Cambo courba imperceptiblement les épaules.
— Comprenez-moi bien, Cambo. Je ne cherche pas à connaître le nom de vos chefs. Il n’y a qu’à demander cette information à Madrid pour connaître le nom du responsable local de votre parti. Vous êtes au courant des jeunes Allemands qui viennent s’entraîner dans ce pays?
L’Espagnol baissa les yeux, prit un air blasé :
— C’est une vieille histoire. Une légende. La presse de certains pays s’est excitée sur ce sujet.
Kovask fit quelques pas vers lui.
— Vous êtes en train de vous moquer de moi. Je ne le supporterai pas. Une autre question. Qu’est venu faire le professeur Enrique Hernandez ici à Séville, avant-hier et hier?
Le visage de Cambo exprima l’incompréhension totale.
— Le professeur Hernandez? J’ignore complètement de quoi il s’agit. C’est un spécialiste du cancer, je crois.
— Et des lésions causées par la radioactivité. Ce voyage incognito, clandestins, est étrange. Pouvez-vous me donner une précision à ce sujet?
— Non. Il se peut que le célèbre médecin soit venu à Séville, mais vous me l’apprenez.
— Préférez-vous répondre à ma première question? Au sujet des jeunes gens allemands entraînés secrètement à la guerre subversive dans le sud de l’Espagne?
Cambo resta silencieux. Brusquement, Kovask le prit par la cravate et l’attira à lui.
— Qu’espères-tu, mon petit salopard? Tu cherches un moyen de te défiler au mieux pour ta tranquillité?
— Lâchez-moi, vous m’étouffez !
Kovask continua de le secouer comme un prunier.
Tu as un sacré culot. Tu as entendu parler de ce camp?
Je ne sais pas. Oui peut-être …
Il ne lâcha pas pour autant.
— J’ignore complètement où il se trouve. Non … Arrêtez !
Son visage rougit violemment tandis qu’il ouvrait la bouche pour happer l’air. Il rua violemment avec ses jambes, mais Kovask le frappa avec le canon de son arme, lui éraflant une joue.
— Certainement dans la Sierra Morena, balbutia-t-il alors que Kovask relâchait son étreinte.
— Où?
— Je ne sais pas exactement. Il y a quatre ou cinq camps de manœuvre dans la Sierra. L’un d’eux a certainement été utilisé.
— Non. Surtout pas un camp militaire. Plus sûrement un terrain moins connu.
Cambo soufflait comme un phoque. Il porta la main à sa joue, la retira pleine de sang. Il s’essuya avec sa pochette.
— Cherche bien dans tes souvenirs. As-tu vu certains de ces jeunes?
— Il y avait un camp de vacances organisé par une société sportive allemande non loin d’ici, sur la rive droite du Guadalquivir. Non loin de la mer. Mais il ne s’y passait rien de spécial. Seulement des groupes de jeunes s’en allaient pour trois ou quatre semaines. Sous prétexte de visiter le pays.
— Continue.
— Les départs avaient toujours lieu en camion, vers le Nord.
Kovask sortit son paquet de cigarettes. L’homme refusa d’en prendre une.
— Trois ou quatre semaines? Il faut loger ces jeunes gens. Leur présence ne peut, passer inaperçue.
— Il y a des villages abandonnés dans la Sierra Morena. Certains sont inclus dans ces zones militaires interdites. Vous ne connaissez pas la Sierra. Vous pouvez faire trente, quarante kilomètres sans rencontrer âme qui vive. Il n’y a pas de route. Des chemins difficiles.
Kovask décida de pratiquer le système de la douche écossaise.
— Pourquoi as-tu tué Rivera?
— Ce n’est pas moi.
— Qui alors?
— Ce n’est pas la Phalange.
Kovask se rapprocha menaçant.
— Mais pour sa femme, c’était bien la Phalange?
— J’étais le seul à pouvoir l’approcher sans être remarqué. J’ai reçu l’ordre hier au soir. Tout a été arrêté définitivement cet après-midi.
— L’ordre, d’où venait-il?
Je ne peux pas vous le dire. Vous rapprendrez tôt ou tard.
— Ton chef local?
Cambo se tut.
Il y a collusion entre les Allemands instructeurs de ces jeunes et la Phalange?
— Oui. Ce sont tous d’anciens camarades de combat. Nos chefs sont tous des vétérans de la Division Azul. Je n’ai jamais eu affaire avec les Allemands qui habitent ce pays. Je n’ai guère d’importance à la Phalange.
— Tu fais partie des troupes de choc? Cambo détourna le regard.
— Tu as trente-cinq ans. Trop jeune pour avoir participé à la Révolution. Mais par la suite, ton parti organisa des chasses aux rouges. Longtemps après la fin de la guerre. Pour entretenir le moral, en quelque sorte. Tu es un tueur. Vous arriviez à huit ou neuf chez un pauvre type choisi au hasard, parce qu’il avait été fiché quelque part sur un effectif de l’armée républicaine. Ils t’ont placé chez Rivera pour le surveiller?
— Non, c’est par hasard que je me suis rendu compte de ses activités secrètes. J’ai prévenu mes chefs et nous avons découvert plusieurs choses.
— Lesquelles? Qu’il appartenait à la C.I.A., le nom de son chef direct?
— Oui.
— Et Juan Vico?
Cambo haussa les épaules.
— C’est ensuite qu’on a su qu’ils avaient été en contact.
— Où est Vico?
— Il doit être mort.
— Comment le sais-tu?
Kovask avait compris la psychologie assez sommaire de cet homme. Ne pas exiger de lui le nom de son chef. Tourner en rond, en spirale plutôt, pour se rapprocher de la vérité et la cerner.
— Par hasard.
— Et Miguel Luca? Aussi? Que sont devenus leurs corps?
— Je ne sais pas. On ne m’a pas tenu au courant de cette affaire.
— Ils avaient découvert le camp secret d’entraînement?
— C’est possible.
— Quelle est la femme à la voix geignarde qui se trouvait chez les Rivera en leur absence et qui se faisait passer pour leur servante?
À un signe imperceptible il devina qu’il avait fait mouche. Il fit un geste vers l’Espagnol.
— Une sympathisante, certainement.
— Nous allons partir tous les deux pour la Sierra Morena.
Cambo eut l’air effaré.
— C’est de la folie ! Nous …
— Nous partons immédiatement. Vous avez une voiture?
L’autre ne répondait pas. Kovask écrasa sa cigarette dans un cendrier.
— Écoute-moi, Cambo. Dona Isabel meurt d’envie de venger son mari. J’ai eu beaucoup de mal à l’empêcher de porter plainte. Il va bientôt être une heure. Que choisis-tu?
Il précisa ses intentions :
— Si tu préfères cette solution, voici ce que je ferai. Je t’assomme et je téléphone à mon tour à la police qu’elle pourra te trouver ici. Ne compte pas avoir le temps de t’échapper.
— Jamais elle ne pourra prouver que j’ai essayer de la tuer.
— Je serai le témoin à charge et je mettrai tout le poids possible. En même temps, je ferai savoir à ton parti que tu t’es en partie déboutonné. Ils te laisseront tomber, trop heureux de trouver un bouc émissaire.
Cambo regarda autour de lui, comme s’il cherchait une issue à cet étau qui se refermait sur lui.
— Si tu réussissais à t’enfuir, en admettant que je sois assez maladroit pour que tu y arrives, n’oublie pas que dona? Isabel n’est pas morte. La Phalange ne va pas te le pardonner.
L’homme se tourna vers un coin du bureau, et désigna une carte du sud de l’Espagne.
— Rivera avait marqué l’emplacement du camp là-dessus.