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En peu d’instants un grand nombre de créatures émergeaient de leurs maisons avec divers articles qu’ils désiraient apparemment troquer, et d’autres membres de l’équipage du Bree prenaient part active aux marchandages. Cela se poursuivit pendant que le soleil traversait le ciel, et aussi durant les périodes nocturnes, Barlennan ayant demandé à Lackland d’éclairer les phares de la chenillette. Si la lumière artificielle inquiéta ou surprit les géants, fût-ce légèrement, même Barlennan fut incapable d’en déceler aucun signe. Ils prêtaient toute leur attention aux affaires présentes, et quand l’un d’entre eux s’était débarrassé de ce qu’il avait, ou avait acquis ce qu’il semblait désirer, il se retirait chez lui et laissait la place à un autre. Le résultat naturel fut que très peu de jours passèrent avant que le reste des marchandises de Barlennan eût changé de mains et que les articles nouvellement acquis eussent été transférés sur le toit du véhicule.

La plupart de ces choses étaient aussi étranges pour Lackland que celles que Barlennan avait offertes en échange. Mais deux d’entre elles attirèrent en particulier son attention. Toutes deux étaient visiblement des animaux vivants, bien qu’il ne pût pas en voir très bien les détails à cause de leur petite taille. Tous deux lui parurent domestiqués, chacun restant accroupi à côté du marin qui l’avait acheté sans montrer le désir de s’en aller. Lackland supposa correctement — il le vit plus tard — que c’était des créatures de ce genre que les marins avaient espéré élever afin qu’elles testent pour eux l’innocuité de certaines plantes nutritives.

— Est-ce là tout le commerce que vous vouliez faire ? demanda-t-il par radio, comme le dernier des habitants du lieu s’éloignait du voisinage de la chenillette.

— C’est tout ce que nous pouvons faire, répondit Barlennan. Nous n’avons rien de plus à troquer. Avez-vous une suggestion, ou voulez-vous continuer le voyage tout de suite ?

— J’aimerais beaucoup savoir à quoi ressemble l’intérieur de ces maisons. Mais je ne pourrais pas passer par ces portes, même si j’osais quitter mon scaphandre. Est-ce que vous ou l’un de vos gens accepteriez d’essayer de voir cela pour moi ?

Barlennan hésita quelque peu.

— Je ne suis pas certain que cela serait sage. Ces gens ont fait du troc pacifiquement, mais il y a quelque chose en eux qui me gêne, bien que je ne puisse pas y mettre la pince dessus. Peut-être est-ce qu’ils n’ont pas assez discuté nos prix ?

— Cela veut-il dire que vous ne leur faites pas confiance ? Vous pensez qu’ils vont essayer de récupérer ce qu’ils ont donné, maintenant que vous avez épuisé vos marchandises ?

— Ce n’est pas exactement cela. Comme je l’ai dit, mes sentiments ne s’appuient pas sur une raison véritable. Disons plutôt ceci : si la chenillette peut retourner là-haut, et s’atteler à nouveau de telle sorte qu’il ne reste plus qu’à partir, cela sans que nous nous soyons attiré d’ennuis de la part de ces êtres pendant tout ce temps, je redescendrai en personne visiter. Cela ira-t-il ?

Ni Barlennan ni Lackland n’avaient prêté attention aux natifs durant ces quelques répliques. Mais pour la première fois, les habitants de la ville ne partagèrent pas cette indifférence. Les plus proches des géants se retournèrent et regardèrent, avec toutes les marques de la curiosité, la petite boîte de laquelle sortait la voix de Lackland. À mesure que la conversation avançait, ils étaient de plus en plus nombreux à se rapprocher pour écouter. Le spectacle de quelqu’un conversant avec une boîte trop petite, ils le savaient, pour contenir une créature intelligente parut, pour la première fois, abattre un mur de réserve que la vue même de la chenillette n’avait pu ébranler. Comme l’accord final de Lackland à la suggestion de Barlennan tonitruait dans le minuscule haut-parleur, et qu’il était évident que la conversation se terminait, plusieurs des auditeurs disparurent hâtivement dans leurs maisons et en émergèrent presque aussitôt avec de nouveaux objets. Ils offrirent ceux-ci avec des gestes que les marins comprenaient à présent très bien : les géants voulaient la radio, et étaient prêts à payer généreusement pour cela.

Le refus de Barlennan sembla leur poser une énigme. Chacun à son tour offrit un prix plus haut que son prédécesseur. À la fin, Barlennan signala son refus définitif de la seule façon qui lui restât, il jeta l’appareil sur le toit de la chenillette, l’y rejoignit, et ordonna à ses hommes de se remettre à lui lancer les nouvelles acquisitions. Pendant plusieurs secondes les géants restèrent perplexes, puis, comme sur un signal, ils s’en retournèrent et disparurent dans les entrées étroites.

Barlennan se sentit plus mal à l’aise que jamais, et il épia autant de portes que ses yeux pouvaient en voir sans cesser d’entasser les nouvelles marchandises. Mais ce ne fut pas des habitations que vint le danger. Le grand Hars le vit le premier, alors qu’il se dressait à demi au-dessus de ses camarades, imitant les natifs, pour envoyer un paquet particulièrement gros à son capitaine. Son regard errait par hasard sur le conduit par lequel ils étaient descendus. C’est alors qu’il lança un de ces incroyables hululements de sirène qui ne manquaient jamais d’ahurir Lackland et de le faire sursauter. Il accompagna le cri d’une explosion de paroles qui ne signifiaient rien pour le Terrien. Mais Barlennan comprit, regarda, et en dit assez en anglais pour traduire le plus important.

— Charles ! Regardez là-haut derrière ! En marche !

Lackland regarda, et dans le même instant comprit parfaitement la raison qui présidait à la disposition bizarre de la cité. Un des rocs géants, à peine deux fois moins gros que la chenillette, avait été délogé de sa position sur la crête, et c’était celui qui se trouvait juste au-dessus de la large embouchure du conduit par lequel l’engin était descendu. Les murs, en s’élevant doucement, le guidaient droit sur la piste que le véhicule avait suivie. Il en était encore à huit cents mètres, et bien au-dessus. Mais sa vitesse de chute s’accélérait à chaque instant pendant que les tonnes de sa masse cédaient à la force d’une gravité trois fois plus puissante que celle de la Terre !..

8

UN TRAITEMENT POUR LE VERTIGE

La chair et le sang imposent à l’homme une limitation de vitesse, mais Lackland fut bien près d’établir un record. Il ne prit pas le temps de résoudre les équations différentielles pour savoir l’instant précis où le roc arriverait. Il enclencha les moteurs de la chenillette, la fit pivoter de quatre-vingt-dix degrés sur une distance qui manqua tordre une des chenilles et s’éloigna de l’ouverture du conduit guidant vers lui l’énorme projectile. Alors seulement il fut à même d’apprécier l’architecture de la cité. Comme il l’avait remarqué, les gouttières ne débouchaient pas directement dans l’espace libre. Elles étaient plutôt disposées de telle sorte qu’au moins deux d’entre elles pouvaient amener un roc jusqu’à n’importe quel point de la place. Sa réaction suffit à éviter le premier, mais elle avait été prévue et d’autres blocs étaient déjà en route. Un instant il regarda dans toutes les directions, cherchant en vain une position qui ne serait pas sur la trajectoire d’un des terribles projectiles. Puis il dirigea délibérément l’avant de la chenillette vers l’un des conduits et commença à monter. Dans celui-ci aussi un rocher dévalait, un rocher qui, pour Barlennan, semblait le plus gros de tous, et paraissait grossir de seconde en seconde. Le Mesklinite se prépara à sauter, se demandant si le Volant avait perdu la tête. Alors un rugissement qui dépassait tout ce que son propre appareil vocal pouvait produire résonna près de lui. Si son système nerveux avait dû réagir comme celui de la plupart des animaux terrestres, il aurait atterri à mi-flanc. Mais là où un Terrien eût sursauté, un être de sa race était pétrifié, ce qui fait que, durant les quelques secondes qui suivirent, il eût fallu un équipement lourd pour l’arracher du toit du véhicule. Quatre cents mètres plus loin, à cinquante mètres devant le roc qui dévalait, une section de la gouttière se souleva en flammes et en poussière … Les détonateurs des munitions de Lackland étaient assez sensibles pour réagir instantanément au moindre contact avec le sol. Un instant plus tard le roc fonçait dans le nuage de poussière, et le canon à tir rapide rugissait à nouveau, émettant cette fois une demi-douzaine d’aboiements qui se fondirent l’un dans l’autre d’une manière presque indiscernable. Une bonne moitié du rocher émergea de la poussière, mais il n’était plus sphérique, et il s’en fallait ! L’énergie des balles l’avait arrêté presque complètement. La friction acheva le travail longtemps avant qu’il n’atteigne la chenillette. Il avait maintenant trop de surfaces plates et concaves pour rouler très bien.