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— Les conneries habituelles. Que j’avais des super-qualités de voix, que je pouvais aller loin…

— C’est tout ?

— File-moi une autre clope.

Une Craven, du feu. Il espérait que le petit con ne le menait pas en bateau.

— Comme il voyait que j’en avais rien à branler, il s’est mis à me menacer. Des punitions à la con. Le pire qui pouvait m’arriver, selon lui, c’était d’être viré de la chorale. Je me suis marré.

— Alors ?

— Il a changé de ton. Il m’a dit que si ça continuait, l’Ogre allait s’en mêler.

— L’Ogre ?

— Ouais. Il a répété ça plusieurs fois. En fait, il l’a dit en espagnol : « El Ogro. »

— Qu’est-ce que ça signifiait ?

— Je sais pas. Mais il déconnait pas, j’te jure. Il s’est mis à parler d’un Ogre qui nous surveillait et qui pouvait nous punir d’une manière atroce…

Sylvain regarda l’extrémité incandescente en gloussant doucement :

— El Ogro, putain le con…

— Ton histoire, elle vaut pas un clou.

— Parce que j’ai pas fini.

— Alors, continue.

Sylvain souffla quelques ronds parfaits. Un autre numéro réussi.

— Goetz, il a continué à déconner comme ça sur El Ogro. Une espèce de géant sans pitié qui nous écoutait chanter. Qui pouvait se mettre en colère. Il commençait à me gonfler avec ces histoires débiles. Et pis tout à coup, j’ai senti un truc. Goetz, il y croyait vraiment…

— Comment ça ?

— C’est lui qu’avait peur. Il avait les jetons. Comme si tout ça, c’était vrai.

— Comment ça s’est fini, votre petite conversation ?

— On est retournés dans l’église et on a repris la répète. Goetz, il a alors posé sa main sur mon épaule, et là, j’ai su que j’avais raison. Cette main, c’était pour lui-même. Il avait l’impression de m’avoir lâché un truc terrible. Un truc que j’avais pas compris et finalement, c’était mieux comme ça. Son secret, c’était trop lourd, trop grave pour un môme, tu piges ?

Volokine réfléchit. Il ne s’attendait pas à ça. Pas du tout. El Ogro : qu’est-ce que cela pouvait signifier ? La menace que redoutait Goetz ? La menace qui l’avait tué de douleur ? Son imagination partit en vrille. El Ogro. Peut-être était-ce lui qui avait enlevé Tanguy Viesel, puis Hugo Monestier… Un monstre qui était attiré par les voix pures et innocentes, pour une raison qu’il ne pouvait encore discerner. Pour la première fois, il sentit son intuition se fissurer. Peut-être avait-il tout faux, depuis le départ, avec ses histoires de pédophilie et de vengeance.

— Cette histoire, c’était quand ?

— Y a pas longtemps. Trois semaines.

Il poussa la barrette argentée vers le rouquin :

— De l’afghane. Le top sur le marché.

Le gamin tendit le bras. Volo referma sa main dessus.

— Attention. Si jamais tu touches à l’héro ou au crack, je le saurai. Je connais tous les dealers de Paris. Je vais leur donner ton nom et ton signalement. Si j’apprends quoi que ce soit, je te jure que je reviendrai te péter la gueule. A partir d’aujourd’hui, je t’ai à l’œil, mon salaud.

Sylvain François cilla. La crainte apparut dans ses yeux. Volokine lui sourit. Il savait pourquoi le môme avait peur. Le gosse de la Ddass avait vu passer dans les pupilles du flic, comme dans un miroir, la même géographie cérébrale que la sienne. Des aires internes, entièrement dévouées à l’instinct, la peur, la violence. Un cerveau primitif, un « tout-au-ventre » qui aboutissait à une brutalité précise, efficace, sans rémission. La géographie cérébrale de l’enfant-loup.

28

Kasdan attendait devant Notre-Dame-de-Lorette depuis une demi-heure. Il s’était garé à la diable, dans la rue circulaire de l’église, à cheval sur le trottoir, ajoutant encore au bordel du quartier. Il avait laissé un premier message, prévenant le Russe qu’il venait le chercher. Pas de réponse. Un deuxième message pour lui dire qu’il était devant l’église. Pas de réponse non plus.

Il allait tenter un nouvel appel quand Volokine déboula. Avec son treillis et sa gibecière, il ressemblait à un militant d’une cause altermondialiste, des tracts plein le sac, prêt à mobiliser des troupes sous le frontispice des églises.

Le chien fou descendit les marches quatre à quatre. Quand il fut installé à la place passager, Kasdan fulmina :

— Jamais t’écoutes ton portable ?

— Désolé, Papy. Grande conférence. Je viens seulement de consulter ma messagerie.

— Du nouveau ?

— Ouais, mais pas ce que j’attendais.

— Quel genre ?

— Sylvain François n’est pas notre coupable. D’ailleurs, il chausse du 40 ou du 42.

— Alors quoi ?

Volokine résuma. La peur de Goetz. El Ogro. Cette idée d’un monstre qui enlèverait les enfants pour leur voix. Kasdan ne comprenait pas l’intérêt de ces nouvelles informations.

— Que des conneries, quoi.

Volokine sortit son nécessaire à joints. Kasdan grogna :

— Tu peux pas t’arrêter un peu, non ?

— C’est bon pour ce que j’ai. Roulez. Y a des keufs partout, ici. Kasdan démarra. Conduire le détendait et il en avait besoin.

— Et vous ? demanda Volokine les yeux baissés sur ses feuilles.

— Je suis tombé sur les deux seuls prêtres criminologues au monde.

— Ça donne quoi ?

— Des théories bidon, mais contagieuses.

— Comme ?

Kasdan ne répondit pas. Il remonta la rue de Châteaudun jusqu’à la station de métro Cadet puis tourna à droite, dans la rue Saulnier. Il avait un objectif. Il prit à contresens la rue de Provence sur plusieurs centaines de mètres, faisant comme s’il possédait un gyrophare et une carte de flic valable. Enfin, il tomba dans la rue du Faubourg-Montmartre, bourrée de passants, et stoppa devant les Folies-Bergère.

— Pourquoi ici ? demanda Volo, en lissant son joint qui avait la perfection d’un sceptre d’Egypte.

— La foule. Pas de meilleure planque.

Le Russe acquiesça en allumant sa mèche de papier. Les volutes parfumées se répandirent dans l’habitacle. En réalité, Kasdan se livrait ici à un pèlerinage personnel. A la fin des années 60, il avait été amoureux d’une danseuse des Folies-Bergère. Ce souvenir ne l’avait jamais lâché. Les attentes, en uniforme, dans sa bagnole pie. La femme bondissant sur le siège passager, après le spectacle, les seins saupoudrés de paillettes. Et ses tergiversations. Elle était mariée. Elle n’aimait ni les flics ni les mecs fauchés…

Kasdan souriait en silence. Il voguait tranquille sur ses souvenirs. Il était à un âge où chaque quartier de Paris est le lieu d’un mémorial.

— Putain, ricana Volo. C’est moi qui fume et c’est vous qui planez.

L’Arménien se secoua de ses rêveries. Dans la voiture, les bouffées avaient dressé un épais brouillard. On n’y voyait plus à cinq centimètres.

— Tu peux ouvrir ta fenêtre ?

— Pas de problème, fit le Russe en s’exécutant. Alors, ces théories ?

Kasdan monta la voix pour couvrir le bruit de la foule qui s’engouffrait à l’intérieur :

— Les deux prêtres ont mis le doigt sur un fait particulier. Un truc qui devient évident.

— Quel fait ?

— L’absence de mobile. Il n’y avait aucune raison d’éliminer Goetz. Je t’ai suivi sur tes histoires de pédophilie mais on n’a pas trouvé la queue d’un indice.