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Toujours pas un bruit. Il allait finir par se perdre, lui, dans ce dédale. Une autre comparaison lui vint. Le labyrinthe du Minotaure. Version aquatique. Il imaginait un monstre marin traquant ses victimes, les épuisant dans ces flots immobiles…

Une toux résonna.

Le bruit fut si bref, si incongru, que Kasdan crut l’avoir rêvé. Il éteignit sa lampe. La froideur du lieu lui pénétrait les os et, curieusement, lui faisait du bien. Son corps s’apaisait au fil des minutes.

De nouveau, la toux.

L’homme se terrait quelque part — et il était en train de grelotter. Kasdan reprit sa marche, à l’aveugle, soulevant ses pas au maximum. Le bruit n’avait résonné qu’à quelques dizaines de mètres.

La toux, encore une fois.

Plus que quelques pas.

Kasdan sourit. Cette toux frêle, maladive, impliquait une faiblesse chez l’adversaire. Une vulnérabilité qui collait avec la silhouette qu’il avait aperçue le long de la grille.

— Sors de ton trou, dit-il de sa voix la plus rassurante. Je ne te ferai pas de mal.

Silence. Clapotis. Ses pieds s’enfonçaient dans la boue. Une odeur de cave inondée lui crispait les narines. Kasdan changea de ton :

— Sors de là ! Je suis armé. Un temps encore, puis :

— Ici…

Kasdan alluma sa torche et la dirigea vers la voix. Sous une voûte écaillée, un homme était recroquevillé. L’Arménien braqua son faisceau sur le gars, histoire de renforcer sa menace. Le type se blottit dans la niche. Kasdan pouvait entendre ses dents claquer. La peur, plus que le froid. Lentement, il détailla sa proie acculée, passant son rayon du visage aux épaules, des épaules aux pieds.

Un Indien.

Un jeune homme au teint noir et aux cheveux plus noirs encore.

Sauf que le gamin avait les yeux verts. Des iris d’une clarté surnaturelle, comme s’il portait des lentilles de contact. Une transparence qui coïncidait bizarrement avec le grand bassin qui stagnait dans leur dos. Kasdan songea à ces sang-mêlé créoles et hollandais qu’on rencontre sur certaines îles des Caraïbes.

— Qui es-tu ?

— Me faites pas de mal…

Kasdan l’empoigna et l’arracha de sa planque. D’un seul mouvement, il le remit sur ses pieds. Soixante kilos tout mouillé, pas plus.

— QUI ES-TU ?

— J’m’appelle… (Une toux l’arrêta puis il reprit :) J’m’appelle Naseerudin Sarakramahata. Mais tout le monde m’appelle Naseer.

— Tu m’étonnes. D’où tu viens ?

— De l’île Maurice.

L’exotisme continuait. Un flic arménien interrogeait un Mauricien au sujet d’un maître de chœur chilien. Ce n’était plus une enquête mais de la « world kitchen ».

— Qu’est-ce que tu foutais chez Goetz ?

— Je suis venu récupérer mes affaires.

— Tes affaires ?

Un frêle sourire se dessina sur les lèvres roses de l’Indien. Un sourire que Kasdan eut aussitôt envie d’écraser à coups de poing. Il commençait à deviner de quoi il s’agissait.

— Je suis un ami de Willy. Enfin, de Wilhelm. Kasdan lâcha sa prise.

— Explique-toi.

Le jeune homme se tortilla d’une manière déplaisante. Il reprenait du poil de la bête.

— Son ami… Son boy-friend, quoi.

Kasdan observa son prisonnier. Minceur de la silhouette. Attaches fines et fragiles, portant bagues et bracelets. Jean taille basse. Autant de détails qui sonnaient comme des confirmations.

Mentalement, l’Arménien battit ses cartes et réordonna son jeu. Wilhelm Goetz avait une raison d’être si discret sur sa vie privée. Un pédé à l’ancienne. Qui dissimulait ses préférences sexuelles comme un secret honteux.

Kasdan inspira une grande bouffée d’air humide puis ordonna :

— Raconte.

— Qu’est-ce… qu’est-ce que vous voulez savoir ?

— Tout. Pour commencer.

7

J’ai connu Willy à la Préfecture de police. On faisait la queue pour nos papiers. Notre carte de séjour. Quand il était flic, Kasdan respectait toujours cette vérité. Plus une histoire paraît absurde, plus elle a des chances d’être vraie.

— On était tous les deux réfugiés politiques.

— Toi, un réfugié ?

— Depuis la victoire du Mouvement socialiste mauricien et le retour au pouvoir d’Aneerood Jugnauth, je…

— Tes papiers.

Le Mauricien palpa son blouson et en sortit un portefeuille. Kasdan lui arracha des mains. Des photos des îles, de Goetz, de minets huilés. Des préservatifs. L’Arménien eut un haut-le-cœur. Il luttait contre son dégoût et sa violence, qui lui battaient sous la peau et ne demandaient qu’à jaillir.

Enfin, il trouva la carte de séjour et le passeport. Kasdan les empocha et balança le reste à la tête du minet :

— Supprimés.

— Mais…

— Ta gueule. Cette rencontre, c’était quand ?

— En 2004. On s’est vus. On s’est… enfin, on s’est compris. Le minou parlait d’une voix nasillarde, avec un accent indolent, mi-indien, mi-créole.

— Depuis quand tu es à Paris ?

— 2003.

— Tu vivais chez Goetz ?

— Je dormais chez lui trois soirs par semaine. Mais on s’appelait tous les jours.

— Tu as d’autres mecs ?

— Non.

— Te fous pas de ma gueule.

Le minet se contorsionna avec langueur. Tout en lui respirait la féminité. Kasdan avait les nerfs en pelote. Vraiment allergique aux lopettes.

— Je rencontre d’autres hommes, oui.

— Ils te payent ?

L’oiseau exotique ne répondit pas. Kasdan lui braqua la lampe dans la gueule et l’observa plus en détail. Un visage de félin sombre, aux mâchoires avancées. Un nez court, des petites narines rondes, collées près de l’arête comme des piercings. Des lèvres sensuelles, plus claires que la peau. Et ces yeux clairs, éclatants dans ce visage cuivré, sous des paupières légèrement gonflées de boxeur. Pour ceux qui aimaient ça, le petit mec doré devait être à croquer.

— Ils me donnent des sous, oui.

— Goetz aussi ?

— Aussi, oui.

— Pourquoi tu es venu chercher tes affaires, justement ce soir ?

— Je… (Il toussa encore, puis cracha.) Je veux pas d’ennuis.

— Pourquoi tu aurais des ennuis ?

Naseer leva des yeux langoureux. Des larmes accentuaient l’éclat de ses iris.

— Je suis au courant pour Willy. Il est mort. Il a été assassiné.

— Comment le sais-tu ?

— Ce soir, on avait rendez-vous. Dans un café, rue Vieille-du-Temple. Il est pas venu. Je me suis inquiété. J’ai appelé l’église. Saint-Jean-Baptiste. J’ai parlé au curé.

— Saint-Jean-Baptiste est une église arménienne. Nous n’avons pas de curé, mais des pères.

— Oui, enfin, je lui ai parlé. Et il m’a dit.

— Comment avais-tu les coordonnées de la cathédrale ?

— Willy m’avait donné un planning. Une sorte d’emploi du temps. Les lieux, les heures, les coordonnées des églises, des familles où il donnait des cours. Comme ça, je savais toujours où il était…