Barlennan ne pouvait pas sourire au sens humain du terme, et il se retint soigneusement d’en donner sa propre version. Il répondit avec autant de gravité que Lackland en avait mise à parler.
— Vous pouvez remplir votre partie, Charles, bien que vous ne le sachiez pas … Quand je me suis mis en route, tout ce que vous venez de dire était vrai, et même plus. J’avais l’intention radicale de trouver cette fusée avec votre aide, puis de placer les radios où vous ne pourriez rien voir et de commencer à démanteler la machine elle-même, apprenant toute la science en agissant … Lentement, j’en suis venu à concevoir que tout ce que vous venez de dire était vrai. J’ai appris que vous ne me cachiez pas délibérément des connaissances quand vous nous appreniez si rapidement et avec tant de soin les lois et techniques employées par les fabricants de planeurs sur cette île. Je l’ai appris plus sûrement encore lorsque vous avez aidé Dondragmer à construire la poulie différentielle. Je m’attendais à l’instant à vous voir faire état de ces points dans votre discours. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? Ils étaient bons, pourtant … En réalité, c’est quand vous avez commencé à nous apprendre la vérité sur les planeurs que j’ai commencé moi-même à avoir une première idée de ce que vous entendez par le terme de « science ». J’avais conçu, avant la fin de cet épisode, qu’un appareil si simple que vous, vous aviez cessé de l’employer, exigeait en fait la compréhension de plus de lois de l’univers que mes compatriotes ne savaient en exister. Vous avez même spécifié à un moment, tout en vous excusant de ne pas nous donner plus d’informations exactes, que des planeurs de ce genre avaient été utilisés chez vous il y a plus de deux cents ans. Je peux imaginer combien vous en savez plus à présent … imaginer juste assez pour concevoir ce que je ne puis savoir … Mais vous pouvez cependant faire ce que je souhaite. Vous en avez déjà fait un peu en nous montrant le palan différentiel. Je ne le comprends pas, non plus que Dondragmer qui a pourtant passé plus de temps à cela. Mais nous avons tous deux la certitude qu’il est de quelque manière en relation avec les leviers que nous avons employés toute notre vie. Nous voulons commencer au commencement, sachant fort bien que nous ne pourrons pas apprendre tout ce que vous savez dans notre vie. Nous espérons en apprendre assez pour comprendre comment vous avez découvert toutes ces choses. Même moi, je puis voir que ce ne sont pas seulement conjectures, ni même philosophie comme les savants qui nous disent que Mesklin est une coupe. Je veux bien, à présent, admettre que vous avez raison. Mais j’aimerais savoir comment vous avez découvert ce même fait en ce qui concerne votre propre monde. Je suis sûr que vous le saviez avant d’en quitter la surface et de pouvoir le voir dans sa totalité. Je voudrais savoir pourquoi le Bree flotte, et pourquoi le canoë fit de même, pour un temps. Je voudrais savoir ce qui a écrasé le canoë. Je voudrais savoir pourquoi le vent souffle en dévalant la faille tout le temps … non, je n’ai pas compris votre explication. Je voudrais savoir pourquoi nous avons plus chaud en hiver alors que nous ne voyons pas le soleil la plus grande partie du jour. Je voudrais savoir pourquoi un feu brille, et pourquoi la poussière de flammes tue. Je voudrais que mes enfants, ou leurs enfants, si jamais j’en ai, sachent ce qui fait fonctionner cette radio, ou votre chenillette, et un jour cette fusée. Je voudrais savoir beaucoup plus … plus que je n’en peux apprendre, sans doute. Mais si je puis lancer mes compatriotes dans la voie d’apprendre par eux-mêmes, de la façon dont vous avez dû le faire … eh bien, je suis prêt à cesser de vendre avec profit.
Ni Lackland ni Rosten ne trouvèrent rien à dire durant un long moment. Ce fut Rosten qui rompit le silence.
— Barlennan, si vous apprenez ce que vous désirez et commencez à instruire vos compatriotes, leur direz-vous d’où vous sont venues les connaissances ? Pensez-vous qu’il serait bon pour eux de le savoir ?
— Pour certains, oui. Ils voudraient savoir ce qu’il en est des autres mondes, et des gens qui utilisèrent la même méthode pour acquérir les connaissances à partir desquelles ils débuteraient. Les autres … eh bien, des tas de gens laissent aux autres le soin de tirer les fardeaux à leur place. S’ils savaient, ils ne se soucieraient pas d’apprendre par eux-mêmes. Ils se contenteraient de demander chaque fois qu’ils auraient besoin de savoir … comme j’ai commencé par le faire. Et ils ne concevraient jamais que si vous ne leur répondez pas, c’est parce que vous ne le pouvez pas. Ils penseraient que vous essayez de les tromper. Je crois que si je me confiais à quelqu’un, cette sorte-là le découvrirait tôt ou tard, et … eh bien, je pense qu’il serait préférable de les laisser croire que je suis un génie. Ou Don. Ils le croiront plus volontiers de lui.
La réponse de Rosten fut brève et pertinente.
— Marché conclu.
20
L’ENVOL DU « BREE »
Un squelette scintillant de métal s’élevait de deux mètres au-dessus d’un monticule de rocs et de terre au sommet aplati. Des Mesklinites étaient occupés à attaquer une nouvelle rangée de plaques dont les fermetures supérieures venaient d’être déterrées. D’autres repoussaient de la poussière et des cailloux fraîchement enlevés vers le bord du monticule. D’autres encore se déplaçaient, allant et venant le long d’une route bien jalonnée qui menait vers le désert, ceux qui approchaient tirant des carrioles plates montées sur des roues et chargées de provisions, ceux qui partaient traînant pour la plupart ces mêmes carrioles vides. La scène débordait d’activité. Chacun paraissait avoir un but défini. Il y avait deux appareils de radio en évidence à présent, l’un sur le monticule où un Terrien dirigeait de sa position lointaine le démantèlement, l’autre à quelque distance de là.
Dondragmer était devant le second appareil, engagé dans une conversation animée avec l’être lointain qu’il ne pouvait voir. Le soleil tournait sans fin, mais descendait très graduellement à présent et grossissait très, très lentement.