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Lackland signala le bon vouloir des naturels à la station de la lune inférieure, d’où fut lancée l’opération consistant à transférer véhicule et traîneau à la surface. Depuis des semaines, tout était prêt.

Deux voyages de la fusée-cargo furent nécessaires, bien que le traîneau fût léger et que la poussée développée par le fer hydrogéné fût fantastique. On descendit d’abord le traîneau dans le but de permettre à l’équipage du Bree de hisser celui-ci sur la structure pendant que la fusée retournerait chercher le véhicule.

Mais Lackland conseilla de ne pas se poser près du vaisseau et le traîneau bizarre fut laissé auprès du dôme jusqu’à ce que la chenillette arrive pour le tirer vers la plage. Lackland lui-même conduisait l’engin mais l’équipage de la fusée resta là, à la fois par curiosité et, si nécessaire, pour prêter assistance dans le chargement.

Les Mesklinites n’eurent pas besoin des hommes : sous trois gravités terrestres à peine, ils étaient physiquement tout à fait capables de soulever leur bateau et d’avancer en le portant. Et le conditionnement mental insurmontable qui les empêchait de laisser la moindre partie de leur corps sous une telle masse ne leur interdisait pas de la traîner facilement avec des cordages à travers la plage … Chaque membre de l’équipage ancré fermement, bien entendu, à un arbre avec l’une ou les deux paires de ses pinces arrière. Le Bree, voiles ferlées et dérives ramenées, glissa aisément sur le sable jusqu’à la plate-forme étincelante de métal. La vigilance de Barlennan, qui tout au long de l’hiver s’était attaché à l’empêcher de se coller au sable par le gel, s’était montrée justifiée. De plus, dans les dernières semaines, le niveau de l’océan avait commencé à s’élever comme il l’avait déjà fait plus au sud. La marée liquide, qui avait naguère contraint à déplacer le vaisseau de deux cents mètres dans les terres, l’aurait probablement libéré du gel si nécessaire.

Les constructeurs du traîneau, sur la lointaine Toorey, avaient prévu des yeux et des taquets en nombre suffisant pour permettre aux marins d’arrimer fermement le Bree à sa place. Les cordages utilisés semblèrent un peu minces à Lackland, mais les natifs leur accordaient pleine confiance. Ce qui était justice, réfléchit le Terrien : ils avaient retenu leur bateau sur la plage au cours de tempêtes où lui-même n’aurait pas osé se déplacer en scaphandre. Il pourrait valoir la peine, pensa-t-il, de savoir si les cordages et les tissus des Mesklinites pourraient supporter, les températures terrestres.

Ce train de pensées fut interrompu. Barlennan approchait pour signaler que tout était prêt sur le bateau et le traîneau. Ce dernier était déjà attaché à la chenillette par son câble de remorque. Quant à la chenillette, elle était bourrée d’assez de vivres pour soutenir son seul homme d’équipage pendant plusieurs jours. Il était prévu de réalimenter Lackland par fusée chaque fois que ce serait indispensable, en posant celle-ci assez loin en avant pour que l’appareil volant n’émeuve pas trop les naturels sur leur bateau. On n’y recourrait pas plus souvent que nécessaire car, après le premier accident, Lackland ne voulait pas ouvrir le véhicule à l’air extérieur quand il pourrait faire autrement.

— Je pense que nous pouvons y aller, petit ami, dit-il en réponse à l’annonce de Barlennan. Je n’aurai pas besoin de dormir pour un bon nombre d’heures maintenant, et nous pouvons parcourir vers l’amont une grande distance pendant ce temps. J’eusse aimé que vos jours soient d’une longueur admissible. Je ne suis pas trop satisfait à l’idée de conduire la nuit dans la neige. Je ne crois pas que même votre équipage pourrait retirer la chenillette d’un trou, à supposer qu’il trouve un point d’appui.

— J’en doute fort moi-même, répondit le capitaine, bien que ma capacité de juger le poids soit très incertaine ici, près du Rebord. Je ne crois pas qu’il y ait grand risque, cependant. La neige ne colle pas assez pour camoufler vraiment un très grand trou.

— À moins qu’il n’en soit plein jusqu’à ras bord. Bon, je m’en inquiéterai si cela arrive et seulement alors. Embarquez !

Il entra dans la chenillette, en scella la porte, refoula l’atmosphère mesklinite et libéra l’air terrestre qu’il avait comprimé dans des réservoirs avant d’ouvrir la porte un peu plus tôt. Le petit aquarium qui contenait les algues dont le travail était de maintenir l’air frais étincela dès que les circulateurs commencèrent à pousser des bulles à travers l’eau. Un minuscule « renifleur » spectrométrique indiqua que le pourcentage d’hydrogène dans l’air était négligeable. Lorsqu’il en fut sûr, Lackland lança ses moteurs principaux sans plus d’hésitation et dirigea la chenillette et sa remorque vers l’est.

Le terrain, presque égal aux environs de l’anse, changea graduellement. Pendant la première quarantaine de jours, avant que Lackland ne doive s’arrêter pour dormir, ils avaient couvert quelque soixante-quinze kilomètres et se trouvaient dans un paysage de collines ondulantes qui atteignaient cent ou cent vingt mètres de hauteur. Aucun ennui n’avait gêné la marche, ni de la chenillette ni du traîneau. Barlennan, dans son rapport par radio, dit que l’équipage appréciait l’expérience et que le désœuvrement inhabituel ne décevait personne jusqu’à présent. La vitesse de l’ensemble était d’environ sept kilomètres à l’heure, ce qui était bien plus rapide que la reptation coutumière aux Mesklinites. Mais sous la gravité négligeable — pour eux — quelques membres de l’équipage descendaient pour expérimenter d’autres modes de voyage. Nul d’entre eux n’avait sauté encore, mais il apparaissait que Barlennan pourrait avoir avant longtemps des compagnons pour partager sa toute neuve indifférence aux chutes.

Aucun animal n’avait encore été rencontré, mais on avait vu parfois quelques petites traces dans la neige, qui appartenaient sans doute à des créatures analogues à celles que les matelots du Bree avaient chassées pour leur chair durant l’hiver. Les végétaux, eux, étaient visiblement différents. Ici et là, la neige était presque cachée par une sorte d’herbe qui avait poussé à travers elle, et une fois, l’équipage resta sans voix à la vue d’une plante qui, pour Lackland, était plutôt une souche qu’un arbre. Jamais les Mesklinites n’avaient rien vu qui poussât aussi loin du sol.

Pendant que Lackland dormait aussi confortablement qu’il le pouvait dans ses quartiers étroits, l’équipage s’égailla dans le pays environnant. Leurs motifs étaient en partie au moins le désir de vivres frais, mais ce qui les poussait réellement était de charger une cargaison rentable. Ils étaient tous familiers avec ces grandes variétés de plantes qui offraient ce que Lackland appelait des épices, mais il n’en poussait pas dans les environs. De nombreuses plantes portaient des graines et presque toutes avaient des sortes de feuilles et des racines. L’ennui, c’est qu’il ne semblait y avoir aucun moyen de déceler si elles étaient comestibles, à plus forte raison si elles avaient bon goût. Aucun des marins de Barlennan n’était assez téméraire ou naïf pour goûter à une plante qu’il n’avait jamais vue. Trop nombreux étaient les végétaux de Mesklin à se protéger par des poisons d’une efficacité terrifiante. Les moyens habituels, en de tels cas, consistaient à se fier aux sens de certains petits animaux, familiers ordinaires des Mesklinites : ce qu’un parsk ou un ternee mangeait était bon. Par malheur, le seul animal du genre à bord du Bree n’avait pas survécu à l’hiver … ou plutôt à l’équateur. Il avait été emporté par la première rafale d’une des tempêtes hivernales, son maître ne l’ayant pas attaché à temps.