Le Mesklinite était collé. Ce fut Lackland qui, cette fois, trouva une solution. Quelques-unes des plaques latérales de la partie basse de la chenillette avaient été repoussées par l’explosion. Et sous la direction de Lackland, Barlennan, avec un effort considérable, put en détacher une complètement. Elle avait environ soixante centimètres de large et deux mètres de long, et en en faisant relever légèrement une extrémité par les puissantes pinces de l’indigène, cela fit un traîneau admirable. Mais Barlennan, en ce lieu de sa planète, pesait à peu près un kilogramme et demi. Il n’avait simplement pas l’adhérence nécessaire pour remorquer le dispositif … et la plus proche des plantes qui auraient pu servir de point d’ancrage était à quatre cents mètres de là. Lackland fut heureux qu’un visage rubescent n’ait pas de sens particulier pour les natifs de ce monde, car il se trouvait que le soleil était haut dans le ciel lors de ce fiasco. Ils avaient travaillé nuit et jour, le plus petit des soleils et les deux lunes ayant donné suffisamment de lumière en l’absence des nuages.
5
CARTOGRAPHIE
L’arrivée de l’équipage, quelques jours plus tard, résolut presque immédiatement le problème de Lackland.
Le nombre seul des naturels, bien sûr, n’aurait pas suffi : vingt et un Mesklinites n’avaient toujours pas assez d’adhérence pour ébranler le traîneau chargé. Barlennan pensa à le leur faire porter, en plaçant un membre d’équipage sous chaque coin. Et il dépensa beaucoup d’énergie pour vaincre la répugnance normale des Mesklinites à se placer sous un objet massif. Quand il y parvint, cependant, ces efforts se révélèrent futiles. La plaque de métal n’était pas assez épaisse pour cette sorte de traitement et se courbait sous le poids de l’homme en scaphandre de telle manière que tout, sauf les coins soulevés, était en contact avec le sol.
Dondragmer, sans aucun commentaire, passa le temps que cette tentative occupait à filer et attacher ensemble les filins que l’on employait normalement avec les filets. Ils se montrèrent, en séries, plus qu’assez longs pour atteindre les plantes les plus proches. Et les racines de ces plantes, naturellement capables de résister aux pires des vents de Mesklin, fournirent tout le support nécessaire. Quatre jours plus tard, un train de traîneaux, fait de toutes les plaques accessibles de la chenillette, partit vers le Bree avec Lackland et un énorme amas de viande. À la vitesse très régulière d’un kilomètre à l’heure le train atteignit le navire en soixante et un jours. Deux jours de plus, avec de nouveaux membres de l’équipage, amenèrent Lackland à son dôme, à travers la végétation qui le séparait du vaisseau, et le déposèrent sain et sauf devant le sas. Ce n’était pas trop tôt. Le vent avait repris au point que l’équipage dut user des filins, pour retourner au Bree, et les nuages, de nouveau, étaient fouettés à travers le ciel.
Lackland mangea, avant de s’inquiéter du rapport officiel sur ce qui était arrivé à la chenillette. Il aurait voulu que ce rapport soit plus complet. Il lui semblait utile de savoir ce qui s’était passé dans le véhicule. Il serait bien difficile d’accuser quelqu’un sur Toorey d’avoir laissé un pain de plastic sous le plancher de l’engin.
Il venait de presser le bouton d’appel du transmetteur station-satellite quand la solution lui apparut. Et lorsque le visage buriné du docteur Rosten se montra sur l’écran, il savait exactement ce qu’il allait dire.
— Doc, j’ai eu des ennuis avec la chenillette.
— Je l’ai bien compris. Est-ce électrique ou mécanique ? Sérieux ?
— Mécanique à la base, bien que le système électrique en ait eu sa part. Je crains bien que ce ne soit une perte totale. Ce qu’il en reste est abandonné à environ vingt-sept kilomètres d’ici, vers l’ouest, près de la plage.
— Parfait, parfait ! Cette planète, d’une façon ou d’une autre, nous revient plutôt cher ! Qu’est-il arrivé au juste ? … Et comment êtes-vous revenu ? Je ne pense pas que vous ayez pu parcourir vingt-sept kilomètres en scaphandre sous cette gravité.
— Aussi ne m’y suis-je pas risqué … C’est Barlennan et son équipage qui m’ont ramené. Pour autant que j’aie pu en juger, en ce qui concerne la chenillette, la cloison entre la cabine et le compartiment des machines n’était pas étanche à l’air. Quand je suis sorti pour faire quelques recherches, l’atmosphère de Mesklin — de l’hydrogène à haute pression — a commencé à s’infiltrer et à se mêler à l’air normal sous le plancher. Il a fait la même chose dans la cabine, bien sûr, mais là, pratiquement tout l’oxygène était sorti par la porte et s’était dilué en deçà du niveau critique avant que quoi que ce soit n’arrive. Par-dessous … eh bien, il y a eu une étincelle avant que tout l’oxygène ne s’échappe.
— Je vois … Qu’est-ce qui a causé cette étincelle ? Avez-vous laissé des moteurs en marche en sortant ?
— Certainement … les servos du volant, les dynamoteurs, etc. Et je suis bien heureux de l’avoir fait, sinon l’explosion serait probablement survenue après mon retour, lors de l’allumage.
— Hum …
Le directeur de la Mission de Récupération avait l’air un peu mécontent.
— Fallait-il absolument que vous sortiez ?
Lackland remercia les étoiles que Rosten soit biochimiste.
— Non, pas exactement, je pense. Je voulais chercher quelques spécimens d’une baleine de deux cents mètres, échouée là-bas sur la plage. Je croyais que quelqu’un serait heureux …
— Les avez-vous rapportés ? coupa Rosten sans laisser finir Lackland.
— Je les ai rapportés. Vous pouvez descendre les chercher quand vous voudrez … Mais avons-nous une autre chenillette que vous pourriez amener en même temps ?
— Nous en avons une. Je vais voir si vous pourrez en disposer dès que l’hiver sera fini. Je pense que vous serez plus en sûreté à l’intérieur du dôme jusque-là. Dans quoi avez-vous conservé les spécimens ?
— Rien de spécial … de l’hydrogène, l’air local. J’ai pensé que n’importe lequel de nos antiseptiques les abîmerait, de votre point de vue. Vous feriez bien de venir au plus tôt les prendre. Barlennan dit que la viande devient toxique après quelques centaines de jours, je pense donc qu’elle est pleine de micro-organismes.
— Il serait curieux qu’elle ne le soit pas. Ne bougez pas, je serai en bas dans deux heures.
Rosten coupa la communication sans plus de commentaire sur la chenillette naufragée, ce pourquoi Lackland ressentit un soulagement raisonnable. Il alla se coucher, il n’avait pas dormi depuis près de vingt-quatre heures.
Il fut réveillé, en partie, par l’arrivée de la fusée. Rosten était descendu en personne, ce qui n’était pas surprenant. Il ne sortit même pas de son scaphandre. Il prit les flacons, que Lackland avait laissés dans le sas pour éviter de son mieux une contamination par l’oxygène, jeta un regard à Lackland, comprit dans quel état il se trouvait et lui ordonna avec brusquerie de retourner se coucher.
— Ces choses valent sans doute la perte de la chenillette, dit-il brièvement. Maintenant, prenez quelque repos. Vous allez avoir de nouveaux problèmes à résoudre … mais je vous en parlerai quand il y aura une chance pour que vous vous souveniez de ce que je vous aurai dit. À bientôt.
La porte du sas se referma derrière lui.
En fait, Lackland ne se rappela pas ce que Rosten avait dit en le quittant. Mais on le lui remit en mémoire, plusieurs heures plus tard, alors qu’il avait dormi et mangé de nouveau.