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La dernière phrase passa complètement par-dessus la tête de Barlennan, mais il ne s’enquit pas de son sens. Les seuls soleils qu’il connût étaient le brillant Belne dont le lever et le coucher créaient la nuit et le jour, et le plus faible Esstes, visible en ce moment dans le ciel nocturne. En un peu moins d’une demi-année, au milieu de l’été, les deux seraient très proches dans le ciel, et le plus faible difficile à voir. Mais Barlennan ne s’était jamais cassé la tête sur la raison de ces mouvements.

Lackland avait déposé les photographies qu’il tenait et paraissait plongé dans ses pensées. Une bonne partie du plancher de la pièce était recouverte d’images vaguement jointes. La région que Barlennan connaissait le mieux était déjà convenablement cartographiée. Il restait toutefois un long chemin à faire avant que celle qu’occupait l’avant-poste humain y soit incluse. Et l’homme était déjà ennuyé par le refus opposé par certaines photographies de s’intégrer à l’ensemble. S’il s’était agi d’un monde sphérique ou à peu près, comme la Terre ou Mars, il aurait pu appliquer presque automatiquement les corrections convenables de projection sur la carte en réduction qu’il assemblait et qui couvrait une table dans l’un des coins de la pièce. Mais Mesklin n’était même pas approximativement sphérique. Lackland l’avait reconnu auparavant, les proportions de la Coupe du Bree — équivalent pour Barlennan d’un globe terrestre — étaient à peu près justes. Elle avait un diamètre de quinze centimètres et une profondeur d’un peu plus de trois, et sa concavité était lisse mais loin d’être uniforme.

Pour ajouter à la difficulté d’accorder les photographies, une bonne partie de la surface planétaire était relativement peu accidentée, sans détails topographiques vraiment distincts. Et même là où des montagnes et des vallées existaient, l’ombrage différent de photographies adjacentes rendait les comparaisons difficiles. L’habitude détestable qu’avait le plus brillant des soleils de traverser le ciel d’un horizon à l’autre en moins de neuf minutes avait sérieusement dérangé la procédure photographique normale. Des prises de vue consécutives dans la même série étaient souvent éclairées de directions presque opposées.

— Nous n’aboutirons nulle part, ainsi, Barl, dit Lackland d’un ton las. Cela valait la peine d’essayer aussi longtemps que nous pensions trouver des raccourcis, mais vous dites qu’il n’y en a pas. Vous êtes un marin, pas un caravanier. Ces six mille kilomètres par voie de terre, là où la gravité est la plus forte, vont nous coincer.

— La science qui vous permet de voler, ainsi, ne peut pas changer le poids ?

— Non, dit Lackland en souriant. Les instruments qui sont dans cette fusée collée à votre pôle Sud ont des enregistrements qui pourraient précisément nous apprendre cela, avec le temps. C’est pourquoi on l’a envoyée, Barlennan. Les pôles de votre monde ont la gravité de surface la plus terrifiante de tout l’univers accessible pour nous jusqu’à présent. Il y a bien des mondes plus massifs que le vôtre, et plus proches de la Terre, mais ils ne tournent pas à la manière de Mesklin. Ils sont trop proches de la sphère. Nous voulions prendre des mesures de ce terrible champ gravifique … toutes sortes de mesures. La valeur des instruments qui ont été conçus et envoyés pour cette expédition ne peut être exprimée en des nombres que vous et moi connaissons. Quand la fusée a refusé de répondre au signal d’envol, cela a fait chanceler les gouvernements de dix planètes. Il faut que nous obtenions ces renseignements, même si nous devons pour cela creuser un canal entre les deux océans pour le Bree.

— Mais quelle sorte d’instruments y a-t-il donc dans cette fusée ? demanda Barlennan.

Il regretta sa question presque aussitôt. Le Volant pouvait s’étonner d’une curiosité aussi spécifique et en venir à soupçonner les véritables intentions du capitaine. Toutefois, Lackland parut trouver la demande naturelle.

— Je crains de ne pouvoir vous l’expliquer, Barl. Vous ne possédez tout bonnement pas les bases qui donneraient un sens à des mots tels qu’« électron », « neutrino », « magnétisme » et « quantum ». Le mécanisme des moteurs de la fusée vous serait peut-être un peu plus familier, bien que j’en doute.

En dépit du manque apparent de soupçon de la part de Lackland, Barlennan décida de ne pas poursuivre le sujet.

— Ne serait-il pas bon, dit-il, de rechercher les images qui montrent la rive et les régions côtières à l’est d’ici ?

— Il nous reste une chance, répondit Lackland, pour qu’elles se rejoignent effectivement. Je ne prétends pas avoir mémorisé toute la région. Peut-être plus bas, près de la calotte glaciaire … Quelle est la température la plus basse que vous puissiez supporter ?

— Nous ne nous sentons guère à l’aise quand l’océan gèle, mais nous résistons … si le froid ne devient pas beaucoup plus vif. Pourquoi ?

— Il est possible que vous deviez serrer de très près la calotte polaire boréale. Nous verrons …

Le Volant fit filer dans ses mains son jeu de photographies, plus épais encore que Barlennan n’était long, et parvint à en extraire une mince feuille.

— Une de celles-ci …

Il laissa traîner sa voix un moment.

— Nous y voici. Celle-ci a été prise depuis le bord interne de l’anneau, Barl, à plus de neuf cents kilomètres d’altitude, avec un téléobjectif à petit angulaire. Vous pouvez voir la côte principale, et la grande baie, et ici, au sud de celle-ci, la petite baie où le Bree est échoué. Elle a été prise avant que la station ne soit construite … mais elle n’y serait pas visible, de toute manière … Si nous recommencions à assembler ? La feuille à l’est de celle-ci …

Sa voix traîna de nouveau, et le Mesklinite regarda, fasciné, une carte de terres qu’il n’avait pas encore atteintes prendre forme au-dessous de lui. Un instant, il sembla qu’ils allaient être désappointés, car la ligne du rivage s’incurvait graduellement vers le nord, comme Lackland l’avait pensé. En fait, à quelque mille huit cents kilomètres vers l’ouest et six ou sept cents vers le nord, l’océan paraissait arriver à un cul-de-sac … la côte tournait vers l’ouest à nouveau. Un grand fleuve se vidait à ce point, et avec un certain espoir que cela puisse être un détroit menant à l’océan oriental, Lackland commença à assembler les images qui couvraient l’aboutissement supérieur du puissant courant. Il fut rapidement désabusé en découvrant une importante série de rapides à quelque trois cent cinquante kilomètres en amont. À l’est de ceux-ci, le grand fleuve diminuait rapidement. De nombreux affluents plus petits se jetaient dans son lit. Apparemment, c’était l’artère principale du système fluvial d’une vaste région de la planète. Intéressé par la vitesse avec laquelle il se brisait en plus petites rivières, Lackland continua à construire la carte vers l’est, suivi avec passion par Barlennan.

Le fleuve principal, pour autant qu’on pût le discerner, avait légèrement changé de direction, coulant dans une direction plus franchement australe. Poursuivant la mosaïque d’images dans ce sens, ils trouvèrent une chaîne de montagnes assez importante, et le Terrien releva la tête avec un air de regret. Barlennan en était venu à comprendre le sens de cette mimique.

— Ne vous arrêtez pas là ! jeta le capitaine. Il existe une chaîne semblable près du centre de mon pays, et c’est une péninsule assez étroite. Continuez au moins l’image assez loin pour déterminer comment les fleuves coulent de l’autre côté des montagnes.

Lackland, sans optimisme — il se rappelait trop clairement le continent sud-américain de sa propre planète pour espérer une symétrie du genre que le Mesklinite semblait attendre — suivit la suggestion du naturel. La chaîne se montra pourtant plutôt étroite, s’étendant grossièrement est-nord-est à ouest-sud-ouest. Et à la surprise de l’homme, les nombreux cours d’« eau » du côté opposé commencèrent très vite à montrer une tendance à se réunir en un grand fleuve. Celui-ci courait parallèlement à la chaîne, kilomètre après kilomètre, s’élargissant en chemin, et l’espoir se mit à croître une fois de plus. Il atteignit son point culminant à sept cent cinquante kilomètres en aval, quand ce qui était devenu un large estuaire se mêla de façon indistincte avec les « eaux » de l’océan oriental. Travaillant dans la fièvre, s’arrêtant à peine pour manger ou même dormir, bien qu’il en éprouvât un urgent besoin sous la gravité sauvage de Mesklin, Lackland continuait. Et enfin le plancher fut recouvert par une nouvelle carte … un rectangle représentant quelque trois mille kilomètres selon une ligne est-ouest et la moitié dans l’autre dimension. La grande baie et la petite anse où était échoué le Bree se montraient clairement à son bout occidental. Une grande partie de l’autre était occupée par la surface nue de l’océan oriental. Entre les deux, la barrière des terres.