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— Cet hiver, pendant lequel Barlennan ne peut espérer voyager, durera encore trois mois et demi, commença l’assistant du directeur sans préambule. Nous avons plusieurs rames de téléphotos que nous n’avons pas encore réunies en une carte, bien que nous les ayons collationnées, en ce qui concerne la localisation générale. Nous n’avons pas pu faire une vraie carte à cause de difficultés d’interprétation. Votre travail, pour le reste de l’hiver, sera de plonger dans cet amas de photos avec votre ami Barlennan, de les disposer en une carte utilisable et de décider de la route qui le mènera le plus rapidement vers le matériel que nous voulons récupérer.

— Mais Barlennan ne tient pas à y arriver vite ! C’est pour lui un voyage d’exploration et de commerce, et nous ne sommes là-dedans qu’un incident. Tout ce que nous avons été capables de lui offrir en retour pour son aide considérable est de lui fournir régulièrement les prévisions du temps pour lui faciliter son travail de routine.

— Je le sais bien. C’est pourquoi vous êtes là en bas, si vous vous rappelez. Vous êtes censé agir comme diplomate. Je n’attends pas de miracles — personne ici n’en attend — et nous désirons évidemment que Barlennan reste en bons termes avec nous. Mais il y a pour deux milliards d’équipement spécialisé dans cette fusée qui n’a pas pu repartir du pôle, et des enregistrements qui sont littéralement inestimables.

— Je sais, et je ferai de mon mieux, coupa Lackland, mais je ne pourrai jamais en montrer toute l’importance à un naturel … et je ne veux pas diminuer par là l’intelligence de Barlennan. Tout simplement, il n’a pas les bases. Vous, vous gardez un œil ouvert à l’affût d’éclaircies dans ces tempêtes d’hiver, pour savoir quand il pourra au plus tôt monter au dôme étudier les photos.

— Ne pourriez-vous pas installer une sorte d’abri extérieur, près de la fenêtre, pour qu’il puisse y demeurer même en cas de mauvais temps ?

— Je l’ai suggéré, mais il n’entend pas quitter son navire et son équipage en des moments pareils. Je serais plutôt d’accord.

— Je crois que je vois aussi. Eh bien, faites de votre mieux, vous savez ce que cela veut dire. Nous pourrions en apprendre plus sur la gravité, grâce à cette fusée, que quiconque depuis Einstein.

Rosten coupa la communication, et le travail d’hiver commença.

La fusée de recherches échouée, qui avait atterri par télécommande près du pôle sud de Mesklin et n’avait pas pu reprendre l’air après avoir enregistré ses renseignements, à ce qu’on croyait, avait été située depuis longtemps par ses émetteurs télémétriques. Choisir une route par mer ou par terre, vers elle, depuis le voisinage des quartiers d’hiver du Bree était un tout autre problème. Le parcours par l’océan n’était pas trop dur : quelque soixante ou soixante-dix mille kilomètres de voyage côtier, dont la moitié environ dans des eaux déjà connues des semblables de Barlennan, amèneraient l’équipage de secours aussi près de la machine impuissante que cette chaîne particulière d’océans aboutissait. Ceci, malheureusement, faisait encore six mille kilomètres. Et il n’y avait tout simplement pas de grand fleuve près de ces côtes, ce qui eût raccourci nettement la distance à parcourir dans les terres.

Il existait bien un tel cours d’« eau », aisément navigable pour un vaisseau comme le Bree, et qui passait à soixante-quinze kilomètres du point désiré. Mais il se jetait dans un océan n’ayant aucune connexion visible avec celui dans lequel croisaient les compatriotes de Barlennan. Ce dernier océan était formé par une chaîne longue, étroite et très irrégulière de mers partant de quelque part au nord de l’équateur dans le voisinage de la station de Lackland et allant presque jusqu’à l’équateur du côté opposé de la planète en passant très près du pôle Sud sur sa route … très près, c’est-à-dire à l’échelle de Mesklin, bien entendu. L’autre mer, dans laquelle se jetait le fleuve qui passait près de la fusée, était plus large et de côtes plus régulières. L’embouchure en question était à son point le plus austral, et elle s’étendait aussi jusqu’à l’équateur et au-delà, aboutissant enfin à la calotte boréale. Elle était à l’est de la première chaîne d’océans et semblait en être séparée par un isthme étroit s’étendant du pôle à l’équateur … étroit, de nouveau, selon les normes de Mesklin. À mesure que les photographies étaient assemblées, Lackland pouvait voir que l’isthme variait en largeur de trois à environ douze mille kilomètres.

— Ce que nous pourrions faire, Barl, c’est emprunter un passage d’une de ces mers dans l’autre, remarqua Lackland un jour.

Le Mesklinite s’étala confortablement sur la plateforme près de la fenêtre et acquiesça du geste. On avait dépassé le milieu de l’hiver, et le plus grand des soleils se ternissait visiblement en redescendant son arc diurne vers le nord.

— Etes-vous sûr que personne, chez vous, ne connaît un passage ? Après tout, la plupart de ces images ont été prises en automne, et vous dites que le niveau de l’océan est beaucoup plus haut au printemps.

— Nous n’en connaissons aucun, en aucune saison, répondit le capitaine. Nous en savons un peu, pas beaucoup, sur cet océan dont vous parlez, mais il y a trop de nations différentes sur la terre qui s’étend entre les deux mers pour un véritable contact. Une seule caravane mettrait deux ans à faire le trajet, et en règle générale elles ne voyagent pas si loin. Les biens passent par tant de mains, sur une telle distance, qu’il est un peu difficile d’apprendre leur origine lorsque nos marchands les voient dans les ports orientaux de l’isthme. Si un passage tel que celui que nous cherchons existe, ce doit être près du Rebord où les terres sont presque inexplorées. Notre carte — celle que vous et moi sommes en train d’assembler — ne va pas encore assez loin. Dans tous les cas, il n’existe pas de passage au sud d’ici durant l’automne. J’ai longé toute la côte à cette époque, rappelez-vous. Peut-être, toutefois, ce même rivage atteint-il plus loin l’autre mer ? Nous l’avons suivi seulement durant quelques dizaines de kilomètres vers l’est, et nous ne savons pas jusqu’où il va.

— D’après mes souvenirs, Barl, il s’incurve à nouveau vers le nord trois mille kilomètres environ après le cap extérieur … mais c’était aussi, évidemment, l’automne quand je l’ai vu. Cela va être un travail difficile que d’établir une carte utilisable de votre monde. Il change trop souvent. Je serais tenté d’attendre l’automne prochain, car nous pourrions alors nous servir de la carte déjà faite, mais votre automne est de quatre de mes années. Je ne pourrais pas rester ici aussi longtemps.

— Vous pourriez retourner à votre propre monde et vous reposer jusque-là … mais je regretterais de vous voir partir.

— Je crois que ce serait un trop long voyage, Barlennan.

— De combien ?

— Eh bien … vos unités de distance ne nous aideraient pas beaucoup. Voyons. Un rayon de lumière pourrait faire le tour du « Rebord » de Mesklin en … euh … quatre cinquièmes de seconde.

Il rendit tangible cet intervalle de temps avec sa montre, que le naturel regarda avec intérêt.

— Le même rayon mettrait un peu plus de onze de mes années, c’est-à-dire … environ deux et quart des vôtres pour aller d’ici jusque chez moi.

— Alors, votre monde est trop éloigné pour être visible ? Vous ne m’avez jamais expliqué ces choses.

— Je n’étais pas sûr que nous ayons assez comblé la différence des langues. Non, mon monde est invisible, mais je vous montrerai mon soleil quand l’hiver sera fini et que nous aurons atteint le bon côté du vôtre.