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Lui clamer la vérité n’aurait servi à rien. Maintenant, il était trop tard. Si Cambo reculait, ce seraient les autres qui opéreraient à sa place.

Lagrano sortit l’automatique de Kovask, vérifia le chargeur.

— Un joli petit engin. De faible portée, mais dangereux quand même à courte distance.

— Oui, don Julio.

— Tu es un bon tireur. Tu nous l’as souvent prouvé?

Cambo eut un rire plein de vanité. Devant la porte l’homme à la mitraillette s’intéressait à la conversation.

— Tu acceptes de le descendre?

— Oui. C’est le seul moyen de me racheter. Kovask avait l’impression très nette que Cambo en rajoutait un peu trop. Lagrano lui tendit le pistolet.

— Tiens. Inutile d’attendre plus longtemps.

Cambo regarda l’arme, ôta le cran de sûreté et marcha vers Kovask. Le phalangiste était très intéressé par ce qui se passait. Le fondé de pouvoir n’était plus qu’à deux mètres de sa victime. L’Américain bougea.

— Attention, Cambo, il va essayer de te foncer dessus !

José ricana. Il s’approchait toujours.

— Vous êtes un imbécile, Cambo. Ce sont eux qui vous ont possédé.

Lagrano s’énervait, trouvait que ça durait.

— Tire, mais tire donc !

Alors Cambo pivota brusquement et tira sur le phalangiste à la mitraillette. Ébahi, Kovask vit l’homme s’écrouler en avant, une balle entre les deux yeux.

Le gros chef phalangiste se mit à courir vers la porte, mais une autre balle l’arrêta net. Il poussa un cri et tomba en travers de la sortie.

Cambo fit sauter l’automatique dans sa main.

Une arme de précision ! Se tournant vers Kovask :

— Je ne suis pas aussi bête que j’en ai l’air, senior. Depuis le début, c’est moi qui ai mené Julio Lagrano à me faire cette proposition.

En défaisant les liens de l’Américain, il expliquait :

— J’ai très bien compris qu’ils se débarrasseraient de moi ou me laisseraient tomber avec, en plus, votre cadavre sur les bras. Un coup de fil anonyme à la police, et on aurait découvert votre corps au fond du puits, Plus certainement quelque objet compromettant m’appartenant. La police aurait pensé que je m’étais débarrassé d’un témoin gênant de ma tentative sur dona Isabel.

Kovask frottait ses poignets.

— Vous allez rester ici. Je vais me servir de leur voiture pour téléphoner à la jeune femme. Y a t-il un endroit où ce soit possible?

— Une station-service à l’embranchement de la C 421 et de la Nationale 630. Vous pouvez y être en une demi-heure.

Kovask se pencha sur Lagrano. Il espérait le trouver en vie mais la balle avait dû atteindre le cœur.

— Bigre, vous tirez bien ! Dommage, car il nous aurait certainement fourni quelques renseignements.

— Je les fais disparaître dans le puits pendant votre absence?

Kovask fouilla l’homme mais ne trouva rien d’intéressant. Seulement un revolver à crosse de bois sous l’aisselle gauche.

— Je crois qu’il vaut mieux s’en débarrasser. Je pense aussi à une chose, je vais emporter les quatre pneus de la Volkswagen.

Cambo regarda sa montre.

— Ce sera vite fait, dit l’Américain. Nous ne pouvons laisser votre voiture ici. Nous reviendrons avec les deux et laisserons celle de Lagrano dans un coin désert.

Les quatre pneus furent démontés en dix minutes. La voiture reposait sur ses planches trouvées dans la vieille grange. La voiture de Lagrano était une Porsche Carrera. Rien d’étonnant à ce qu’ils soient venus si vite à leur rencontre. Elle pouvait atteindre le deux cents sur route.

De fait il atteignit rapidement la station-service. Le pompiste lui indiqua le téléphone. Il était six heures quarante-cinq.

Isabel Rivera lui répondit d’une voix ensommeillée.

— J’ai fini par m’endormir, dit-elle comme si elle s’excusait.

— Vous avez bien fait. Je vais rentrer à Séville. Pourrai-je vous voir avant midi? Je pense que vous pouvez regagner votre domicile.

— C’est ce que je comptais faire, dit elle.

Le pompiste avait l’air affolé, devant la montagne de pneus.

— Madré mia ! Que vous est-il arrivé?

— Des gamins avaient dû jeter des clous sur la route, au village précédent.

L’employé démonta une roue, fit la grimace.

— Il y a certainement plusieurs trous. Il vaut mieux changer les chambres. Je crois que j’en ai quelques-unes.

Finalement, il n’en trouva que trois, et encore n’étaient-elles pas tout à fait du diamètre.

— En roulant doucement, ça ira.

Quand Kovask retrouva Cambo il était huit heures. L’Espagnol avait remonté la roue de secours pour gagner du temps.

— J’ai cru que vous ne reviendriez pas.

— Pourquoi?

— Maintenant, je ne vous suis d’aucun intérêt. Quand les amis de Lagrano vont découvrir sa disparition, je vais devenir un homme traqué.

— Je vous ai promis de vous aider. Je le ferai.

Cambo désigna le chemin.

— Je l’ai balayé. Les deux corps sont dans le puits. Je l’ai rempli de pierres. Il n’était pas très profond. J’ai jeté de la terre et secoué les graines d’une plante dessus. Si personne ne vient d’ici à quelques jours, l’endroit sera invisible.

— Qui était l’homme à la mitraillette?

— Un des gardes de la propriété de Lagrano. Il possède un immense cortijo à quelques kilomètres de Séville. Il est très riche. Au point d’avoir un avion personnel.

— C’est le chef responsable de la Phalange?

— Pour toute la région de Séville, et il a beaucoup d’audience à Madrid. Il fréquentait beaucoup d’Allemands. Soit d’anciens nazis réfugiés en Espagne depuis la défaite, soit de nouveaux venus : industriels ou hommes d’affaires.

Ils remontaient les roues tout en discutant.

— Je peux obtenir une liste des principaux chefs nazis réfugiés en Espagne. Pourriez-vous en pointer quelques-uns ayant eu des relations avec Lagrano?

— Certainement.

— Les jeunes gens allemands transitaient-ils par chez lui?

— Oh, non ! Il était trop prudent pour se compromettre de la sorte. Vous avez pu le juger. Il avait une mentalité de lâche. La balle l’a frappé dans le dos. J’en suis très satisfait, d’ailleurs. Tout à l’heure, avant qu’ils ne nous capturent, je vous disais que ce serait dur d’oublier. C’est faux. Je crois, au contraire, que je vais revivre. Si mes anciens amis m’en laissent la possibilité.

L’un derrière l’autre, ils rentrèrent à Séville. Kovask abandonna la Porsche dans le faubourg nord et monta à côté de José Cambo.

— Vous allez rentrer chez vous, prendre vos affaires les plus précieuses, avertir votre femme. Je vais téléphoner pour vous trouver un abri momentané.

Il lui donna rendez-vous dans une heure et demie.

— Devant la cathédrale.

Cambo le laissa à quelques centaines de mètres de son hôtel. Quand il l’atteignit il vit la silhouette d’un jeune voyou en blue-jean et en marinière. Il sourit et pénétra dans le hall. Une fois dans sa chambre, il se rasa, prit une douche et commanda un déjeuner très confortable.

Ce n’est qu’ensuite qu’il téléphona à Duke Martel, le mit au courant des derniers événements. Martel commença de le prendre mal.

— C’est de la folie ! Vous ne savez pas à qui vous vous attaquez.