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— Isabel, vous avez été forte toute la journée. C’est dur, mais il le faut. Pedro vous le demanderait.

Le visage de la jeune femme se durcit et son regard étincela.

— Vous avez raison. Il me le demanderait. Si c’est ce méprisable voyou ! … Pedro l’a beaucoup aidé et lui a fait confiance. Uniquement pour ce qui concernait ses activités professionnelles.

— Il ne va pas tarder.

Il referma la porte de son réduit, ne laissant qu’un fil de jour pour voir le hall, le couloir et la cuisine. L’attente dura un quart d’heure.

Quand la sonnerie de la porte retentit, Isabel passa devant lui. Elle avait tout son calme et il l’admira. José Cambo entra. Il avait l’allure dansante d’un torero, et ses vêtements ajustés accroissaient cette impression. Ses cheveux plaqués luisaient sous la lumière.

— Bonsoir, dona Isabel. Pouvez-vous me pardonner de venir à cette heure et après cette terrible journée? Mais il le fallait.

Kovask remarqua qu’il était très pâle et que son regard cherchait autour de lui.

— Venez, dit la jeune femme.

Elle passa devant lui. Alors il sortit un chiffon de sa poche, fit une clé au cou d’Isabel. Elle poussa un cri, mais il lui appliquait le chiffon sur la bouche. Elle se débattit quelques secondes. Peut-être le temps de maudire Kovask qui ne bougeait pas.

Quand elle tomba, José Cambo la retint puis l’entraîna vers la cuisine. L’Américain constata qu’il portait des gants. De sa cachet te il voyait une partie de la pièce. Surtout le bloc cuisinière à gaz. Il devina ce qui allait suivre.

José Cambo abandonna sa victime sur le carrelage et vint chercher deux chaises. Il allongea le corps de la jeune femme dessus, ouvrit le four à gaz et poussa la tête d’Isabel à l’intérieur. Il ouvrit ensuite les robinets.

Kovask sentait son cœur battre à grands coups dans sa poitrine. Il ne pouvait laisser la jeune femme ainsi plus d’une minute. Mais s’il était obligé d’intervenir avant le départ de Cambo tout était certainement perdu. L’homme n’était pas venu seul et des complices devaient couvrir son action.

Cambo jeta un regard autour de lui, sortit une lettre de sa poche et la déposa sur la table. Il éteignit les lumières et Kovask apprécia. Si quelqu’un intervenait dans le courant de la nuit, le seul fait de manœuvrer un commutateur ferait exploser le gaz. Toute trace du crime serait ainsi effacée. C’était du bon travail.

La porte se referma. Il commença de se laisser glisser hors de sa cachette, entendit la grille claquer imperceptiblement.

Il fonça vers la cuisine. L’odeur était déjà forte. Il coupa le gaz, prit la jeune femme dans ses bras et la transporta dans sa chambre. Il la coucha sur le sol, commença de pratiquer la respiration artificielle.

Ce fut très long. Il s’acharna, ruisselant de transpiration dans l’étuve qu’était la villa. Enfin elle respira plus normalement, mais sans reprendre connaissance. Il lui fit avaler un peu de whisky et elle ouvrit les yeux.

Tout d’abord, elle resta-hébétée, cherchant sa respiration.

— Il est parti?

— Oui.

Soudain elle se mit à pleurer. Il la laissa tranquille pendant quelques instants, en profitant pour aller aérer la cuisine.

Quand il revint, elle avait eu la force de se traîner sur le lit et de s’y allonger.

— Que s’est-il passé?

Elle écouta.

— C’est affreux. Pourquoi lui?

— Il appartient à la Phalange? Et puis c’est le seul qui pouvait se présenter aussi tard chez vous.

— On l’avait placé auprès Pedro pour l’espionner?

Kovask approuva de la tête.

— C’est lui qui a tué Pedro?

— Certainement pas, puisqu’il était au magasin dans l’après-midi.

— Non, il n’ouvre qu’à seize heures.

— Je crois savoir comment votre mari est mort. Il avait l’habitude de rouler vite?

— Oui. Toujours très vite.

— Les pneus s’échauffent plus rapidement. On utilise une sorte de pétard thermique. Il explose à une température donnée et ne laisse pas de trace. La roue éclate. Ils devaient le suivre à courte distance et se sont assurés de sa mort, au besoin ont aggravé ses blessures.

— Pedro laissait souvent la voiture devant le magasin. José Cambo a pu poser ce pétard.

— Ou habite-toi?

— Avenida José Antonio, numéro 17.

— Il est marié?

— Oui. Il occupe un appartement donnant dans un patio. Il faut aller au fond du couloir, traverser le jardin. Il habite au premier étage.

— Montrez-moi sur le plan de la ville.

Ils passèrent dans le bureau.

— Vous comptez vous rendre chez lui?

— Cette fois, j’ai une piste sérieuse. Je vais faire vite.

— Je ne veux pas rester seule ici.

— Vous retiendrez une chambre dans un hôtel et dormirez en paix.

Elle restait songeuse.

Il nous faut quitter la villa le plus vite possible. Prenez quelques affaires.

— Si vous vous attaquez à la Phalange, ses membres vous traqueront dans le monde entier.

Il haussa les épaules :

— Je ne fais pas de politique. J’ai une mission à mener à bien. La Phalange est allée un peu trop loin dans cette affaire, du moins certains de ses dirigeants.

Dans le fond, il n’était pas sûr d’être suivi par ses chefs. C’est pourquoi il voulait agir le plus vite possible avant de rendre des comptes. Ensuite il espérait qu’il serait trop tard pour faire machine arrière. Puisque le gouvernement espagnol désirait adhérer à L’O.T.A.N., il lui fallait donner des preuves de sa bonne volonté. Même si quelques têtes du fameux parti devaient tomber.

— S’il devait vous arriver quelque chose, dit-elle, je porterai plainte contre José Cambo. Rien ne pourra m’en empêcher, et la police sera bien forcée de mener son enquête.

Brusquement, il pensa à la lettre déposée sur la table et alla la chercher. L’enveloppe n’était pas fermée. Isabel sortit une feuille de papier et poussa un léger cri d’étonnement.

— C’est mon écriture. Mais je n’ai jamais écrit ça.

En quelques lignes « elle » indiquait que, ne pouvant supporter sa douleur à la suite de la mort de son mari, elle préférait mettre fin à ses jours. Elle demandait qu’on n’accuse personne de cette mort et implorait le pardon de Dieu et de ses amis.

Mon Dieu ! On dirait que c’est moi qui ai écrit ça.

— José Cambo avait-il un spécimen de votre écriture?

Elle chercha.

— Certainement une carte postale. De temps en temps, j’en expédiais une à sa femme. Oui, ce doit être à partir de ces quelques mots écrits rapidement qu’ils ont reconstitué mon écriture.

— Cachez ça ici, mais ne l’emportez pas avec vous.

Comprenant ce qu’il voulait dire, elle frissonna, et glissa la lettre dans un livre de la bibliothèque.

— Dépêchons-nous, dit Kovask.

— Vous croyez qu’ils peuvent revenir?

— Peut-être. José Cambo est certainement allé faire son rapport. Ils viendront vérifier.

Ils trouvèrent un taxi en maraude et Kovask accompagna la jeune femme jusqu’à l’hôtel Madrid. Au moment de le quitter elle le remercia.

— Je serais certainement morte si vous n’étiez pas arrivé hier à Séville.

— Et vous êtes heureuse de ne pas l’être? Malgré la fin tragique de votre mari?

Elle le regarda, rougit légèrement, et suivit le garçon d’étage. Kovask quitta l’hôtel et chercha un restaurant. Il n’avait pas fait de repas sérieux depuis la veille. Il avait tout le temps. La journée commençait réellement à Séville. À dix heures du soir. Il lui faudrait patienter quelques heures avant de se rendre chez José Cambo.