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Le troc terminé, la foule des gens du coin s’éloigna petit à petit. À la fin ne restaient que les planeurs et leurs équipages, certains en bas près du bateau et les autres au sommet des collines à côté de leurs machines. Barlennan trouva l’interprète dans le premier groupe, comme d’habitude. Il avait passé beaucoup de temps à causer négligemment avec les marins. Ceux-ci rapportaient, comme on s’y était attendu, qu’il les avait questionnés cordialement sur les connaissances de leurs compatriotes dans l’art de voler. Ils avaient joué leur rôle en répondant sans se compromettre mais de manière à révéler « sans le vouloir » une science considérable en aérodynamique. Naturellement, ils mettaient tout leur soin à ne pas laisser percer à quel point cette science avait été acquise récemment … et de quelle source elle provenait. Jusque-là, Barlennan avait la quasi-certitude que les insulaires, ou au moins leurs représentants officiels, croyaient son peuple capable de voler.

— Il semble que voilà tout ce que je peux donner ou prendre, dit-il pour attirer l’attention de Reejaaren. Nous avons, je pense, payé toutes les redevances nécessaires. Y a-t-il quelque objection à notre départ ?

— Où avez-vous l’intention d’aller à présent ?

— Vers le sud, vers une pesanteur convenable. Nous ne connaissons absolument pas cet océan, si ce n’est par de vagues rapports de quelques-uns de nos marchands ayant accompli le voyage par voie de terre. J’aimerais en voir un peu plus.

— Très bien. Vous êtes libres de partir. Sans doute reverrez-vous quelques-uns d’entre nous au cours de nos voyages … Il m’arrive d’aller vers le sud moi-même. Attendez-vous à d’autres tempêtes.

L’interprète, apparemment l’image même de la cordialité, se tourna vers la colline.

— Peut-être nous rencontrerons-nous sur la côte, ajouta-t-il avec un coup d’œil en arrière. Le fjord où vous avez atterri d’abord a été noté comme ne méritant peut-être pas le statut de port, et j’aimerais l’inspecter moi-même.

Il reprit son ascension vers les planeurs qui attendaient.

Barlennan s’en revint au navire et allait donner ses ordres pour une reprise immédiate du voyage vers l’aval — les biens avaient été chargés aussitôt qu’ils étaient acquis — quand il remarqua que les pieux lâchés par les planeurs barraient toujours la route. Un instant pensa rappeler l’insulaire et lui demander leur retrait. Y réfléchissant mieux, il vit qu’il n’était pas en position de faire une telle demande. Reejaaren redeviendrait sans doute suspicieux s’il présentait cela comme une requête. L’équipage du Bree n’avait qu’à s’extraire lui-même de ses propres ennuis.

À bord, il lança un ordre dans ce but, et les marins armés de couteaux furent de nouveau mis à contribution. Mais Dondragmer intervint.

— Heureux de voir que mon travail n’a pas été du temps perdu, dit-il.

— Quoi ? demanda le capitaine. Je vous savais occupé à l’un de vos tours, ces derniers quarante ou cinquante jours, mais j’étais trop pris moi-même pour m’en enquérir. Nous pouvions nous passer de vous pour le négoce. Que faisiez-vous ?

— C’est une idée qui m’a frappé juste après que nous ayons été bloqués ici, quelque chose que vous avez dit aux Volants à propos d’une machine pour extraire les pieux m’en a donné l’idée. Je leur ai demandé plus tard s’il y avait une machine de ce genre qui ne soit pas trop compliquée pour que nous la comprenions, et après y avoir réfléchi l’un d’eux m’a dit que cela existait. Il m’a expliqué comment la construire, et c’est ce que j’ai fait. Si nous montons un trépied près d’un pieu, je verrai comment cela marche.

— Mais quelle machine ? Je croyais que toutes celles des Volants étaient construites en métal que nous ne pouvions façonner parce que les métaux qui sont assez durs nécessitent trop de chaleur.

— Ceci.

L’officier montra deux objets sur lesquels il avait travaillé. Le premier n’était qu’une poulie de l’espèce la plus élémentaire, assez large, avec un crochet. L’autre avait en gros le même aspect mais était double, avec des dents en forme de crans se projetant sur la circonférence des deux roues. Les roues elles-mêmes étaient sculptées dans un bloc solide de bois dur et avaient été tournées ensemble. Comme la première poulie, celle-ci était équipée d’un crochet. En outre, une courroie de cuir passait par les gardes des deux roues, avec des trous percés de façon à coïncider avec les crans, les bouts reliés de manière à former une double boucle continue. Tout cet arrangement semblait insensé aux Mesklinites, y compris Dondragmer qui ne comprenait encore pas pourquoi l’appareil fonctionnait, ni même s’il allait vraiment fonctionner. Il l’amena devant l’une des radios et l’étendit sur le pont.

— Est-ce que tout est assemblé correctement, cette fois ? demanda-t-il.

— Oui, cela devrait marcher si votre courroie est assez solide. Vous devez attacher le crochet de la poulie à une gorge au pieu que vous voulez arracher. Je suis sûr que vous avez des méthodes pour faire cela avec une corde. L’autre poulie doit être assujettie au sommet du trépied. Je vous ai dit ce qu’il faut faire après.

— Oui, je sais. J’ai pensé qu’au lieu de prendre beaucoup de temps pour inverser la machine après avoir enroulé complètement, je pourrais défaire la boucle et la réenfiler.

— Cela marcherait, à condition que vous ne soyez pas en train de soulever un poids qui doive être soutenu pendant ce temps, répondit le Terrien. Un bon point pour vous, Don.

L’équipage se dirigea immédiatement vers le premier groupe de pieux, mais Barlennan leur dit d’attendre.

— Il n’y en a pas autant à bloquer le canal que nous creusions. Don, le Volant a-t-il dit combien de temps cela prendrait pour les extraire avec cet appareil ?

— Il n’était pas sûr, car il ne sait pas jusqu’à quelle profondeur ils sont enterrés et à quelle vitesse nous pourrons opérer. Mais il supposait un jour environ par pieu … plus vite que nous ne pourrions les couper.

— Mais pas assez vite pour que nous ne gagnions pas de temps en terminant ce canal pendant que vous prenez tous les hommes dont vous aurez besoin pour retirer les pieux. À propos, est-ce qu’il vous a dit le nom de cette chose ?

— Il l’appelle un palan différentiel. Le premier mot est assez clair, mais je ne vois pas comment traduire le second … ce n’est qu’un bruit pour moi.

— Pour moi aussi. Disons donc « différentiel ». Au travail. Votre quart au palan et le mien au canal.

L’équipage se mit à la tâche avec courage.

Le canal fut terminé le premier, car on vit rapidement que la plupart des marins pouvaient être occupés à creuser. Deux d’entre eux seulement, se relayant toutes les quelques minutes, suffisaient à faire glisser très lentement les pieux hors du sol dur. À la grande satisfaction de Barlennan, les têtes vinrent avec, et il eut ainsi huit pieux très impressionnants quand l’opération fut achevée. Ses compatriotes travaillaient peu la pierre, et selon son estimation les têtes de quartz devaient représenter une grande valeur.

La barrière enfin dépassée, la distance jusqu’au lac était relativement courte. Et là, ils s’arrêtèrent pour rassembler le Bree selon sa forme naturelle, ce qui fut fait très vite — l’équipage pouvait à présent être considéré comme expert en ce domaine — et une fois de plus le bateau flotta dans des eaux assez profondes.