonstance aggravante.

— Vous saviez qu’il était homosexuel ?

— Un secret de Polichinelle. Malgré ses efforts pour cacher sa vie privée, Goetz ne pouvait nier cette évidence.

— Il n’a jamais eu une attitude limite avec les enfants ?

— Non. Il était parfaitement correct. Et c’était un grand musicien, doublé d’un excellent pédagogue. Si j’étais vous, je chercherais ailleurs la cause de sa mort.

— Vous avez une autre idée ?

— Pas une idée. Une impression. Wilhelm Goetz avait peur. Terriblement peur.

— De quoi ?

— Je ne sais pas.

Kasdan regarda sa montre : 10 h.

— J’aimerais parler de tout ça avec vous, de vive voix.

— Quand vous voulez.

— Je serai là dans moins d’une heure.

— Je vous attends dans la sacristie. Nous sommes place Saint-Thomas-d’Aquin, près du boulevard Saint-Germain.

L’Arménien raccrocha alors que Volokine apparaissait sur le seuil de la cuisine, peigné, rasé, brillant comme un sou neuf. Il portait toujours son costume froissé mais renvoyait maintenant de vrais reflets de lumière, à la manière d’un paysage trempé de rosée. Il attrapa un croissant dans la coupe et l’avala en deux bouchées.

Il désigna le dossier posé sur la table :

— Ça vous a plu ?

— Bon boulot. Mais le taf ne fait que commencer.

— Je suis d’accord. J’ai déjà lancé une autre recherche. Au Service des disparus et à la BPM. Pour voir s’il n’y a pas d’autres petits chanteurs envolés.

— Dans des chorales qui n’étaient pas dirigées par Goetz ?

— Une idée comme ça. On se focalise sur le Chilien. Mais l’autre point commun de ces mômes est qu’ils avaient une voix — pure, juste, innocente. Je sais de quoi je parle : moi-même, j’ai été chanteur. C’est un don. Une grâce dont on ne se rend pas compte quand on est gosse. Un truc tombé du ciel, qui disparaît avec la mue.

— Ces voix pourraient être un mobile des disparitions ?

— J’en sais rien. Peut-être qu’il y a derrière tout ça une perversion à base de chants religieux. J’ai vu tellement de trucs zarbis…

Kasdan songea au Miserere qu’il avait écouté chez Goetz, le premier soir. Cette voix qui l’avait bouleversé et qui avait attiré, comme un aimant, à la surface de sa conscience, ses blessures les plus sensibles. Il s’arracha à cette sensation irrationnelle et dit d’une voix ferme :

— OK. On se partage le boulot. Je fonce à Saint-Thomas-d’Aquin. Parler avec le prêtre de la paroisse. J’ai l’impression qu’il a des choses à me dire.

Volokine prit un autre croissant :

— Moi, je file à Notre-Dame-de-Lorette, dans le neuvième. Ce matin, avant de venir ici, je me suis procuré la liste des chanteurs des quatre chorales de Goetz puis j’ai consulté les dossiers de la BPM, concernant les enfants délinquants. Si nous avons bien affaire à des enfants assassins, ils ont peut-être eu des antécédents.