— Vous devriez attacher des cordes à l’une de ces vis ou aux deux, de façon à pouvoir tirer la plaque à distance quand vous aurez atteint et dévissé les deux autres, indiqua Rosten. Je ne pense pas que vous souhaitiez que ce morceau de quincaillerie tombe sur quelqu’un. Il est épais de presque un centimètre. J’ajouterai que les plaques inférieures sont diablement plus épaisses encore.
La suggestion acceptée, on creusa la terre rapidement jusqu’à ce que le bord inférieur de la plaque soit à découvert. Les fermetures n’offrirent pas plus de résistance que les précédentes, et quelques instants plus tard une traction ferme sur les cordes arracha la plaque de sa place dans la coque de la fusée. Elle ne fut visible que pendant la première fraction de centimètre de sa chute, puis disparut d’un seul coup et réapparut, couchée sur le sol, cependant qu’une détonation atteignait les oreilles des observateurs. Le soleil, brillant dans la coque juste ouverte, montra clairement l’unique appareil qui était à l’intérieur. Et des acclamations montèrent parmi les hommes dans la salle des communications et dans la fusée d’observation.
— Et voilà, Barl ! Nous vous devons plus que nous ne saurions le dire. Si vous voulez bien reculer et nous laisser photographier la chose telle qu’elle est, nous commencerons à vous donner les directives pour relever les enregistrements et les amener devant les appareils de télévision.
Barlennan ne répondit pas tout de suite. Ses actes parlèrent pour lui bien avant qu’il n’élève la voix. Il ne s’écarta pas de la ligne de vision. Au lieu de cela, il rampa vers l’ouverture et repoussa l’appareil de télévision jusqu’à ce qu’il ne couvre plus le nez de la fusée.
— Nous avons quelques questions à discuter d’abord, dit-il calmement.
19
NOUVEAU MARCHÉ
Un silence de mort régna dans la salle des communications. La tête du minuscule Mesklinite remplissait l’écran, mais nul ne pouvait interpréter l’expression de ce « visage » complètement inhumain. Nul ne trouvait quoi que ce soit à dire. Demander à Barlennan ce qu’il entendait par là était gâcher des mots, puisqu’il avait visiblement l’intention de parler. Il attendit un long moment avant de reprendre la parole, et quand il le fit, il employa un anglais meilleur que celui auquel Lackland pensait qu’il était parvenu.
— Docteur Rosten, il y a peu vous avez dit que vous nous deviez plus que vous n’espériez pouvoir nous rendre. Je conçois que vos paroles étaient tout à fait sincères, en un sens — je ne doute pas un instant de la réalité de votre gratitude —, mais d’un autre côté, elles n’étaient que rhétoriques. Vous n’aviez nullement l’intention de nous offrir plus que nous n’avions convenu … informations météorologiques, guidage à travers les mers, peut-être cette aide matérielle mentionnée naguère par Charles à propos de la collection d’épices. Je conçois parfaitement que, selon votre code moral, je n’aie droit à rien de plus. J’ai conclu un pacte et devrais m’y tenir, d’autant que de votre côté le marché a été largement rempli déjà … Toutefois, je désire plus. Et puisque j’en suis arrivé à accorder de la valeur à l’opinion de quelques-uns, au moins, d’entre vous, je voudrais exposer la raison pour laquelle j’agis ainsi … Je souhaite me justifier, si possible. Je dois le préciser, cependant, que j’échoue ou réussisse à obtenir votre sympathie, je ferai exactement ce que j’ai décidé … Je suis un marchand, vous le savez, dont l’intérêt est d’abord d’échanger des biens pour tout le profit que j’en puis tirer. Vous avez reconnu le fait, en m’offrant tous les matériaux auxquels vous pouviez songer en retour pour mon aide. Ce n’est pas votre faute si rien de tout cela ne pouvait me servir. Vos machines, avez-vous dit, ne fonctionneraient pas sous la gravité et la pression de mon monde. Vos métaux, je ne peux les employer … et, si je le pouvais, je n’en aurais nul besoin. On les trouve à l’état libre en beaucoup d’endroits de Mesklin. Certains les utilisent comme ornements. Mais je sais, pour en avoir causé avec Charles, qu’ils ne peuvent être façonnés en des formes vraiment complexes sans de grandes machines, ou à tout le moins beaucoup plus de chaleur que nous ne pouvons en produire aisément. Nous connaissons la chose que vous appelez feu, au fait, sous des aspects plus maniables que les nuages de flammes. Je regrette d’avoir trompé Charles sur ce point, mais cela me semblait opportun alors … Pour en revenir à notre sujet, j’ai tout refusé, hormis le guidage et les informations météorologiques des choses que vous étiez prêts à me donner. Je pensais que certains d’entre vous risquaient d’avoir des soupçons, mais je n’en ai jamais entendu trace dans nos conversations. Quoi qu’il en soit, j’ai accepté d’entreprendre un voyage plus long qu’il n’en a été accompli dans notre Histoire pour vous aider à résoudre votre problème. Vous m’avez dit à quel point vous aviez besoin de connaissances. Nul parmi vous ne semble avoir pensé que je pourrais désirer la même chose, bien que j’aie demandé précisément cela de temps à autre quand je voyais telle ou telle de vos machines. Vous refusiez de répondre à ces questions avec la même excuse sempiternelle. J’en ai conclu, donc, que n’importe quelle méthode employée pour acquérir un peu des connaissances que vous possédiez serait légitime. Vous avez, à un moment ou à un autre, beaucoup parlé de la valeur de ce que vous nommez « science », et toujours implicite était le fait que ma race ne la possédait pas. Je ne peux pas voir pourquoi, si elle est bonne et valable pour vous, elle ne le serait pas également pour moi … Vous voyez ce à quoi je veux en venir. J’ai entrepris ce voyage avec le même objectif à l’esprit que vous en me le demandant. Je suis venu pour apprendre. Je veux savoir les choses qui vous permettent d’accomplir des actes si remarquables. Vous, Charles, avez vécu tout un hiver en un endroit qui aurait dû vous tuer instantanément, et ceci à l’aide de la science. Cela pourrait faire autant de différence dans la vie de mes compatriotes, et je suis sûr que vous en tomberez d’accord … Je vous offre donc un nouveau marché. Je conçois que mon manque à accomplir à la lettre le précédent pourrait vous rendre peu disposés à en conclure un autre avec moi. Ce serait simplement regrettable. Je ne vous cacherai pas que vous n’avez guère le choix. Vous n’êtes pas ici, vous ne pouvez y venir. En admettant que vous puissiez, de colère, projeter de vos explosifs jusqu’à moi, vous ne le ferez pas tant que je serai auprès de votre machine. Mon marché est simple : science pour science. Vous allez m’instruire, ou Dondragmer, ou tout membre de mon équipage ayant le temps et les capacités pour apprendre, pendant que nous travaillerons à démanteler cette machine pour vous et à vous transmettre les connaissances qu’elle contient.
— Juste un …
— Attendez, chef !
Lackland coupait les remontrances de Rosten.
— Je connais Barl mieux que vous. Laissez-moi parler.
Lui et Rosten pouvaient se voir sur leurs écrans respectifs, et un bon moment le chef de l’expédition ne fit que regarder d’un air furieux. Puis il se rendit compte de la situation et capitula.
— D’accord, Charlie. Dites-lui.
— Barl, il semblait y avoir quelque dédain dans votre ton lorsque vous avez fait allusion à notre excuse pour ne pas vous expliquer nos machines. Croyez-moi, nous n’essayions pas de vous tromper. Elles sont compliquées. Si compliquées que les hommes qui en dessinent les plans et les construisent passent presque la moitié de leur vie, d’abord, à apprendre les lois qui les font fonctionner et les techniques pour les manufacturer. Nous n’avions pas non plus l’intention de minimiser les connaissances de vos compatriotes. Il est vrai que nous en savons plus, mais c’est parce que nous avons eu plus de temps pour apprendre … Maintenant, si je vous comprends bien, vous désirez apprendre tout sur les instruments de la fusée que vous démantelez. Je vous en prie, Barl, croyez que c’est la plus stricte vérité si je vous dis que, en ce qui me concerne tout d’abord, je ne pourrais rien vous apprendre, car je ne comprends pas un seul d’entre eux. Ensuite, qu’aucun ne vous rendrait le moindre service si vous le compreniez. Le mieux que je puisse en dire à présent est que ce sont des machines pour mesurer des choses qui ne peuvent être vues ni entendues, senties ni goûtées … des choses qu’il vous faudrait voir en opération d’autre manière longtemps avant de commencer à les comprendre. Ceci ne veut pas être une insulte. Ce que je dis est presque vrai pour moi, et j’ai grandi depuis mon enfance entouré par ces forces, et même en les utilisant. Je ne les comprends pas. Je ne m’attends pas à les comprendre avant de mourir. La science que nous possédons couvre tant de connaissances qu’aucun homme ne pourrait même commencer à les étudier toutes, et je dois me contenter du domaine que je connais … et peut-être y ajouter ce peu qui est à la portée d’un homme dans sa vie entière … Nous ne pouvons pas accepter votre marché, Barl, parce qu’il est physiquement impossible de remplir notre part.