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— Mais, ces disparitions finiront par être découvertes.

— Nous espérons que ce sera le plus tard possible, et nous nous efforçons même qu’il en soit ainsi. Ça nous coûte cher, mais le système est bon.

— Mais les troupes américaines utilisent ces engins pour leur entraînement?

— Détrompez-vous. Elles n’en ont pas l’autorisation. L’entraînement se fait au moyen de rocket-guns classiques. Dans le fond, c’est, le même système.

Lagrano fronça le sourcil et Martin Cramer éclata de rire. Il secoua la tête ensuite, l’air bonasse :

— Je sais ce que vous pensez. Que nous aurions dû en faire autant. Nous avons des bazookas classiques, mais je voulais voir l’effet d’un de ces rockets. Je ne me doutais pas que deux hommes se cachaient dans ce trou de blaireau. La précision de cet engin est remarquable. Si ce Juan Vico n’était pas sorti de là en hurlant, nous n’aurions jamais soupçonné que nous étions découverts.

— Vous estimez que c’est une chance?

— Pour nous, oui. Le camp secret d’entraînement était connu. Imaginez que cet homme ait pu prendre des photographies? Le gouvernement de Washington aurait demandé des comptes au vôtre, ce qui aurait amené la ruine de nos efforts.

— N’empêche qu’il vous faut nettoyer le terrain, supprimer certaines personnes pour que tout soit net.

Martin Cramer eut un geste d’Insouciance.

— Les aléas du métier.

— Que décidons-nous pour ce Juan Vico? On le confie au professeur?

L’Allemand eut une moue méprisante :

— Vous n’avez guère confiance en lui n’est-ce pas? Bien qu’il appartienne à la Phalange?

— C’est un tiède, un intellectuel. Il voyage beaucoup, participe à nombre de congrès. Nous le surveillons. Il discute volontiers avec ses collègues soviétiques dans ce genre de réunions. Dans un pays comme le nôtre, les intellectuels sont toujours suspects. Il ne faudrait pas qu’il maintienne Vico en vie. La justice nous le réclamerait. Il a été condamné à mort par contumace, en 1939. Il est devenu citoyen américain. Tout cela ferait trop de bruit. Si vous dites qu’il importe peu qu’il parle ! …

— L’enquête sur son séjour à Séville nous a suffi. C’est ainsi que nous avons découvert Rivera. Je ne crois pas qu’il puisse nous donner d’autres détails.

— Si, comment Rivera a appris l’existence du terrain d’entraînement.

— Bah, qu’est-ce ça donnerait? L’arrestation d’un paysan de l’endroit ou d’un berger? Le type va suffisamment trembler pendant des années pour que nous nous contentions de ce châtiment.

Julio Lagrano paraissait soucieux. L’Allemand lui demanda ce qui le tracassait.

— Le professeur. C’est un homme à la probité professionnelle très élevée. Je me demande s’il acceptera d’abandonner son malade.

Martin Cramer éclata de rire, et l’Espagnol le regarda le visage empourpré.

— Je ne me moque pas de vous, mon cher, mais il me semble que le problème est simple !

Comme Lagrano ne paraissait toujours pas comprendre, il ajouta :

— Vous allez trouver le professeur pour lui dire votre accord. Il peut emmener Vico à Madrid.

— Quoi ! Vous venez de dire …

— Attendez. Je ne vois pas comment le cadavre de Vico pourrait lui être utile …

Lagrano sourit, visiblement soulagé par cette solution.

— Je vois.

— Vous vous en occupez?

— Bien sûr.

— Demandez-lui aussi — une fois qu’il aura constaté le décès, bien sûr — les meilleures précautions à prendre pour se débarrasser du corps.

— Il va certainement découvrir que la mort n’est pas tout à fait naturelle.

— Tant pis. Il est assez intelligent pour ne pas s’arrêter à ce détail-là. Au fait, n’oubliez pas une chose.

Lagrano s’arrêta à la porte, perplexe.

— Les honoraires !

Ils éclatèrent simultanément de rire. Une heure plus tard, le professeur Enrique Hernandez quittait la propriété dans une voiture noire, en compagnie de son hôte. Le célèbre médecin était très pâle et, appuyé contre le dossier, il fermait les yeux sans se soucier du paysage.

Sur l’aérodrome, le professeur marcha comme un automate vers l’avion personnel de Julio Lagrano. Ce dernier lui tendit la main au dernier moment.

— Au revoir, professeur, et bon voyage !

Enrique Hernandez regarda la main, puis le riche propriétaire. Il secoua doucement la tête et escalada la petite échelle de la carlingue.

Lagrano piqua un puro entre ses lèvres, et recula les yeux fixés sur le hublot derrière lequel la face blanche du médecin venait d’apparaître. Lui était encore rouge de l’affront subi.

— Hijo de puta ! Murmura-t-il entre ses dents.

Puis il se demanda s’ils ne venaient pas de commettre une faute. Avec ces intellectuels, on ne savait jamais ce qui pouvait arriver.

D’un pas rageur, il regagna sa voiture. Le chauffeur, figé devant la portière, l’ouvrit avec précipitation.

— En ville, dit Lagrano. Au club.

Il avait rendez-vous avec José Cambo, le fondé de pouvoir de Pedro Rivera. Un phalangiste dévoué, celui-là.

CHAPITRE IV

Serge Kovask s’était attendu à rencontrer une veuve tragique comme savent l’être les Espagnoles. Il fut surpris et soulagé de voir comment la señora Rivera supportait son deuil. Elle n’avait fait aucune difficulté pour le recevoir le soir même, alors que, normalement, elle devait veiller son mari toute la nuit.

Une femme âgée, certainement une voisine, accueillit l’Américain à la porte. Tout d’abord, elle le conduisit à la chambre mortuaire où des cierges dégageaient une fumée lourde, tandis que des fleurs rendaient irrespirable le peu d’air qui restait.

— Vous arrivez juste avant la mise en bière, dit la vieille duègne.

La tête du mort était étroitement bandée, et seuls son nez et sa bouche étaient visibles. Kovask le détailla. C’était bien Rivera tel qu’il l’avait vu sur la photographie de Duke Martel.

— Dona Isabel vous attend.

La jeune femme se trouvait dans le bureau de son mari. Vêtue de noir, les cheveux coupés court, son visage était paisible, surprenait par sa sérénité.

— Merci, dona Manuela. Asseyez-vous, señor.

La vieille femme hésita. Les convenances imposaient sa présence, mais devant l’expression de la jeune veuve elle se retira.

La jeune femme se leva, s’approcha de la porte et vérifia si personne ne se trouvait derrière. Revenant au bureau elle prit un paquet de cigarettes, en offrit une à Kovask, en piqua une dans ses lèvres sans fard.

— Je vous écoute, señor. Vous connaissiez mon mari?

— De nom seulement.

Il avait décidé d’attaquer avec franchise.

— Nous travaillions pour le même employeur, le gouvernement américain.

Elle ne marqua aucune surprise. D’un geste, elle le convia à poursuivre.

— Nous devions nous rencontrer à Cordoue.

— Chez le señor Martel.

Ne le voyant pas arriver, j’ai pris la route. J’ai trouvé la DS accidentée. C’est un assassinat. Savez-vous pourquoi il avait demandé à voir Duke Martel?

La jeune femme désigna les paperasses sur le bureau :