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Luca lui avait été d’un grand secours. Il avait localisé exactement le plateau, s’était soigneusement renseigné sur les possibilités de s’installer suffisamment près pour découvrir son secret.

Le glou-glou du vin dans la gorge de son ami le tira de ses réflexions.

— Tu bois trop.

— Y pués? Que pouvons-nous faire maintenant dans ce pays? Boire et oublier que le Caudillo nous gouverne.

Vico pensa alors à autre chose.

— Tu n’as jamais pensé que ça pourrait changer un jour?

Luca eut un geste évasif de la main.

— On y croît toujours un peu. Ça complote un peu partout, mais dans le sud, rien de sérieux. Plus au nord, peut-être. Mais on ne peut pas compter sur tes amis américains.

— Non, dit Vico. Surtout pas sur eux. Depuis des années. Ils ne soutiennent que des hommes comme Franco.

— Que va ! Et tu peux vivre avec eux?

— Où veux-tu que j’aille?

Luca et Vico chuchotaient sans quitter des yeux les cinq groupes d’hommes en chemise et pantalon noirs. Pour le moment, il ne se passait rien. Ils écoutaient un homme grand et robuste qui leur parlait.

Luca cracha de dégoût.

— Toujours des paroles. D’un côté comme de l’autre. Tu sais ce que j’aimerais?

— Oui, dit Vico.

— On serait bien. Une bonne mitrailleuse installée ici. Il n’en resterait pas beaucoup.

— Encore trop, fit Vico, beaucoup trop dans le monde.

— Ay ! Voilà que tu parles trop, toi aussi !

— Toi encore plus. Tu n’as pas de mitrailleuse et au fond tu en es bien content !

Luca sourit.

— Tu devines tout. Je suis bien content. Et si un jour ça craque, j’attendrai le dernier moment pour sortir de ma cave et prendre les armes.

— Tais-toi !

Il y avait du nouveau. Quelques hommes avaient disparu derrière un camion, et revenaient en portant plusieurs objets enveloppés de housses.

— Qu’est ce que c’est, crois-tu?

— Attends !

Devant chaque groupe, ils installaient de curieux engins.

— On dirait des canons.

— Sans recul alors, dit Vico. Luca, qui depuis longtemps ne s’intéressait plus aux armes, ne demanda aucune explication. Il était très passionné par ce qu’il voyait dans ses jumelles.

— Je crois que je sais ce que c’est, dit son ami.

— C’est drôlement fichu !

— Ce sont des bazookas.

Luca se tourna vers lui.

— Tu crois? C’est la première fois que j’en vois, sauf au cinéma, dans les actualités, c’est contre les chats?

— Un peu contra toute sorte d’engins. Contre un nid de mitrailleuses, aussi.

— Brrr ! fit Luca. Heureusement que nous ne l’avons pas, la mitrailleuse de tout à l’heure. Vico sourit.

— Et ils font l’instruction de ces engins?

— Ouï. C’est curieux. L’Allemagne a une armée, maintenant. Ces garçons-là pourraient apprendre ça sur place, sans être obligés de venir en Espagne.

— Peut-être qu’ils sont trop jeunes pour aller à l’armée.

— C’est possible.

Luca suivit pendant quelques secondes l’installation des bazookas sur une sorte de trépied.

— Je croyais qu’on se servait de l’épaule du copain comme affût, dit-il enfin.

— Pour le bazooka classique, oui.

— Tu en as déjà vu comme ça?

Vico chercha dans sa mémoire. Il avait certainement aperçu une photographie dans un magasine. Mais il ne se souvenait pas exactement.

— Ce matériel, d’où le sortent-ils?

— De vieux surplus. Les trafiquants d’armes existent toujours, tu sais?

— Je m’en doute. Seulement, ces engins n’ont pas l’air tellement démodés.

Ce que disait Luca ne manquait pas de justesse. Brusquement Vico éprouva une sorte d’angoisse.

— Donne-moi tes jumelles.

Luca réprima une grimace. Sans elles il ne voyait plus que des taches informes sur le milieu du plateau. Il avait toujours crâné avec sa myopie. Avec l’âge, elle s’améliorait, bien sûr, mais elle restait quand même assez prononcée.

Il aurait pu lira sur le visage de son ami tout proche les réactions que son observation provoquait. Têtu, il s’obstinait à regarder devant lui, comme s’il distinguait parfaitement ce qui se déroulait survie plateau.

Vico jura.

— Virgen puta !

Luca se mit à rire.

— Je te retrouve. Depuis quinze jours, j’attendais que tu jures comme avant.

Mais Vico se fichait bien d’être retrouvé. Il se fichait bien de l’amitié, de la révolution. De la Vierge et des p … !

Son ami le sentit qui tremblait à ses côtés.

— Que? Tu as froid, hombre?

— Ta gueule !

Luca se tourna vers lui et le dévisagea. Il ouvrit grands ses yeux.

— Je suis complètement fou ou je n’y vois plus. Juan, tu es vert comme une colique.

Vico balbutia :

— Davy Crockett.

Luca fronça les sourcils.

— Qu’est-ce qui te prend?

— L’engin, c’est un « Davy Crockett ». Il est tout récent. Les marines viennent d’en recevoir.

— Qu’est-ce qu’il a de particulier?

— Vico voyait l’engin du premier groupe installé sur son trépied. Sa gueule était dirigée vers eux. Droit sur le trou de blaireau dans lequel il se terrait.

— Il lance un projectile nucléaire à faible distance, et peut être manié par deux hommes. Un rocket nucléaire tu sais ce que ça veut dire?

— Tu es fou? …

— Et il est dirigé vers nous.

Juan se dressa et sa tête cogna contre la cloison avec une violence inouïe. Luca frémit en entendant le choc. Son ami s’affala contre le sol.

— Tu as mal, Juan? Juan ne me fais pas ça. Ne viens pas en Espagne pour crever dans cette saloperie de grotte. Juanito?

— Fous le camp ! Murmura Vico. Mais fous le camp !

Luca vit bien la flamme de l’engin, mais il la prit pour un jeu de soleil sur une vitre de camion, ou un tesson de bouteille. Il entendit le ronflement de la petite torpille, mais il n’y prêta guère d’attention.

Il se penchait sur son ami. Son ami, qui savait qu’ils allaient mourir tous les deux.

CHAPITRE II

À côté de Serge Kovask le climatiseur ronronnait. Ce n’était pas le seul élément moderne dans ce vieil hôtel particulier espagnol. Il y en avait d’autres, beaucoup plus horribles, qui juraient atrocement avec l’ensemble.

Il était deux heures de l’après-midi et Cordoue était silencieuse comme une ville morte. Peut-être de rares passants se hasardaient-ils au-dehors, mais les toldos, toiles tendues pour apporter un peu d’ombre à la rue, les cachaient.

Un froissement de papiers le fit se retourner. Installé derrière son bureau, Duke Martel le responsable de la C.I.A. pour le sud de l’Espagne s’agitait. C’était un homme de taille moyenne au visage sanguin.

— Je me demande ce que fait Rivera. Il a quitté Séville à midi. La route est excellente. Il devrait être là. Cent trente-huit kilomètres se font en deux heures.

Serge Kovask consulta sa montre. La grande aiguille s’approchait de la demie de deux heures.

— Vous croyez que c’est inquiétant?

Duke Martel fut tenté de hausser ses épaules. Par pure courtoisie il n’en fit rien. Il prit, un puro et l’alluma avec soin.