Выбрать главу

Il se traîna péniblement autour de la tête du léviathan échoué jusqu’au point où les lèvres écrasées par la gravité avaient exposé les dents, les gencives et ce qui sans doute était la langue.

— Vous n’avez qu’à prélever des morceaux assez petits pour entrer dans ces flacons sans les remplir.

Le Terrien essaya encore le scalpel et vit que la langue était quelque peu moins dure que les autres endroits. Barlennan, lui, découpait avec obéissance des fragments de la taille désirée. De temps à autre un morceau s’égarait jusqu’à sa bouche … non qu’il fût réellement affamé, mais la viande était si fraîche ! Les flacons furent vite pleins malgré ce tribut.

Lackland se releva, rangea la dernière bouteille et lança un regard de convoitise aux dents en colonnes.

— Je pense qu’il faudrait du plastic pour en extraire une, remarqua-t-il avec une certaine tristesse.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Barlennan.

— Un explosif … une substance qui se transforme très rapidement en gaz en produisant un grand bruit et un choc. Nous utilisons ce genre de matériau pour creuser, abattre des bâtiments indésirables ou des parties de terrain, et parfois pour combattre.

— Etait-ce là le son d’un explosif ? demanda Barlennan.

Un instant, Lackland resta sans réponse. Un boum ! d’une intensité appréciable, entendu sur une planète dont les naturels ignorent les explosifs et où il n’y a pas d’autre représentant de l’espèce humaine, peut être plutôt déconcertant, tout particulièrement quand il prend place à un moment aussi adéquat. Dire que Lackland fut stupéfié serait faible. Il ne pouvait juger exactement de la distance ou de la puissance de l’explosion, l’ayant entendue par la radio de Barlennan, et par ses écouteurs. Mais un soupçon déplaisant pénétra son esprit après une seconde ou deux.

— Cela y ressemble bien, répondit-il à la question du Mesklinite, avec un peu de retard, au moment même où il se mettait en branle pour refaire le tour de la tête du monstre marin en direction de l’endroit où il avait laissé la chenillette. Il craignait plutôt ce qu’il allait découvrir. Barlennan, plus curieux que jamais, le suivit en rampant selon sa nature.

Un instant, alors que l’engin devenait visible, Lackland éprouva un grand soulagement. Mais ce sentiment se changea en un coup au cœur lorsqu’il atteignit la porte du véhicule.

Il ne subsistait du plancher que des morceaux soulevés de métal fin, quelques-uns encore attachés à la base des parois, d’autres emmêlés parmi les instruments de contrôle et autres fournitures. Le moteur, qui était naguère sous le plancher, était presque complètement à nu et un seul coup d’œil fut nécessaire au Terrien consterné pour voir qu’il était démoli sans espoir. Barlennan était intéressé au plus haut point par le phénomène.

— J’en déduis que vous transportiez des explosifs dans votre chenillette, remarqua-t-il. Pourquoi ne vous en êtes-vous pas servi pour extraire ce que vous vouliez de l’animal ? Et qu’est-ce qui les a mis en action alors qu’ils étaient encore dans le véhicule ?

— Vous avez le génie de poser des questions difficiles, répondit Lackland. La réponse à la première est que je n’en transportais pas. Quant à la seconde, votre supposition est aussi bonne que la mienne.

— Mais cela a bien dû être quelque chose que vous transportiez ? insista Barlennan. Même moi, je peux voir que ce qui a explosé était sous le plancher et voulait sortir. Nous n’avons rien qui se comporte ainsi sur Mesklin.

— En admettant votre logique, il n’y avait rien sous le plancher dont je puisse imaginer que cela explose, répliqua l’homme. Les moteurs électriques et leurs accumulateurs ne sont tout simplement pas explosifs. Un examen fouillé montrera sans doute les traces de ce que c’était, si c’était dans un contenant quelconque, puisque en pratique aucun des fragments ne semble avoir été projeté à l’extérieur de la chenillette … mais j’ai un problème bien pire à résoudre d’abord, Barl.

— Quoi donc ?

— Je suis à vingt-sept kilomètres de mes réserves alimentaires, mis à part ce que j’ai dans mon scaphandre. La chenillette est inutilisable. Et s’il a jamais existé un Terrien capable de franchir vingt-sept kilomètres dans un scaphandre pressurisé à huit atmosphères sous trois gravités, ce n’est assurément pas moi. Mon air durera indéfiniment grâce aux algues et s’il y a assez de soleil, mais je mourrai d’inanition avant d’arriver à la station.

— Ne pouvez-vous pas appeler vos amis, ceux qui sont sur la plus rapide des lunes, pour qu’ils vous envoient une fusée et vous ramènent ?

— Ce serait possible. Sans doute même sont-ils déjà au courant, si quelqu’un est dans la salle des transmissions pour entendre notre conversation. L’ennui est que si je manifeste le besoin d’une aide de ce genre, Doc Rosten m’obligera à retourner sur Toorey pour l’hiver. J’ai eu assez de mal à le persuader de me permettre de rester à terre … Il faudra sans doute que je lui parle de la chenillette, mais je préfère le faire de la station … après être rentré sans son aide. Il n’y a tout simplement rien par ici qui puisse me ramener. Et même si je pouvais introduire assez de nourriture dans mon scaphandre sans permettre à votre atmosphère d’y entrer aussi, vous, vous ne pourriez pas pénétrer dans la station pour m’en rapporter cette nourriture.

— Appelons mon équipage, de toute manière, dit Barlennan. Eux peuvent employer la viande qui est ici … ou au moins autant qu’ils en pourront porter. Et puis, j’ai une autre idée, je crois.

— Nous arrivons, capitaine.

La voix de Dondragmer leur parvint par la radio, faisant sursauter Lackland, qui avait oublié ses arrangements pour que chacun puisse entendre tout le monde, et frappant aussi le commandant, qui n’avait pas pensé que son officier connaissait aussi bien l’anglais.

— Nous serons près de vous dans quelques jours au plus. Nous avons suivi en partant la même direction générale que la machine du Volant.

Il donna cette information dans son langage natal, que Barlennan traduisit à Lackland.

— Je vois que vous, au moins, ne resterez pas sur votre faim pendant longtemps, répondit l’homme, regardant d’un air de regret la montagne de viande à côté d’eux, mais quelle est cette autre idée ? Est-elle en rapport avec mon problème ?

— Un peu, je crois.

Le Mesklinite aurait souri si sa bouche avait été assez flexible.

— Voulez-vous avoir la bonté de me marcher dessus ?

Durant quelques secondes, Lackland resta interloqué. Après tout, Barlennan ressemblait plus à une chenille qu’à tout autre chose, et quand un homme marche sur une chenille … Et puis il se détendit, et même eut un sourire.

— Très bien, Barl. Un instant, j’avais oublié les circonstances.

Le Mesklinite avait rampé jusqu’à ses pieds dans l’intervalle. Et ce fut sans plus d’hésitation que Lackland fit le pas qu’on lui demandait. Il n’y eut qu’une difficulté. Lackland avait une masse d’environ quatre-vingts kilos. Son scaphandre, un miracle de technique en son genre, pesait tout autant. Sur l’équateur de Mesklin donc, homme et scaphandre pesaient approximativement quatre cent vingt-cinq kilos — il n’aurait pas pu faire un pas sans un ingénieux servomoteur dans les jambes — et ce poids n’était que d’un quart supérieur à celui de Barlennan dans les régions polaires de sa planète. Aucune difficulté pour le Mesklinite à supporter autant de poids, mais ce qui fit échouer l’essai relevait de la simple géométrie. Barlennan était, en gros, un cylindre de quarante-cinq centimètres de long sur cinq de diamètre. Et il se révéla que c’était une impossibilité physique pour Lackland de tenir en équilibre sur le Mesklinite.