La conclusion fut qu’on construisit une petite plateforme en bois nantie d’une rambarde basse, solide — invention de Dondragmer — qui empêcherait quiconque de voir en bas une fois installé à l’intérieur. Tout l’arrangement était inséré dans une bretelle de cordages qui le maintiendrait dans une position horizontale. C’était là un reste de la précédente expérience de levage à l’équateur.
La plate-forme, cordes et nœuds soigneusement vérifiés au cours d’une lutte à la tire qui intéressa beaucoup les spectateurs humains, fut amenée sous la chèvre et attachée au cordage principal. À la demande de l’officier, on donna d’en haut un peu de jeu et le dernier nœud fut vérifié de la même façon que les autres. Satisfait de la sécurité de l’ensemble, Dondragmer grimpa rapidement sur la plate-forme, mit la dernière section de la rambarde en place et donna le signal de hisser. La radio avait été amenée du navire. Barlennan entendit l’officier directement. Il se joignit à ses hommes à la corde.
Il n’y eut pratiquement pas de balancement. Dondragmer se rappelait à quel point cela avait été inconfortable la dernière fois qu’il avait été sur un tel appareil. Ici, le vent, bien qu’il soufflât régulièrement le long de la falaise, était incapable d’ébranler de façon perceptible le pendule dont l’officier faisait partie. Sa corde était trop mince pour offrir une prise aux courants de l’air et le poids qu’elle supportait trop énorme pour qu’ils puissent facilement l’ébranler. Cela était heureux, non seulement du point de vue du confort, mais, de plus, si une oscillation s’était déclenchée pour quelque raison que ce fût, sa période aurait été d’environ une demi-seconde au début, diminuant à mesure que l’appareil montait, jusqu’à une valeur qui eût bientôt approché de la vibration sonore et presque assurément arraché à ses fondations la structure du sommet.
Dondragmer était un être à l’intelligence directe et pratique, et il ne fit aucune tentative pour voir par-dessus bord en montant. Au contraire, il garda les yeux clos avec soin, et il n’avait pas honte d’agir ainsi. Le parcours eut l’air interminable, naturellement. En vérité, il prit à peu près six jours. Barlennan l’interrompait périodiquement et inspectait la chèvre et son assise, mais tout était en ordre chaque fois.
À la fin, la plate-forme apparut au-dessus du bord de la falaise et sa bretelle de support toucha la poulie, empêchant l’appareil d’aller plus haut. Le rebord de l’ascenseur n’était qu’à quelques centimètres de la falaise. Il était long et étroit pour se plier à la forme des Mesklinites, et une poussée avec un pieu l’amena en retour jusqu’au sol. Dondragmer, qui avait ouvert les yeux au son des voix, rampa avec soulagement hors de l’habitacle et s’éloigna du bord.
Lackland qui observait annonça la réussite avant même que Barlennan ait pu en informer ceux qui attendaient en bas, et ses paroles furent instantanément traduites par un de ceux qui savaient un peu d’anglais. Ils furent soulagés, pour ne pas dire plus. Ils avaient vu arriver la plate-forme mais ne pouvaient rien savoir de la condition du passager. Barlennan prit avantage de leurs sentiments et renvoya l’ascenseur en bas aussi rapidement que possible afin de ramener un nouveau passager.
L’opération entière fut achevée sans accident. Dix fois en tout, l’ascenseur fit son parcours avant que Barlennan n’estime qu’on ne pouvait prélever plus d’hommes en bas sans rendre le travail supplémentaire de ceux qui resteraient trop difficile.
La tension avait à présent disparu, et de nouveau le sentiment qu’ils en étaient au stade final de leur mission s’étendit parmi les Terriens et les natifs.
— Si vous voulez bien attendre deux minutes, Barl, intervint Lackland qui rapportait les informations reçues d’un ordinateur, le soleil sera exactement dans la direction que vous devrez suivre. Nous vous avons averti que nous ne pouvons préciser à dix kilomètres près la position de la fusée. Nous allons vous guider jusqu’à l’aire dans laquelle nous sommes sûrs qu’elle est immobilisée, et vous devrez poursuivre alors les recherches par vous-mêmes. Si le terrain est analogue à celui qui vous environne à présent, ce sera plutôt difficile, j’en ai peur.
— Vous avez sans doute raison, Charles. Nous n’avons aucune expérience de ces choses-là, et pourtant, je suis sûr que nous résoudrons le problème. Nous avons résolu tous les autres … souvent avec votre aide, je l’avoue. Le soleil est-il en ligne à présent ?
— Un instant … là ! Y a-t-il un accident de terrain assez éloigné que vous pourriez utiliser pour tenir votre direction jusqu’à ce que le soleil soit de nouveau où il faut ?
— Non, malheureusement. Il nous faudra faire de notre mieux, et suivre vos corrections jour après jour.
— Cela ressemble un peu à naviguer à l’estime là où vous ne connaîtriez ni les vents ni les courants, mais il faudra bien s’en contenter. Nous corrigerons nos propres chiffres chaque fois que nous pourrons vous situer. Bonne chance !
18
CONSTRUCTEURS DE PYRAMIDES
L’orientation était un problème, et tous ceux qui étaient concernés le découvrirent tout de suite. Il était physiquement impossible de se déplacer en ligne droite. Tous les quelques mètres, le groupe devait éviter un rocher trop haut pour que l’on pût voir par-dessus ou le gravir. La structure physique des Mesklinites aggravait la situation, car leurs yeux étaient trop rapprochés du sol. Barlennan essayait bien de contourner tantôt à gauche et tantôt à droite, mais il n’avait aucun moyen de mesurer même approximativement la distance parcourue à chaque détour. C’était jour faste quand les repères provenant de la fusée en vol ne décelaient pas une vingtaine ou une trentaine de degrés d’écart.
Tous les cinquante jours environ, on prenait la mesure de leur position par celle de leur émetteur — un seul se déplaçait à présent, l’autre avait été laissé avec ceux qui demeuraient près du treuil — et une direction nouvelle était calculée. Cela requérait un travail de haute précision, et à l’occasion il restait quelque doute au sujet de la rigueur d’un point donné. Lorsque c’était le cas, Barlennan en était toujours avisé et laissé à son propre jugement. Quelquefois, si les Terriens ne paraissaient pas douter vraiment de leur travail, il continuait. À d’autres moments, il attendait quelques jours pour leur laisser une chance d’obtenir un point plus précis. En attendant, il consolidait sa propre position, redistribuant les charges et modifiant les rations de vivres quand cela lui paraissait nécessaire. Il avait trouvé l’idée de tracer une piste presque avant de partir, et une ligne de cailloux marquait le chemin depuis la bordure. Il avait même pensé déplacer toutes les pierres d’un sentier et les entasser de côté et d’autre pour créer ainsi une route rectiligne. Mais ceci viendrait plus tard, quand des déplacements entre la fusée échouée et la base de réserve deviendraient réguliers.